Gilets Jaunes : l’irruption du peuple sur la scène politique – 5 ans après

dimanche 26 novembre 2023.
 

Echo au manifeste de Barbara Stiegler et Christophe Pebarthe

5ème anniversaire des Gilets jaunes. On se souvient de la force du mouvement. L’irruption d’un peuple sur la scène politique. Des revendications tant sur le pouvoir d’achat et la justice fiscale que sur la démocratie. Avec notamment le Référendum d’initiative populaire. Toujours d’actualité. Toujours sans réponse.

Le gilet qui traîne dans la voiture n’est pas la seule persistance de ces deux années. Les traces des Gilets Jaunes sont nombreuses. Des chants et des slogans présents dans toutes les manifestations depuis 2018. Témoignages d’une colère toujours présente et qui se transmet. Une pléthore de films – documentaires, de Dominique Cabrera, Notes sur Commercy à David Dufresne, Un pays qui se tient sage ou fictions, La fracture de Dominique Corsini.

Des couleurs à nos murs, de la peinture inspirée de La Liberté guidant le peuple de Delacroix par Pascal Boyart au mouvement Black Lines, un groupe d’une trentaine d’artistes, et leur fresque de 300 mètres de long. Et la peur des puissants toujours vivace. Et, 5 ans après le début de ce mouvement historique, Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe publient Démocratie ! Manifeste. Ce mouvement n’a pas fini de faire des petits.

Barbara Stiegler a fait partie de ces intellectuels soutiens du Mouvement. En 2020, elle raconte les raisons et le chemin de son engagement dans Du cap aux grèves – récit d’une mobilisation. De la marée de gilets jaunes aux conflits pour défendre les retraites, l’éducation et la santé. Lors de la dernière présidentielle, elle rejoint le parlement de l’Union populaire et soutient Jean-Luc Mélenchon. Notre article.

5 ans après les Gilets Jaunes, Démocratie ! Manifeste, par Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe Barbara Stiegler publie ce mois-ci, avec l’historien Christophe Pébarthe, un ouvrage iconoclaste : Démocratie ! Manifeste. Un plaidoyer pour la démocratie directe qui démonte les idées reçues. Quelquefois ancestrales. Et met en perspective les enjeux historiques – passé et futur.

Pourquoi s’arrêter en militant sur le travail des historiens, des philosophes… ? Parce que nous avons besoin de penser pour agir. Comme d’agir pour penser. Et certaines recherches, en s’ancrant au réel et aux potentialités, portent l’avenir. Ce Manifeste vaut le coup d’être lu. Comme éclairage d’aujourd’hui. Pour la 6e République aussi.

La discussion au cœur du livre Démocratie ! Manifeste est bienvenue. Les deux auteurs y retournent plusieurs idées préconçues sur la démocratie. Enracinées comme a priori. Ils restituent son histoire. Ouvrent quelques chemins.

Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe commencent par penser l’écriture de leur Manifeste. Loin de la leçon. Et même loin du cours. Rendre problématiques nos idées toutes faites. Examiner les points durs. Lever l’espoir. Démocratiquement. Dans une forme métisse du dialogue entre eux et du cadavre exquis. Avant de transposer bientôt l’ouvrage au théâtre dans une forme jouée par eux-mêmes. Le spectacle tournera. Faites attention, il peut passer près de chez vous.

DÉMOCRATIE : Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple (Petit Robert) C’est au nom des « démocraties » que Gaza est bombardée. Cnews, BFM, LCI… nous récitent la guerre civilisatrice de nos « démocraties » contre le reste du monde. Selon Emmanuel Macron, la démocratie est « le régime qui correspond le mieux à l’individualisme contemporain ». Lors de son appel au peuple, à l’occasion du Grand débat, voulant répondre aux Gilets jaunes, le président conclue ainsi : « l’objectif c’est de vous entendre ». Seulement entendre ? Selon Marine Le Pen, « La démocratie c’est la restauration de l’État ».

Simultanément, dans les manifestations, dans les quartiers… les gens s’interrogent : « Sommes nous en démocratie ? ». Et, il y a quelques mois, la retraite à 64 ans a été adoptée malgré des millions de citoyens plusieurs fois dans la rue, une opinion à 80% défavorable – 90% pour les salariés – l’opposition de l’ensemble des syndicats, l’hostilité d’une majorité de parlementaires. À coups de 49.3. L’abstention massive ressemble de plus en plus à la restauration du suffrage censitaire. Sentiment d’osciller aujourd’hui, entre « une folle envie de démocratie et un épuisement démocratique ».

« Il existe des despotes de la démocratie », Achille Chavée Tout le monde se dit donc démocrate. Avec la lecture qui lui convient. C’est quoi la démocratie ?

Étymologiquement, la démocratie c’est le gouvernement du peuple par lui même. Pas une oligarchie, ni un gouvernement d’experts, ni même l’élection de personnes qui parlent en son nom. Un tel gouvernement a-t-il existé ?

Les auteurs du Manifeste le racontent. À Athènes, deux siècles de démocratie directe pour 60 000 citoyens. Malgré la scandaleuse exclusion des femmes, des esclaves… Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas l’oisiveté de ces citoyens qui leur permettait l’exercice démocratique. Cet exercice était l’affaire de citoyens laboureurs, artisans, pauvres… Majoritaires lors des délibérations.

Une journée entière de débats tous les 10 jours. Quorum à 6 000 pour commencer. Leurs sujets : l’inflation, la famine, les épidémies, la guerre… Les citoyens prenaient la parole. Ils n’élisaient pas mais votaient. La décision adoptée devenait un bien commun. Parce que rester ensemble était plus fort que l’impuissance et camper sur ses positions.

Avec des dispositifs permants d’éducation et de formation à la citoyenneté. Comme l’obligation – pour tous et toutes cette fois-ci – du théâtre. Et l’ouverture du questionnement sur qui peut dire la loi avec Antigone. Ou les limites du savoir avec Œdipe… Le théâtre comme miroir et apprentissage citoyen. Expérience collective, intellectuelle et émotionnelle.

Dans Démocratie ! Manifeste, on croise de nombreux moments de l’histoire où le peuple cherche la voie pour se faire entendre. Directement.

Alors, pourquoi la démocratie en est-elle à se ramasser dans l’abandon de ce pouvoir du peuple à des représentants élus ? La démocratie peut-elle se résumer à choisir son champion de temps en temps ? Et quand elle choisit « mal », les entendre insultés, coupés, voués aux gémonies.

Pour aller plus loin : Les parasites d’en haut : ces invisibles qui détruisent la planète, qu’on ne vous montre jamais

Démocratie et délégation, un débat permanent Parmi les arguments répandus, les auteurs démontent celui qui affirme que la représentation est la prolongation de la démocratie directe.

Ils contredisent l’idée du continuum entre démocratie directe et représentation. En passant en revue les débats des moments fondateurs. Par exemple la Démocratie athénienne ou la Révolution française. Et la violence des confrontations entre démocratie et système représentatif. Des débats jalonnant la vie publique. En tous temps.

Ils décortiquent Platon défendant déjà « le gouvernement des meilleurs » caractérisant la démocratie comme « le gouvernement d’une foule d’ignorants ». « Dans une cité démocratique, tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens. (…) Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence ; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques. (…)

N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout ? Qu’il pénètre dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin, l’anarchie gagne jusqu’aux animaux ? Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement. » La République, Platon.

Ce débat traverse aussi la Révolution française. Barnave, le girondin assumait le « devoir de tenir compte de l’opinion publique » mais fustigeait « l’exercice immédiat de la souveraineté, la démocratie prouvée par l’expérience comme le plus grand des fléaux dans les plus petits états où le peuple peut se réunir. (…) le peuple est souverain mais ses représentants sont ses tuteurs ». A l’opposé, le 10 mai 1793, Robespierre dénonçait « la perfide tranquillité du despotisme représentatif ». La culture jacobine et sans-culotte critiquant le principe même de représentation.

Barbara Stiegler et Christophe Perbathe donnent une multitude d’exemples prouvant que ce débat rythme l’histoire. Surtout au moments d’irruptions du peuple sur la scène politique. La sommation démocratique des Gilets Jaunes l’a encore illustré.

« Un chameau ? C’est un cheval dessiné par une commission d’experts », Francis Blanche Autre argument utilisé contre la démocratie directe : la complexité des affaires et la qualification des experts pour démêler et décider l’intérêt commun.

On pourrait vite régler son sort à une telle affirmation. Tant sont nombreux les exemples des erreurs, des fautes, des mensonges.. des experts. Ou tout simplement de leurs contradictions entre eux. Sur tous les champs. Économique, sociaux, sanitaires, écologiques… Tant il semble accessible de prouver combien le peuple est lui même plus compétent que les élus pour saisir l’intérêt général. L’aristocratie élective, et ses acquêts, Julia Cagé la décrypte dans Le prix de la démocratie. Elle y raconte parfaitement le rôle de l’argent, la défense des intérêts de classe et les dés pipés de l’accès aux mandats. À l’inverse chacun constate la maltraitance médiatique de ceux qui osent sortir des clous

« La démocratie est un enfant des rues qu’il va falloir domestiquer » – Alexis de Tocqueville ON EST LA – Gilets jaunes

Au cœur de cet ouvrage, le peuple. Un peuple dont l’idée est née à Athènes quand les citoyens se sont assemblés pour assiéger les partisans d’un gouvernement du petit nombre réfugiés sur l’Acropole. Ce peuple que les puissants ont intérêt à bâillonner. Celui qui se constitue en force plus importante que la somme de ses membres. Celui qui surgit. Comme le décrivent si bien les bédéastes Florent Grouazel et Younn Locard dans « Révolution ».

Ou l’écrivain Eric Vuillard dans 14 juillet. : « De la Bastille, il ne reste rien. La démolition du bâtiment commença dès la nuit du 14 juillet 1789. De l’événement, nous avons les récits du temps. Les députations de notables qui se rendirent à la citadelle et les délibérations de l’Hôtel de Ville y prennent une importance démesurée. On nous raconte la prise de la Bastille du point de vue de ceux qui n’y étaient pas ; et qui vont devenir nos représentants. Ils n’y étaient pas et ne souhaitaient d’ailleurs pas que la Bastille tombe. Ils firent même tout pour l’empêcher. Mais ils ont laissé des témoignages.

Car ces gens-là savaient écrire. Il fallait donc retrouver les relations des gens ordinaires, s’appuyer sur le récit personnel de leur participation à l’émeute du 14 Juillet. Il fallait éviter tout surplomb, afin de ne pas écrire un 14 Juillet vu du ciel. En m’en tenant aux récits méprisés, écartés, j’ai voulu me fondre dans la foule. Et puisque c’est bien le grand nombre anonyme qui fut victorieux ce jour-là, il fallait également fouiller les archives, celles de la police, où se trouve la mémoire des pauvres gens.

L’Histoire nous a laissé un compte et une liste : le compte est de 98 morts parmi les assaillants ; et la liste officielle des vainqueurs de la Bastille comporte 954 noms. Il m’a semblé que la littérature devait redonner vie à l’action, rendre l’événement à la foule et à ces hommes un visage. À une époque où un peuple se cherche, où il apparaît sur certaines places de temps à autre, il n’est peut-être pas inutile de raconter comment le peuple a surgi brusquement, et pour la première fois, sur la scène du monde »

Avec Eric Vuillard, on ressent qu’il n’est pas fatal que l’histoire soit écrite par les vainqueurs. Comme il serait logique de penser, avec Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe, que la participation d’un grand nombre, sous des formes variées, produise des décisions plus rationnelles et plus justes qu’un gouvernement « représentatif ». Grâce à l’intelligence collective et la délibération démocratique.

.La démocratie irréalisable ? Non, irréalisée Alors puisque le débat à toujours existé entre démocratie directe et représentation, puisque la nocivité du gouvernement du petit nombre ou des experts est patente, l’échelle d’un pays n’est-elle pas devenue trop grande pour expérimenter la démocratie ? Ultime argument de ceux qui la craignent.

Là encore Barbara Stiegler et Christophe Pebarthe frayent un passage. Pour l’exercice de la souveraineté populaire qui ne s’abandonne pas dans la délégation. Leur livre se conclue en Manifeste pour que vienne la démocratie. Obstacles et possibilités. Détermination des centres de délibération et recherche d’articulation entre eux et de coordination. Leur conclusion est affirmée mais aussi provisoire. Les deux auteurs sont engagés dans une série d’Actes qui sont autant d’occasion de préciser, d’approfondir et d’élargir le champ de leur réflexion. Avec les citoyens. Dans des librairies, des théâtres, des locaux associatifs, des parcs… En annexe on trouvera les enregistrements disponibles. On surveillera les rendez-vous à venir.

Par Laurent Klajnbaum

Démocratie ! Un manifeste – Barbara Stiegler / Christophe Pébarthe – ed. Le bord de l’eau

Du cap aux grèves – Barbara Stiegler – ed. Verdier

Athènes, l’autre démocratie Ve siècle avant JC – Christophe Pébarthe – ed. Passé composé

14 juillet – Eric Vuillard – ed. Actes sud

Révolution Tome 1 : Liberté – Florent Grouazel et Younn Locard – Actes sud BD


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