Palestine : Les 7 leçons de 30 ans de « fausse paix »

samedi 13 avril 2024.
 

En tant que Palestinienne qui a vécu en Cisjordanie dans les années 1990 et 2000, ancienne négociatrice de l’OLP, je considère que la paix entre Israéliens et Palestiniens demeurera une formule creuse, un horizon inatteignable, aussi longtemps que les chancelleries occidentales refuseront d’ouvrir les yeux sur les travers de ces processus de paix factices. J’en ai recensé sept.

par Muzna Shihabi

Ex-conseillère de l’OLP, responsable de développement au Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris.

Alors qu’analystes et diplomates occidentaux discutent du « jour d’après » la guerre contre Gaza et à la manière de ressusciter la solution à deux États, il est impératif de tirer des leçons du passé pour éviter de se lancer dans un nouveau processus de paix, voué, pour une énième fois, à l’échec.

En tant que Palestinienne qui a vécu en Cisjordanie dans les années 1990 et 2000, des négociations d’Oslo aux négociations d’Annapolis, je considère que la paix entre Israéliens et Palestiniens demeurera une formule creuse, un horizon inatteignable, aussi longtemps que les chancelleries occidentales refuseront d’ouvrir les yeux sur les travers de ces processus de paix factices. J’en ai recensé sept.

Le premier réside dans la fragmentation et l’invisibilisation volontaire des Palestiniens. En trois décennies de négociations par intermittence, leur terre n’a cessé de se dérober sous leurs pieds, alors que la mainmise des Israéliens sur la Cisjordanie n’a cessé de se renforcer au point qu’aujourd’hui, ils exercent une souveraineté de jure ou de facto sur 90% du territoire de la Palestine mandataire.

L’expansion constante des colonies en Cisjordanie, l’augmentation du nombre de leurs habitants, passé de 250.000 en 1993 à plus de 700.000 en 2023, et les plus de 700 checkpoints qui quadrillent la Cisjordanie, un territoire de 5600 km2 (taille de l’Ardèche) ont brisé la fabrique sociale palestinienne, écartelé les familles et rendu leur quotidien de plus en plus oppressant. Les amoureux, avant de songer à s’engager dans une relation, savent qu’ils ont intérêt à vérifier la compatibilité de leurs papiers d’identité.

Par exemple, une Palestinienne qui détient la carte de Jérusalem réfléchira à deux fois avant de se mettre en couple avec un Palestinien de Ramallah car, dans l’hypothèse où ils marieraient, leur vie commune, sous un même toit, serait quasiment impossible. Lui n’aurait pas l’autorisation d’aller habiter à Jérusalem et elle, perdrait son statut de « résidente » de la ville sainte - et donc la possibilité d’aller voir, par exemple ses parents - si elle partait s’installer à Ramallah.

Ce système de ghettoïsation des Palestiniens passe sous le radar de nombreux médias occidentaux, qui peinent à comprendre que le régime d’occupation israélien est intrinsèquement violent. En l’absence de riposte palestinienne faisant des victimes juives, ces médias auront tendance à parler de « retour au calme », trahissant un désintérêt et encourageant une indifférence pour le vécu des Palestiniens. Cette attitude contribue à les invisibiliser.

La deuxième composante de la fausse paix est le nettoyage ethnique silencieux, qui est lui aussi sous-couvert dans les médias occidentaux. L’expropriation des Palestiniens par les colons, la saisie de leurs terres par l’armée, la confiscation de leurs cartes d’identité, les démolitions de leurs maisons, la violence et les humiliations aux checkpoints rendent toute vie normale impossible et encouragent ainsi le déplacement ou l’exil.

Une amie palestinienne de Jérusalem, qui a épousé un Américain avec qui elle vivait à Dubaï, s’est vue retirer sa carte de résidente par les autorités israéliennes, au motif qu’elle avait passé trop d’années à l’étranger. Si cette amie était juive, elle aurait eu le privilège de vivre où elle souhaiterait sur toute la terre, en tant que citoyenne à part entière, et non seulement « résidente ». Il s’agit d’un processus d’épuration ethnique à feu doux des palestiniens.

Le troisième aspect réside dans la mainmise sur la vie des Palestiniens. Un simple renouvellement ou mise à jour d’une information de carte d’identité palestinienne (comme, par exemple, passer de « célibataire » à « marié ») requiert une démarche auprès de l’administration israélienne d’occupation. Les négociateurs palestiniens étaient, eux aussi, contraints d’obtenir un permis d’entrée dans Jérusalem pour participer aux pourparlers. Comment négocier dans un déséquilibre de pouvoir aussi flagrant ?

Le quatrième composant de la fausse paix est le rejet délibéré par Israël du droit international. Une attitude revendiquée par Tzipi Livni, lors des négociations d’Annapolis en 2007, au cours desquelles elle a déclaré sans ciller : « En tant qu’avocate, je m’oppose au droit, en particulier au droit international. »

Le cinquième élément réside dans le lexique, comme lorsque certains font allusion aux « extrêmes des deux côtés ». Une formule à reconsidérer pour aborder le vrai problème : la colonisation et l’apartheid. Quand allons-nous arrêter ces analyses manichéennes et reconnaître que le démantèlement de ce système de domination naturellement éliminerait le terrain propice à la montée de soi-disant « extrémistes » palestiniens ?

Le sixième élément est le statut de supériorité conféré aux Juifs israéliens, dans la pratique comme dans le droit, par rapport aux Palestiniens. Ce système discriminatoire est observable à tous les niveaux : de la durée des feux rouges au carrefour d’un quartier palestinien avec une colonie juive - le temps d’attente est nettement moindre pour les habitants de la colonie juive - jusqu’au refus du droit au retour des réfugiés palestiniens, alors que les juifs du monde entier ont la possibilité de s’installer sur toute la terre.

Enfin, le septième élément consiste à réduire les Palestiniens au silence, à museler toute protestation aussi inoffensive soit-elle. Une attitude mise en lumière dans la répression des Marches du retour de 2018-2019 à Gaza, au cours desquelles des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza manifestaient pacifiquement pour dénoncer le blocus imposé par Israël. Les tirs des snipers israéliens ont causé 200 morts et 7000 blessés.

Face à ces réalités insupportables, nous devons changer de lexique et de logiciels, et ré-imaginer entièrement la notion de paix. La région ne connaîtra pas de stabilité aussi longtemps que persistera l’idée d’une supériorité juive. Si l’on veut que le jour d’après ne ressemble pas au jour d’avant, il faut commencer par reconnaître aux Palestiniens le droit à l’égalité des droits dans une solution à un État démocratique et laïque.

Le processus d’Oslo avait débuté en 1994 par le redéploiement des forces israéliennes des villes de Gaza et de Jéricho. « Gaza et Jéricho d’abord », disait-on à l’époque, persuadé qu’une approche graduelle permettrait d’éviter les faux pas. Le règlement des dossiers les plus « sensibles » comme on aimait les appeler (les colonies, Jérusalem, les réfugiés) avait été repoussé cinq années plus tard, pour permettre à la confiance de s’établir entre les « deux camps ».

Erreur fatale. Il n’y a pas de « deux camps » et le « jour d’après » devrait avoir un seul mot d’ordre : « la Justice d’abord ».


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