Crise démocratique et néofascisme : Une terrible maladie née dans et de la République

jeudi 7 janvier 2016.
 

- par Pierre Serna de l’Institut d’histoire de 
la Révolution française, Paris-I

De quel symptôme, le cancer noir qui ronge la République est-il révélateur  ? Rien appris  ? Tout oublié  ? Que fais-je quand je raconte la crise de l’Ancien 
Régime, si ce n’est tenter d’expliquer comment une crise sociale et une crise politique, liées à une terrible crise économique, lorsque l’État royal (pas le pire des régimes dans l’Europe de 1789) est incapable 
d’assumer les fonctions de protection de ses sujets, parce que plongé dans une dette publique importante, parce qu’il ne sait plus se réformer, tiraillé par les puissances d’argent et les capitalistes qui l’asphyxient, et abandonne ses fonctions régaliennes ou va faire des guerres ailleurs  ? De quoi me parle ma fille, en classe de terminale lorsqu’elle me demande si nous vivons une autre crise de 29, avec montée du chômage, montée de la peur aux frontières, montée des extrémismes de droite, montée des intolérances, recul de la laïcité…. Rien appris, tout oublié  ? La Révolution finalement  ? Ou bien la guerre et le nouveau fascisme comme horizon pour tous nos jeunes étudiants  ? Nos enfants…

Le vrai état d’urgence est là  : le front de la haine, le FN, n’est pas hors République, il est une terrible maladie née dans et de la République. Il faut changer rigoureusement de stratégie et faire une histoire critique de la République qui est devenue, la douleur est réelle au moment de l’écrire, mais le constat s’impose  : notre ancien régime. La République est vieille, vieillie, usée, elle n’est plus dans un beau troisième âge actif et mûr, elle est entrée dans un quatrième âge de décrépitude, celui de l’arrivée de l’Alzheimer qui a pour nom FN, l’oubli de soi, l’effacement de la mémoire, le passé perdu des combats, des luttes à mener et des joies de vivre ensemble aussi.

Le calcul est rapide, 25 % plus ou moins pour le Front national, mais, pire, ce dont personne ne parle ou presque, 50 % d’abstention et voilà trois quarts des 40 millions d’électeurs qui ne sont pas encore républicains  ! qui sont sortis du projet républicain  ! Pourquoi  ? Parce qu’entre autres multiples réponses, la République n’a plus d’idées, n’a plus de projet, n’est même plus dans le XXIe siècle. Une seule remarque. Quelle tristesse que ce bureau de vote hier, avec ces assesseurs déprimés, ces papiers de mauvaise qualité, cet isoloir ridicule… Devant moi un nom écorché, «  il est difficile à prononcer votre nom…  ». Je laisse imaginer l’origine du nom… Mais quel jeune veut-il aller voter  ? Nous sommes capables de construire des drones pour aller tuer n’importe qui dans le monde mais pas pour construire un système de vote sécurisé pour que tous les jeunes votent plus facilement  ? Il y a encore quelques années il y avait des campagnes «  Votez pour qui vous voulez mais votez  ». L’état d’urgence citoyenne n’exige-t-il pas qu’un peu d’argent soit dépensé pour occuper les médias et les sites de discussion pour que l’on vote  ? La République n’est plus à l’ordre du jour, elle ne sait pas l’être et ne s’y met pas. Elle ne fait pas confiance à ses jeunes, elle est en retard, ne les écoute pas, ne sait pas construire la jeunesse de demain.

Une révolution n’est possible que lorsque l’impossible advient  ; le lien entre le peuple et sa bourgeoisie pour renverser un Ancien Régime en 1789, le lien entre des députés démocrates et des citoyens qui désirent plus de justice sociale en 1792, pour fonder la République. Nous avons complètement oublié qu’une révolution peut être aussi une contre-révolution, lorsqu’un autre impossible, qui semblait impensable la veille, advient. Que se passera-t-il lorsque le front de la haine aura passé alliance avec les islamistes radicaux  ? Impensable  ? Et les services d’ordre des manifestations contre le mariage pour tous  ? Qui les assurait parfois  ?… Qui désire le chaos de la guerre civile par l’invention de cette supercherie intellectuelle qu’est le «  choc des civilisations  »  ?

Il faut réinventer la République pour le XXIe siècle, pour la jeunesse qui se tait et ne vote pas. Sinon, nous serons complices de ce qui se passe et va se passer. C’est la République qui est malade. Qui souffre de son Alzheimer. Le FN n’est que le symptôme qu’il faut détruire. Avec le XXIe siècle, avec notre jeunesse cosmopolite, avec la modernité, avec un nouvel horizon d’idéalité.

* Cette tribune fait partie d’un dossier de L’Humanité intitulé : Notre démocratie est-elle assez forte pour résister aux néofascismes ?


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