Italie : ce qui change (ou pas) dans un pays dirigé par l’extrême droite

samedi 13 mai 2023.
 

Quelques mois ne suffisent pas pour voir tout ce qu’opère la présence d’une dirigeante d’extrême droite à la tête d’une grande démocratie européenne. Mais ils permettent déjà de saisir ce qui pourrait basculer. Premier bilan du gouvernement de Giorgia Meloni.

« Souvenez-vous du Covid, quand toute l’Europe regardait l’Italie en pensant que le désastre ne franchirait pas les frontières, avertit d’emblée la chercheuse Sara Garbagnoli. Giorgia Meloni n’est pas arrivée au pouvoir amenée par une cigogne. Elle est le fruit d’une radicalisation néolibérale et d’une banalisation du racisme qui s’observent ailleurs. Mais il y a une forme d’insensibilisation à la menace que son gouvernement peut représenter. »

L’Italie de Meloni, au pouvoir depuis octobre dernier, est-elle alors un laboratoire politique : celui où la fusion des droites traditionnelles et radicales catalyse, in fine, l’arrivée à la fonction suprême de la cheffe d’une formation d’extrême droite ?

« Tout dépend de ce qu’on appelle “laboratoire” et du référentiel que l’on se donne, répond Caterina Froio, spécialiste de l’extrême droite et enseignante-chercheuse à Sciences Po, au centre d’études européennes et de politique comparée (CNRS). Si on regarde les transformations et les évolutions de l’extrême droite en Italie de l’après-guerre jusqu’à nos jours, on peut juger que ce pays a été un incubateur de tendances qu’on retrouve ailleurs en Europe. Mais si on s’intéresse aux extrêmes droites contemporaines, c’est plutôt du côté de la Hongrie ou de la Pologne qu’il faut se tourner. »

Marine Le Pen, dans un entretien récent donné au quotidien italien La Repubblica, a refusé d’être considérée comme la « sœur jumelle » de Giorgia Meloni, en répétant sa « loyauté » vis-à-vis de Matteo Salvini, le leader de la Ligue, qui fait partie de la coalition gouvernementale italienne. La présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée a surtout pris ses distances avec la cheffe du gouvernement italien en raison de l’affichage atlantiste et de positions jugées trop pro-européennes de cette dernière.

Il n’empêche que, depuis la France, Giorgia Meloni semble avoir réussi l’alchimie que cherche Marine Le Pen depuis des années : convertir un petit parti d’extrême droite nostalgique du passé en première force électorale du pays, capable de propulser sa dirigeante à la tête d’une grande démocratie européenne.

Un processus qui ne se réduit pas au terme de « dédiabolisation », que Caterina Froio juge trompeur « parce qu’il suggère une forme de modération de ces partis de droite radicale populiste ». « Je préfère parler de normalisation des idées de ces partis qui ont acquis un rôle de plus en plus central et arrivent même à participer à des gouvernements, voire à les diriger. Mais la conséquence de ce processus n’est pas de modérer ces partis, ce serait plutôt de radicaliser les partis de droite avec lesquels ils gouvernent, comme on l’a vu avec les gouvernements Berlusconi successifs. »

La différence entre une Meloni « président » du Conseil italien, et non présidente, comme elle a insisté pour se faire appeler, et une Marine Le Pen présidente de la République française, tiendrait aussi à la nature de la démocratie italienne, où l’exécutif concentre entre ses mains moins de pouvoirs qu’en France.

Le parlementarisme et la proportionnelle obligent quiconque veut gouverner à nouer des alliances, sans même évoquer l’organisation plus décentralisée et fédérale du pays, qui donne aux « gouverneurs » des régions des latitudes d’action susceptibles de battre en brèche le monopole du pouvoir exécutif.

Une réforme présidentialiste, sur le modèle français, est dans les tuyaux, même si ses contours comme son calendrier demeurent flous. Pour le chercheur Steven Forti, auteur d’un livre encore non traduit intitulé Extrême droite 2.0 : de la normalisation à la lutte pour l’hégémonie, une « telle réforme n’est pas facile à faire mais pas non plus impossible. Il suffit qu’une majorité parlementaire la vote, puis qu’un référendum populaire approuve ce vote. C’est de cette façon qu’avait été facilement approuvée la réduction du nombre de députés et de sénateurs en 2020. En jouant du sentiment “antipolitique” des Italiens et de l’épouvantail de l’instabilité gouvernementale, c’est le meilleur moment pour faire approuver un changement qui serait aussi important que votre passage de la IVe à la Ve République ».

Giorgia Meloni met ses pieds, en matière géopolitique et macroéconomique, dans les pas du gouvernement auquel elle a succédé.

Quels que soient les échos possibles, ou non, entre les deux côtés des Alpes, les premiers mois du gouvernement Meloni laissent un sentiment ambivalent.

Le fait que la coalition aujourd’hui au pouvoir soit, avec le parti Forza Italia de Berlusconi, la Ligue et un parti post-fasciste – Fratelli d’Italia aujourd’hui, Alliance nationale hier –, la même coalition qui a déjà dirigé l’Italie pendant la majorité des vingt dernières années incite à ne pas voir de bascule fondamentale.

Et ce même si les équilibres internes à la coalition ont changé, en laissant le leadership à la formation post-fasciste et en reléguant le parti de Berlusconi à un rôle de figuration, alors qu’il fut la force centrale et l’initiateur de cette alchimie politique qui se réclame de « centre-droit » mais fusionne droite et extrême droite.

L’autre réalité qui incite à penser que l’extrême droite arrivant au pouvoir ne renverse pas immédiatement la table est liée au fait que Giorgia Meloni met ses pieds, en matière géopolitique et macroéconomique, dans les pas du gouvernement auquel elle a succédé. Celui-ci était pourtant dirigé par Mario Draghi, l’ancien gouverneur de la Banque d’Italie et ancien président de la Banque centrale européenne jusqu’en 2019.

Même l’idée d’un « blocus naval » à l’encontre des embarcations de migrant·es en provenance d’Afrique du Nord, qui se situait au cœur de la rhétorique du parti Fratelli d’Italia ces dernières années, a été abandonnée aussitôt Meloni parvenue au pouvoir.

Ce gouvernement d’extrême droite n’est pas n’importe quel exécutif simplement plus conservateur que les précédents.

Steven Forti, chercheur

Toutefois, juge Steven Forti, « on ne peut pas dire que rien n’ait changé. Les politiques économiques, budgétaires ou diplomatiques sont certes similaires à ce que faisait le gouvernement précédent. Meloni a compris tout de suite que, si elle voulait conserver le pouvoir, il y avait deux lignes rouges : montrer à Washington que l’Italie est un partenaire fiable sur fond de guerre en Ukraine et ne pas heurter de front Bruxelles, alors que son parti prônait la sortie de l’euro il y a moins de dix ans ».

« Mais, poursuit le chercheur, sur les questions identitaires, les migrants, les droits sociaux et civiques, il y a déjà un vrai changement qui n’est pas que rhétorique. Ce gouvernement d’extrême droite n’est pas n’importe quel exécutif simplement plus conservateur que les précédents. C’est clairement une menace pour la démocratie. Et il faut penser que cela ne fait que six mois qu’il a pris ses fonctions. »

L’Italie de Meloni n’est pas devenue en six mois la Hongrie d’Orbán. Mais ont été successivement annoncés ou promulgués la fin du revenu de citoyenneté, une sorte de RSA mis en place à l’initiative du Mouvement Cinq Étoiles en 2019 ; l’obligation faite aux ONG de bateaux qui secourent les migrant·es en mer de débarquer dans les ports lointains du nord de l’Italie ; la mise en place d’un « état d’urgence migratoire » aux contours incertains ; la loi votée en urgence contre les raves ; l’interdiction faite aux autorités locales de transcrire la filiation d’un enfant né à l’étranger de parents de même sexe, comme beaucoup le faisaient auparavant ; ou encore la volonté de remettre en cause la législation de 2017 qui définit la torture comme un crime à la suite d’un rapport du Conseil de l’Europe ayant pointé, en mars dernier, les nombreux abus commis dans les prisons italiennes…

Tout cela dessine, d’autant que les annonces et mesures les plus importantes datent des dernières semaines, de possibles accélérations qui laissent penser que le sentiment de continuité pourrait être trompeur. Même s’il demeure souvent difficile de distinguer ce qui relève de la provocation médiatique de l’agenda déterminé. Et même si l’extrême droite au pouvoir paraît fonctionner davantage par petites touches que par grands ravalements, par mouvements tactiques et localisés plus qu’au moyen de grandes lois trop visibles et susceptibles de susciter des réactions des voisins européens.

Dans ce mélange d’outrance et de normalisation qui caractérise les premiers mois du gouvernement Meloni, s’agit-il alors d’abord de compenser l’incapacité de peser sur le cours réel des choses par des annonces symboliques et des surenchères davantage verbales que véritables ?

D’autant plus que la dette publique - plus de 144 % du PIB – pèse, et que l’Italie a besoin de Bruxelles pour mettre en œuvre le « Plan national de relance et de résilience », le nom du programme par lequel le gouvernement est censé gérer les fonds européens du plan Next Generation EU, l’outil de relance économique mis en place par l’Union européenne après la pandémie de Covid-19, dont l’Italie est une des principales bénéficiaires, avec 191 milliards d’euros financés par l’UE.

Le site Grand Continent a récemment défini le moment Meloni comme un « techno-souverainisme », indiquant « une volonté de mélanger le souverainisme originel du mouvement de Meloni avec une capacité à rassurer Bruxelles, les alliés internationaux et l’opinion publique extérieure tout en maintenant un programme de droite radicale sur des questions plus culturelles et destinées à une opinion publique intérieure ».

Cela expliquerait aussi que l’extrême droite arrivant au pouvoir ne se soit pas empressée, comme on aurait pu s’y attendre, de prendre le contrôle des grands organismes publics ou des entreprises contrôlées par l’État. Le directeur de la Poste italienne, proche de l’ancien premier ministre Matteo Renzi, a été reconduit à son poste. Le dirigeant du puissant groupe énergétique Eni, fondamental sur fond d’invasion de l’Ukraine par la Russie et de tensions inflationnistes sur l’énergie, a lui aussi été reconduit. Et à la tête de l’autre géant de l’énergie et de l’électricité italien, Enel, se trouve désormais Flavio Cattaneo, un ancien directeur général de la RAI, la télévision publique, pourtant depuis longtemps dans le collimateur de l’extrême droite.

Dans un article, Lorenzo Castellani, chercheur en politique publique à l’université Luiss-Guido-Carli à Rome, s’appuie sur ces différents éléments pour juger que « l’Italie est un pays beaucoup plus immobile en profondeur que ce que l’agitation de la surface peut suggérer ».

Cependant, ces continuités, qu’elles se fassent sous la contrainte extérieure ou de façon plus endogène, ne doivent pas occulter une tectonique des plaques sans doute plus mouvante et susceptible de provoquer des tremblements de terre locaux ou nationaux. Celle-ci se repère aujourd’hui principalement dans quatre domaines.

Usages du passé

D’abord, les questions mémorielles, qui constituent sans doute la part la plus visible des mutations provoquées par l’extrême droite depuis son entrée en fonction. Pour l’historien Carlo Ginzburg, dont le père fut assassiné par la Gestapo en 1944, « ce qui a déjà changé de façon dramatique, c’est le rapport au passé, et plus précisément l’effacement de l’antifascisme. Je suis convaincu que la situation contemporaine ne peut être décrite en termes de fascisme, mais l’effacement de l’antifascisme est une réalité. Ce gouvernement gomme ainsi le fait que la Constitution italienne est née de la résistance au fascisme et au nazisme ».

Le président du Sénat, Ignazio La Russa, deuxième personnage de l’État et proche de Giorgia Meloni, connu pour être un collectionneur de bustes de Benito Mussolini, a ainsi déclaré qu’il « n’existe pas de référence à l’antifascisme dans la Constitution ».

Le même a ensuite ironisé sur un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire italienne, le massacre des Fosses ardéatines. En mars 1944, en représailles à un attentat commis par des partisans communistes ayant tué trente soldats allemands, les nazis ont exécuté 335 civils dont les corps furent enterrés en périphérie de Rome. La Russa s’est amusé du fait que les partisans italiens n’auraient abattu que « des membres semi-retraités d’un groupe musical » et non de véritables combattants…

Giorgia Meloni a, elle, semblé se distinguer de cette saillie, mais de façon ambiguë, puisqu’elle a rendu hommage aux 335 Italiens tués parce qu’Italiens, en négligeant le fait que 77 d’entre eux avaient été choisis parce que juifs, à une époque où la République sociale italienne – dont certains dignitaires ont créé ensuite le Movimento Sociale Italiano dont le parti de Meloni reprend le logo – les avait alors privés de leur citoyenneté.

Toutes ces polémiques sur le passé sont aussi une façon de déplacer l’attention du public par rapport aux mesures qu’on va prendre.

Carlo Ginzburg, historien

« Fratelli d’Italia a dès l’origine, souligne Caterina Froio, été divisé entre des membres qui mettaient en avant l’expérience historique du fascisme italien et d’autres tournés vers un autre modèle d’extrême droite. Giorgia Meloni n’a jamais pris position, ce qui lui permet de conserver une forme d’ambivalence. Cependant, il faut souligner qu’on a beaucoup scruté sa participation aux commémorations du 25 avril dernier, jour qui célèbre en Italie la libération du fascisme, mais que Berlusconi ne s’était, lui, jamais rendu à ces commémorations. » Giorgia Meloni a, plusieurs fois depuis son entrée en fonction, affirmé que Fratelli d’Italia avait « réglé ses comptes » avec l’héritage fasciste.

Pour Carlo Ginzburg, quoi qu’il en soit, « toutes ces polémiques sur le passé sont aussi une façon de déplacer l’attention du public par rapport aux mesures qu’on va prendre ou qu’on ne va pas prendre à l’égard de la situation contemporaine ».

Suppression d’aides sociales

Parmi les mesures annoncées que les polémiques mémorielles n’ont pas masquées se trouve la suppression du principal filet de sécurité sociale dont disposent les Italien·nes les plus pauvres. Giorgia Meloni a une conception ironique du 1er Mai, puisqu’elle a choisi le jour de la fête internationale des travailleurs et travailleuses pour confirmer la fin de la mesure phare obtenue en 2019 par le Mouvement Cinq Étoiles : le « revenu de citoyenneté », bénéficiant à des millions de personnes pauvres. Elle l’a justifié en invoquant la nécessité de « faire la différence entre ceux qui sont capables de travailler et ceux qui ne le sont pas ».

Cette forme de RSA, remplacé par un « chèque inclusion » nettement moins favorable, était pourtant déjà limitée et difficile à obtenir. Il est aujourd’hui touché par moins de la moitié de celles et ceux pouvant y prétendre, notamment parce qu’il exige d’accepter à peu près n’importe quelle offre d’emploi, y compris à des centaines de kilomètres, pour y avoir droit. Mais il avait, selon l’Institut italien de la statistique, permis de sortir environ un million de personnes de la pauvreté.

« Il ne me permet pas de nourrir les cinq membres de ma famille, puisque je touche seulement 1 050 euros par mois, mais je ne vois pas comment je pourrais m’en passer », explique Miza, la cinquantaine, sans saisir vraiment que le chèque le remplaçant sera beaucoup moins élevé.

Miza a parcouru vingt kilomètres en train et métro pour atteindre le « magasin social » de l’association Nonna Roma, situé au fond d’une cour grise, en périphérie orientale de Rome, à proximité du quartier HLM de Quarticciolo. Les familles dans le besoin peuvent, chaque mois, venir y chercher gratuitement de la nourriture, des couches, des jouets ou quelques vêtements.

Pour Margherita Venditti, 27 ans, qui gère ce dépôt de Nonna Roma, cette suppression est le signe que « le gouvernement Meloni mène une guerre aux pauvres ». « Je suis extrêmement inquiète, poursuit-elle. Même si ce revenu était trop bas et conditionné à tellement de choses qu’il était difficile de l’obtenir, il constituait le seul filet de sécurité pour les familles qui viennent ici. Comment vont-elles faire maintenant ? Prendre d’assaut les supermarchés ? »

Agenda natalo-nativiste

Il est ensuite impossible de saisir vraiment la politique italienne sans mesurer l’angoisse démographique qui étreint le pays, même si les conclusions à tirer de cette situation divergent. Un des premiers actes symboliques du gouvernement Meloni a ainsi été de rebaptiser le ministère des affaires familiales, devenu celui de « la famille, de la natalité et de l’égalité des chances », confié pour l’occasion à Eugenia Roccella, figure de La Manif pour tous version italienne, qui n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.

Les quelques fois où on entend pleurer un bébé sur un marché, tout le monde se retourne.

Erri de Luca, écrivain

En 2022, l’Italie a enregistré moins de 400 000 naissances, l’étiage le plus bas depuis le XIXe siècle. Et l’institut national de statistiques prévoit que l’Italie pourrait perdre plus de 20 % de sa population en cinquante ans, passant d’une petite soixantaine de millions d’habitant·es aujourd’hui à environ 47 millions en 2070.

Des chiffres qui ne suffisent pas à saisir la représentation que les Italien·nes se font de la trajectoire angoissante de leur pays. « L’Italie est le plus vieux pays du monde après le Japon, et la jeunesse italienne, qui constitue déjà une petite minorité de la population, s’exile à l’étranger, explique l’écrivain Erri de Luca. On voit rarement des femmes enceintes dans la rue. Les quelques fois où on entend pleurer un bébé sur un marché, tout le monde se retourne. »

Pour Chiara Saraceno, l’une des plus éminentes sociologues de la famille du pays, le « problème de l’Italie n’est pas simplement le taux de natalité, l’un des plus faibles d’Europe. Il est aussi [qu’il a] une population de plus en plus vieille, où l’âge moyen de reproduction est très élevé et [qu’il atteint] aujourd’hui des points de non-retour ». L’âge médian en Italie est de 46,2 ans contre 41,2 en France.

Face à cela, le gouvernement Meloni a principalement proposé d’augmenter le « bonus » ponctuel donné à la naissance et proposé des exonérations fiscales aux familles ayant plus d’un enfant. Un moyen détourné d’exclure de ces mesures les populations immigrées ou d’origine immigrée, dont beaucoup ne gagnent pas assez pour payer des impôts.

En outre, la politique néolibérale mise en œuvre par le gouvernement Meloni ne va qu’accentuer les réalités qui expliquent la faible démographie italienne : services publics défaillants, notamment en matière de garde d’enfants, allocations familiales quasi inexistantes, bourses pour étudiant·es inconnues dans un pays où l’université est payante…

L’agenda du gouvernement Meloni est ainsi sans doute moins nataliste que nativiste. Le ministre de l’agriculture, Francesco Lollobrigida, également beau-frère de Giorgia Meloni, a ainsi déclaré récemment : « Nous ne pouvons pas nous résigner à l’idée d’un remplacement ethnique : les Italiens ont moins d’enfants alors remplaçons-les par d’autres. Ce n’est pas la voie à suivre. »

« Le gouvernement veut soutenir la natalité, mais au sens de l’ethnicité italienne, détaille Chiara Saraceno. Pour ses membres, il s’agit d’éviter ce qu’ils nomment une substitution ethnique. C’est différent du discours traditionnel de l’Église qui défend le mariage traditionnel et combat l’avortement, mais sans faire de distinction pour cela entre “eux” et “nous”. »

Pour Carlo Ginzburg, « face à cette baisse de la natalité, au-delà même des questions éthiques, l’immigration est la solution évidente. Un renouveau de la gauche italienne passe par l’articulation de [la] situation démographique [du pays] et d’une politique migratoire à la fois plus humaine et plus réaliste ».

Attaques envers les minorités

Le dernier point saillant de la reconfiguration opérée par l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir est constitué par les attaques envers les femmes et les minorités : étrangers, LGBT… Qu’elles soient verbales ou physiques, qu’elles proviennent du cœur de l’institution ou que des individus s’y sentent autorisés par un discours tenu en haut lieu, la situation rappelle qu’un pouvoir politique ne se manifeste pas uniquement par la gestion au quotidien d’un pays ou le vote de dispositions législatives, mais aussi par le fait d’envoyer des messages qui seront entendus par des groupes radicalisés, certaines forces de l’ordre ou de simples citoyen·nes.

Pour Carlo Ginzburg, l’arrivée de Meloni au pouvoir a ainsi « changé l’ambiance au quotidien. La libération de la parole raciste n’est pas quelque chose qui a commencé avec ce gouvernement, mais on peut sentir qu’elle est encore moins taboue aujourd’hui. On perçoit aussi une intensification d’une parole antisémite qui aurait encore été impensable il y a quelques années ».

Exemple parmi d’autres, ce graffiti apparu récemment sur un mur de la ville de Viterbe, dans le Latium, représentant une croix gammée et visant la nouvelle présidente du Parti démocrate, Elly Schlein, d’origine juive ukrainienne, avec cette inscription : « Ton visage a déjà un destin macabre. »

Face à ces évolutions qui risquent de s’accentuer, de nouvelles résistances sont-elles d’ores et déjà à l’œuvre ? Caterina Froio rappelle que « Meloni opère dans un contexte particulier, qui est l’affaiblissement de l’opposition au Parlement, lui permettant de faire avancer son agenda. Le Mouvement Cinq Étoiles a gouverné avec la Ligue et se retrouve cantonné à affronter le gouvernement actuel sur l’enjeu spécifique du revenu de citoyenneté. Quant au Parti démocrate, même s’il faudra observer les effets de l’élection d’Elly Schlein, il semble vouloir attendre les prochaines élections, ce qui paraît risqué parce que la propagation de certaines idées dans le débat public risque de banaliser des discriminations envers les femmes, les LGBT, les migrants… »

Je ne vois guère de nouvelles formes de résistances contre ce gouvernement.

Wu Ming 1, écrivain et activiste

Roberto Bui, alias Wu Ming 1, membre du collectif bolognais Wu Ming agissant à la frontière de l’activisme et de la littérature, se dit lui aussi pessimiste. « Je ne vois guère de nouvelles formes de résistance contre ce gouvernement. Il y a des mobilisations sur le climat, la défense des territoires, mais elles se font autant contre la droite que contre le Parti démocrate, qui ne se distingue guère de la droite en matière d’économie ou de politique écologique et de bétonisation, même si c’est sur un mode plus hypocrite. À Bologne, les luttes importantes se font contre le gouvernement local et régional, c’est-à-dire contre le Parti démocrate : la plus importante de ces luttes étant l’opposition à un projet mastodonte d’élargissement de la Tangenziale, le réseau périphérique qui traverse la banlieues de la ville. »

La victoire, à la mi-avril, d’une coalition de gauche dans la ville d’Udine, dans le Frioul, permet-elle d’imaginer qu’une gauche plus affirmée et unie pourrait battre la coalition de droite et extrême droite dans les urnes, quand on sait qu’aux élections de septembre 2022, c’est avant tout l’abstention qui a fait le match ? Encore faudrait-il que celle-ci n’augmente pas encore, comme cela a été le cas aux récentes élections régionales, où la coalition au pouvoir au niveau national l’a emporté haut la main dans de nombreuses régions, notamment la Lombardie et le Latium.

Joseph Confavreux


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