La semaine de 4 jours sans perte de salaire : l’essayer c’est l’adopter

mercredi 26 avril 2023.
 

Plus de productivité et de bien être chez les salariés, baisse de 71 % des burn-out, de 65 % des jours d’arrêt maladie et de 57 % des risques de démission : les résultats de la plus grande expérimentation de la semaine de 4 jours menée au Royaume-Uni sont plus que prometteurs. C’est un sujet fondamental : celui de la place du travail dans nos vies, du temps libre, non contraint, du temps libéré du capitalisme.

En 2015, c’est l’Islande qui décide d’expérimenter la semaine de travail sur quatre jours à salaire égal. En 2019, les résultats sont spectaculaires. La mesure est généralisée et concerne 90% des salariés du pays. En 2022, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Irlande se lancent dans l’aventure. A l’opposé d’Emmanuel Macron qui veut nous forcer à travailler plus pour gagner moins, la semaine de quatre jours à salaire égal propose de travailler moins pour travailler mieux.

Les bénéfices sont maintenant solidement démontrés : baisse du stress, de l’absentéisme, de l’épuisement professionnel, hausse de la productivité et du bien-être. Dernièrement des chercheurs étudient la possibilité d’une baisse de l’empreinte carbone. En France, il faudra d’abord dégager Emmanuel Macron. À l’opposée de la retraite à 64 ans, de l’accélération sociale et de l’aliénation du temps, le sens de l’histoire : ralentir. Tour d’horizon des expérimentations de la semaine de 4 jours pays par pays. Notre article.

L’Islande, pays pionnier de la semaine de 4 jours sans perte de salaire En 2015, l’Islande lance l’expérimentation de la semaine de 4 jours. Pour 2500 personnes, le temps de travail passe de 40 à 35 heures. L’évaluation des effets, au bout des quatre années de test, sont largement positives. Les chercheurs constatent une réduction du stress et de l’épuisement des travailleurs. Ce qui augmente au contraire, c’est l’équilibre vie professionnelle – vie privée. Plus de temps libéré de la machine productive, c’est plus de temps pour s’occuper de sa santé, de son logement, de ses enfants.

Et ce qui reste globalement stable ? C’est la productivité. Moins de temps de travail impose de réduire les tâches inutiles et les réunions chronophages. Parfois, la productivité peut même augmenter, notamment dans le secteur des services. Avec la volonté de profiter de trois pleines journées l’esprit léger, certains travailleurs mettent les bouchés doubles pour terminer leurs missions. Une chose pratiquement impossible à faire le vendredi après-midi où pour beaucoup, le peu qui reste d’énergie est souvent utilisé à faire semblant de travailler en attendant le week-end.

A partir de 2019, ces résultats encouragent les syndicats à se lancer dans de longues négociations pour généraliser le plus largement possible cette mesure. Aujourd’hui, 86% des Islandais bénéficient d’une réduction du temps de travail. Avec toujours des effets largement positifs sur le bien-être de la population.

Récemment, c’est la baisse de 21,3% l’empreinte carbone de la production qui a été démontré par l’association Platform (rapport en anglais, résumé par Reporterre)

L’Espagne et l’Écosse s’inspire du modèle islandais avec le soutien de la population En Écosse, le gouvernement lance en 2022 un projet de réduction de 20% du temps de travail, sans perte de salaire. Les participants témoignent d’une amélioration de leur santé et de leur bonheur.

L’Espagne a lancé une nouvelle expérimentation le 11 janvier 2023. Une subvention est proposée pour des petites et moyennes entreprises du secteur industriel qui se portent volontaires pour modifier leur méthode de production. L’objectif est de parvenir à une baisse de 10% du temps de travail sans perte de salaire.

Ce pays où les régions ont un fort pouvoir économique est un laboratoire plein d’enseignements. En effet, le gouvernement central s’est lancé dans un grand chantier de passage à la semaine de 32 heures. Partout dans le pays, de nombreux tests de la semaine de 4 jours sont ainsi lancés. Avec de fortes disparités. En effet, contrairement à l’expérimentation financée par le gouvernement, plusieurs entreprises comme Telefonica ou Desigual veulent profiter de cette baisse du temps de travail pour réduire les salaires. Étrangement, cela n’a pas rencontré un enthousiasme massif chez les travailleurs.

Ces multinationales ne sont pas les seules à masquer une précarisation derrière une prétendue volonté de progrès. Des gouvernements s’y essaient aussi.

En Belgique, le dévoiement de la semaine de 4 jours soulève l’indignation En Belgique, l’objectif affiché est d’assouplir le marché du travail. Vous sentez comment ça pue ? Vous avez raison. Le projet de semaine de 4 jours ne s’accompagne nullement de réduction du temps de travail. Les syndicats des travailleurs sont donc majoritairement opposés à cette mesure.

Pour résumer, là où des gens qui se pensent très intelligent cherchent à berner les travailleurs, cette filouterie suscite le rejet. En revanche, la semaine de 4 jours sans perte de salaire inspirée du modèle islandais rencontre un succès grandissant, aussi bien chez les travailleurs que pour les dirigeants des entreprises. Cela explique que des projets soient à l’étude, ou en phase d’expérimentation dans quelques entreprises dans un nombre croissant de pays : Au Canada, en Irlande, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne.

Les résultats de la phase d’expérience au Royaume-Uni viennent de paraître et confirment l’exemple islandais. 39% des travailleurs se déclarent moins stressés, 71% constatent une baisse de leur niveau d’épuisement professionnel. Anxiété, fatigue, problèmes de sommeil ont diminué tandis que la santé mentale et physique des travailleurs s’est améliorée.

Une conséquence négative doit en revanche être gardée à l’esprit : la charge de travail s’est globalement maintenue, les rythmes de travail se sont donc accélérés sur les quatre jours restants. Si cela est compensé par une journée libérée qui permet de décompresser, certains travailleurs regrettent la perte de moment de convivialité, ces petits moments non productifs partagés avec leurs collègues. La solution à ce problème ne pourra être qu’un ralentissement plus structurel de nos façons de vivre.

Pour aller plus loin : Retraites : le droit de ralentir, le droit de regarder la mer

Côté employeurs, les entreprises observent une baisse de 57% des démissions et une diminution des arrêts maladie. Le chiffre d’affaires augmente légèrement (en moyenne de 1,4 %).

Pendant ce temps, en France, le forcené de l’Elysée s’acharne à augmenter le temps de travail, totalement à contre-courant du sens de l’Histoire.

Toutes ces expériences menées par des gouvernements qui s’accommodent par ailleurs de l’essentiel des vicissitudes de l’économie capitaliste démontrent que cette mesure est parfaitement compatible dans une vision réformiste, une politique d’accompagnement, de correction à la marge des effets délétères de l’exploitation.

La semaine de 4 jours possède également un potentiel révolutionnaire Retour à la base : Karl Marx Le Capital

Première chose à comprendre : Le capital se nourrit de la sur-valeur du travail. Dit simplement : les employeurs ne paient pas les travailleurs pour toutes les heures qui effectuent. Une partie de la valeur qu’ils produisent est prélevée pour grossir le capital.

La diminution du temps de travail, sans perte de salaire, comme celle présentée dans cet article, va totalement à rebours de cette logique. Elle ponctionne directement dans les poches du capital pour libérer du temps à ce que doivent vendre leur force de travail pour vivre.

Deuxième point : Le système capitaliste repose sur une recherche effrénée de l’augmentation de la survaleur. Il faut produire plus, vendre plus, en rémunérant toujours moins le travail, pour gagner des parts de marché, pour rembourser ses emprunts qui ont permis d’investir dans de nouvelles machines. Au fur et à mesure, le capital grossit, prend de plus en plus de place dans la production. Or, le capital ne produit pas de survaleur. Mécaniquement, la part de survaleur par rapport au capital investi, appelé taux de profit diminue. C’est une contradiction majeure du capitalisme découvert par Karl Marx, la baisse tendancielle du taux de profit.

La baisse du temps de travail sans perte de salaire entraîne une baisse drastique de la survaleur prélevée par le capital et accélère donc la baisse tendancielle du taux de profit. Et donc l’instabilité du système capitaliste. Plus cette instabilité économique augmente, plus visible, plus évidente devient nécessité de dépasser ce système. La mise au grand jour des contradictions inhérentes au capitalisme accélère le désir de sortir de cette crise permanente, le désir de révolution sociale.

On l’a vu lors de la crise du Covid. Ce brutal coup d’arrêt à une partie l’économie capitaliste mondialisée, a fait émerger rapidement une rhétorique du “monde d’après”, fait de partage des richesses, de services publics, d’aspiration au sens au travail et au droit au temps libéré. Lorsque la machine a repris, les dirigeants bourgeois se sont empressés de tenter de faire oublier ces aspirations proto-révolutionnaires. Par la diversion raciale, par la brutalité policière, par l’inflation qui menace la sécurité alimentaire jusque dans les pays les plus riches du monde, il y sont en partie parvenus. En partie seulement.

Les travailleurs restent déterminés à affirmer leur souveraineté sur le capital Depuis 2020, les exemples sont nombreux.

Le phénomène de la Grande démission, est particulièrement fort aux Etats-Unis. Les gens refusent les mauvaises conditions de travail et préfèrent sortir, au moins pour un temps, de ce système d’exploitation.

En France, le score de Jean-Luc Mélenchon, théoricien de la révolution citoyenne, à l’élection présidentielle de 2022, puis l’union de la gauche sur un programme de rupture avec le capitalisme démontrent la persistance de cette aspirations à un changement global et radical de l’organisation économique et sociale. En 2023, la lutte contre l’allongement de la durée de cotisation s’inscrit parfaitement dans ce refus d’augmenter la survaleur prélevée sur le travail par le capital.

Enfin, pour revenir à notre sujet de départ, la propagation rapide de cette revendication de la semaine de 4 jours lorsqu’elle s’accompagne d’une véritable baisse du temps de travail sans perte de salaire, notamment depuis 2022, est également un signe que la prise de conscience lors de la crise du Covid continue de nourrir une dynamique anticapitaliste.

Par Ulysse


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