EUROPÉENNES : L’ÉCOLOGISTE DAMIEN CARÊME REJOINT LA LISTE DES INSOUMIS

mercredi 27 mars 2024.
 

L’eurodéputé annonce qu’il figurera sur la liste menée par Manon Aubry lors du scrutin du 9 juin prochain. Pour contrecarrer l’extrême droite, « la dynamique d’union doit être enclenchée dès maintenant », explique-t-il.

Damien Carême, qui fut maire de Grande-Synthe (Nord) pendant dix-huit ans avant de devenir eurodéputé écologiste en 2019, a rejoint la liste d’Union populaire menée par Manon Aubry, sur laquelle il figurera en huitième position.

Connu pour son engagement sur les questions d’asile et d’immigration, porteur d’un recours contre l’État pour inaction climatique il y a cinq ans, il avait quitté les Écologistes en octobre dernier, estimant que leur liste était « vouée à l’échec ». Dans la foulée, il a soutenu les appels à l’unité de la gauche qui se sont multipliés, en vain jusqu’ici.

À Mediapart, il explique son choix par un engagement ancré dans la lutte pour la dignité des plus faibles et le sentiment d’urgence qui l’étreint face à la porosité des droites et des extrêmes droites en Europe.

VOUS AVEZ FAIT LE CHOIX FORT DE REJOINDRE LA LISTE D’UNION POPULAIRE MENÉE PAR MANON AUBRY. POURQUOI ?

Damien Carême : Ce sont mes convictions et les combats à mener face aux urgences du moment qui m’ont poussé à prendre cette décision. Ce qui est au fondement de mon engagement politique, c’est la volonté de faire en sorte que les gens les plus en difficulté vivent dignement.

Cela vient de ma famille : mon père a été permanent syndical, puis maire ouvrier. En tant que maire de Grande-Synthe, j’ai mené une politique d’isolation des logements, j’ai mis en place un minimum social garanti pour ne pas vivre en dessous du seuil de pauvreté, j’ai construit un lieu d’accueil humanitaire pour les migrants… Tout cela pour permettre aux gens de vivre dignement.

Cette exigence est chez moi renforcée par la menace de l’extrême droite, qui se fait de plus en plus criante. Le fait que des élus qui se prétendent « humanistes » votent la loi immigration adoptée en France a été une claque pour moi, tout comme le ralliement des macronistes et des socialistes au pacte asile et migration au niveau européen.

Cette porosité aux valeurs de l’extrême droite m’inquiète d’autant plus que la gauche est inaudible. Il n’y a pas de récit qui se construit pour préparer une alternative à ce qui paraît inéluctable en 2027 − et je refuse que ça devienne inéluctable. Je ne peux pas accepter que la gauche baisse les bras au moment où Manouchian et les résistants de la MOI [Main-d’œuvre immigrée - ndlr] sont panthéonisés par ce pouvoir.

J’ai donc répondu favorablement à l’appel de Manon Aubry et des jeunes de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale − ndlr] : il faut qu’on prépare une alternative. Après les élections européennes, nous n’aurons qu’un an pour nous mettre d’accord et construire une dynamique électorale − dès juillet 2025, nous préparerons les élections municipales, puis viendront les législatives et la présidentielle. La dynamique d’union doit être enclenchée dès maintenant.

LE FAIT DE REJOINDRE UNE AUTRE FAMILLE POLITIQUE N’EST-IL PAS L’EXPRESSION D’UNE DÉCEPTION QUANT À LA POSITION NON ÉLIGIBLE QUE LES ÉCOLOGISTES VOUS AVAIENT INITIALEMENT ACCORDÉE ?

Le moment de la composition des listes aux européennes a mis en évidence qu’il n’y avait pas de volonté d’ouverture de la part des Écologistes. La liste qui m’était proposée, de leur côté, respectait les écuries internes plus que les compétences européennes et cette nécessité d’ouverture. Aujourd’hui, il y a une ouverture seulement en neuvième place [l’ancienne figure des « gilets jaunes » Priscillia Ludosky – ndlr]. Benoît Biteau, qui est expert sur les questions agricoles, a manqué de subir le même sort que moi.

De plus, je me reconnais davantage dans la volonté de rupture de LFI. Les Verts européens ne s’inscrivent plus dans cette logique : quand ils votent majoritairement les accords de libre-échange, cela heurte mes fondamentaux. Quelque chose est en train de dévier chez les Verts européens, en raison de leur participation à des gouvernements de coalition, comme en Allemagne et en Espagne. Personne à gauche n’est mon adversaire, bien sûr. Mais il y a des contradictions qui sont difficiles à tenir.

L’ANCIEN COORDINATEUR DE GÉNÉRATION·S, ARASH SAEIDI, ACCUSE BENOIT HAMON D’AVOIR TUÉ DANS L’ŒUF UNE ALLIANCE AVEC LFI. COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QU’UN RAPPROCHEMENT DE CE TYPE SOIT SI DIFFICILE À FAIRE ABOUTIR ?

Chaque parti est dans sa petite chapelle, ce que je regrette. On l’a vu au Parti socialiste (PS), où les négociations avec Place publique, le mouvement de Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq, n’ont pas été faciles concernant les dix premiers noms de la liste aux européennes.

Les partis de gauche sont recroquevillés sur leurs équilibres internes, alors que leur priorité devrait être de lutter contre l’avènement de l’extrême droite et la remise en cause des acquis environnementaux. Ils doivent intégrer qu’on ne peut plus être dans l’accompagnement du libéralisme. Il faut un projet de rupture qui passe par un rassemblement des forces de gauche, même si elles ont des points de divergence. Je ne veux pas qu’on se retrouve dans la situation de l’Espagne, où la gauche a dû faire un forcing de dernière minute pour éviter un gouvernement de coalition avec l’extrême droite.

LES ÉCOLOGISTES SONT FAVORABLES À LA PERSPECTIVE DE L’ADHÉSION DE L’UKRAINE. LFI EN FAIT UN ENJEU DE DIFFÉRENCIATION ASSEZ FORT VIS-À-VIS DU MACRONISME, DU PS ET DES ÉCOLOGISTES. ÊTES-VOUS EN ACCORD SUR CE POINT ?

Oui. Cela rejoint le débat de 2005 sur l’élargissement de l’Union européenne à des pays qui sont loin des principes européens. J’avais fait campagne contre le TCE [traité constitutionnel européen − ndlr] − j’avais d’ailleurs côtoyé Jean-Luc Mélenchon au PS à cette époque. C’est une élection sur un enjeu européen qui avait rassemblé beaucoup d’électeurs : comme quoi, quand on parle du fond et pas de la forme, les gens peuvent se passionner.

Je ne suis pas favorable à l’adhésion de l’Ukraine parce que l’Europe n’est pas capable de faire respecter les principes démocratiques et les droits humains à ses États membres actuels, par exemple sur les questions migratoires. Des régimes autoritaires nouvellement arrivés font un chantage à l’Europe. Élargir dans ces conditions ne me paraît pas souhaitable. Je suis un Européen convaincu – sans l’Europe l’économie se serait effondrée pendant le Covid. Mais je suis conscient de son état de fragilité car elle laisse les États membres bafouer les droits fondamentaux. Avant de s’ouvrir, elle doit s’appliquer à faire respecter ses propres principes.

VOUS REJOIGNEZ POURTANT UNE FORCE POLITIQUE QUI A FAIT DE LA DÉSOBEISSANCE AUX TRAITÉS EUROPEENS UN ARGUMENT. N’EST-CE PAS CONTRADICTOIRE ?

Non. Ce n’est pas la même chose de dire qu’il faudra désobéir aux règles d’austérité qui viennent d’être adoptées par les sociaux-démocrates et la droite – qui impliquent d’amputer notre budget de 25 milliards, au détriment des services publics – et de désobéir aux directives et aux textes européens sur les pollutions par exemple. Ce qui fait monter l’extrême droite, c’est le sentiment d’abandon, le déclassement des classes intermédiaires et populaires, alors que des sociétés font des records de bénéfices sans être imposées.

L’ÉCHEC DE LA GAUCHE À FAIRE AVANCER SA CAUSE AU NIVEAU EUROPÉEN PEUT AVOIR UN EFFET DÉCOURAGEANT POUR LES ÉLECTEURS. QUELS SERONT LES ENJEUX QUI POURRAIENT MOTIVER DES PERSONNES À VOTER POUR DES LISTES DE GAUCHE ?

On a perdu des batailles mais il faut retourner au combat. La campagne qui consiste à mettre en évidence les votes des eurodéputés est nécessaire. Il faut secouer l’opinion pour que les gens s’inscrivent et aillent voter, pour ne pas laisser les autres choisir à leur place. On peut faire de l’agriculture autrement qu’avec du glyphosate.

Je vais sur le terrain régulièrement, et je vois bien l’état dans lequel est la population, loin des opinions manipulées par nos gouvernants. La première préoccupation des citoyennes et des citoyens, c’est le pouvoir d’achat, puis la santé, l’agriculture. La migration, qui a été un sujet très mis sur le devant de la scène en France, arrive en dixième position.

VOUS ÊTES ENGAGÉ SUR LES DROITS HUMAINS DES EXILÉS. EN FRANCE COMME EN EUROPE, EST-CE QUE VOUS PENSEZ QUE NOUS VIVONS UN MOMENT DE RÉGRESSION ? QUELS SONT LES MOYENS DE LE CONJURER ?

Le pacte asile et migration, qui sera voté le 10 avril, est plus grave que la loi immigration. Il éloigne le plus possible les gens qui arrivent en Europe de la possibilité de demander l’asile. C’est très préoccupant pour les droits des étrangers, et nous n’avons pas de conseil constitutionnel au niveau européen. Des recours juridiques seront déposés, mais ils mettront des années à être examinés. Pendant ce temps, des milliers de gens vont en subir les conséquences.

Ce pacte est tellement grave que Darmanin en a été un des artisans au niveau européen : il savait très bien que des choses qui n’arriveraient pas à passer par la loi française reviendraient par ce biais-là, comme la possibilité d’enfermer des enfants de 6 ans, de prendre leurs empreintes digitales et de les enregistrer dans un système de reconnaissance faciale, en contradiction avec la convention internationale des droits de l’enfant.

Dans le programme de la Nupes qui sera celui de la liste d’ouverture que je rejoins, il y a l’accueil européen. Il faut qu’on soit proactifs dessus, et qu’on n’attende pas d’être acculés pour répondre.

Mathieu Dejean et Fabien Escalona, Mediapart

https://www.mediapart.fr/journal/po...


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