David Harvey, le géographe le plus cité au monde, reçu par l’Institut La Boétie et Jean-Luc Mélenchon

samedi 22 avril 2023.
 

Samedi 8 avril, l’Institut La Boétie organisait une conférence avec David Harvey, le géographe le plus cité du monde. La jeune fondation frappe un grand coup pour s’affirmer comme un lieu ambitieux de la production intellectuelle française.

Ce chercheur tire sa renommée mondiale d’une intuition aussi simple que féconde : appliquer le cadre théorique marxiste développé dans Le Capital à la géographie et à l’urbanisme. Grâce à cette grille de lecture, David Harvey a découvert comment le capitalisme utilise toujours l’espace pour résoudre ses contradictions économiques internes. Ainsi, il a à la fois révolutionné la géographie et l’urbanisme et ouvert le champ à de nouvelles dynamiques de luttes anticapitalistes.

Ce mercredi 12 avril aura lieu un échange entre le géographe et Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie et théoricien de la révolution citoyenne. Un moment qui promet d’être riche d’enseignements pour qui souhaite dépasser le capitalisme et sa soif illimitée de profits monétaires, pour diriger enfin l’activité humaine vers l’élévation du bien commun, de la santé, de l’éducation, de la culture et du temps libéré. À suivre en direct sur Youtube à partir de 19 h. Notre article.

Critique capitaliste au menu des discussions, longue file d’attente à l’entrée, équipe souriante et disciplinée, bienvenue à l’Institut La Boétie

Samedi 8 avril, à l’entrée de l’Institut de relations internationales et stratégiques, une longue file attend patiemment. À l’intérieur, comme lors de chaque événement insoumis, tout est prêt. Une équipe souriante et concentrée s’apprête à accueillir tous ces gens venus découvrir ou approfondir leur connaissance des idées d’un des penseurs majeurs de notre époque : David Harvey, le géographe qui a révolutionné la discipline en utilisant le cadre théorique développé par Karl Marx dans Le Capital.

À 14 heures précises, les portes ouvrent. Tous les inscrits sont invités à donner aux caisses de grève pour soutenir la lutte contre la réforme des retraites à 64 ans et à s’inscrire aux actualités de l’Institut La Boétie. Puis, les équipes de placement s’activent pour faire rentrer tout le monde dans la salle. Les équipes communication sont également présentes, afin de permettre à toutes les personnes qui n’ont pas pu venir de suivre en direct et en différé sur Youtube.

La conférence intitulée Géographie et Capital de David Harvey fait salle comble, il y a même des gens debout sur les côtés Pas de doute, nous assistons à un événement d’importance pour la production intellectuelle française.

Après une introduction par Cécile Gintrac, co-présidente du département de géographie de la fondation insoumise et Nicolas Vieillescazes, membre du conseil scientifique de l’Institut, on entre dans le vif du sujet. Il s’agira d’une séance de question posées en Français par les deux membres de l’institut auquel répondra David Harvey en anglais. Grâce au superbe travail de traduction de David Lee-Six, les échanges sont fluides. La différence d’idiome ne pose aucun problème de compréhension malgré la densité des sujets et des concepts abordés tout au long des deux heures de conférence.

Dans cet article, nous nous arrêterons uniquement sur la première question posée à David Harvey : comment-êtes vous devenu marxiste ?

Comment devient-on marxiste ?

En effet, ce qui donne une telle dimension à ce géographe, c’est qu’il fut le premier à utiliser la grille d’analyse du Capital à l’étude de l’espace. David Harvey a permis de découvrir comment le capitalisme utilisait l’espace pour résoudre ses principales contradictions économiques internes : en particulier, l’utilisation, l’absorption, des surplus de capitaux lorsque ceux-ci ne peuvent plus être réinvestis dans du capital productif au risque de dévaluer la valeur du capital et du travail.

Alors, comment ce penseur de 87 ans qui a révolutionné la géographie et l’urbanisme en est-il arrivé à Karl Marx ?

Pour comprendre, David Harvey nous ramène à sa prime jeunesse. À l’université, il étudie la géographie. Problème : tous ses professeurs sont colonialistes ou impérialistes. Au lieu de changer d’objet disciplinaire, il décide non moins que de changer la discipline. Il découvre au même moment les connexions avec l’urbanisme.

La géographie ne s’intéressait qu’aux spécificités et non aux lois générales. Donc il a fallu créer ce cadre. Le jeune étudiant devient autodidacte de l’économie politique, de l’histoire, de la sociologie pour essayer de construire un cadre théorique qui rassemble tous ces éléments. Mais rien ne lui semble pertinent à ce stade.

Il quitte l’Angleterre pour les États-Unis à Baltimore. L’année précédant son arrivée, la ville était le théâtre d’émeutes raciales.

Quel cadre théorique approprié pour comprendre ce phénomène urbain ? De la sociologie à l’économie, tout lui paraissait inapproprié. Et c’est là, qu’à 35 ans, il décide de commencer à lire Karl Marx. Un an de lecture pour un résultat qu’il résume en 4 mots : « I did not understand » (je n’avais rien compris.)

Donc il décide de monter un groupe de réflexion et de lecture sur Marx.

En parallèle, le jeune professeur participe à un projet bourgeois qui tentait de saisir l’impact des projets immobiliers sur les émeutes notamment à Baltimore.

Dans ce projet, il est nommé secrétaire, une position qui lui donne beaucoup de marge de liberté quant à l’interprétation des travaux réalisés. Il construit son rapport sur le contraste entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. C’est-à-dire précisément la première page du Capital de Marx.

Ce rapport est destiné à des promoteurs et des banquiers américains. Alors bien sûr, il ne cite pas Marx mais reprend les concepts. Et les financiers trouvent cela « great » (super). Si la première page du Capital mettait d’accord un jeune chercheur épris de justice sociale et des banquiers, qu’est ce que ça devait être la suite ?! Et c’est ainsi que David Harvey se lance dans la compréhension de la deuxième page.

Peu après, il découvre comment Engels explique que la seule manière pour la bourgeoisie de résoudre le problème du logement est de déplacer le problème. Il utilise cette intuition dans une conférence devant le vice-président de la banque Chase Manhattan en expliquant que les promoteurs cherchent à régénérer, réinventer la ville mais tout ce qu’il faut ce n’est que déplacer le problème à un autre endroit.

Et une nouvelle fois, les banquiers trouvent cela très intéressant. Le vice-président va même jusqu’à lui demander où il est allé chercher une idée si percutante et pertinente, et dans quelle université enseignait ce brillant intellectuel nommé « Engels ».

Ainsi David Harvey a trouvé le cadre théorique qui lui permettra d’analyser les problèmes géographiques de manière systémique, d’en explorer les lois générales et ses contradictions puis de développer une approche de l’urbanisme qui permette de s’en servir pour rendre la société plus juste (et combattre tous les banquiers-promoteurs du monde).

« I didn’t become marxist for ideological reason, I started to use Marx for practical reason »

« Je ne suis pas devenu marxiste pour des raisons idéologiques mais pour des raisons pratiques » David Harvey, 8 avril 2023

C’est ainsi, après deux articles où il citait Karl Marx, qu’il commence à être qualifié de marxiste. Il nous confesse qu’à l’époque, il ne savait pas ce que cela voulait dire. Et qu’à vrai dire, il ne sait toujours pas mais que cela n’a que peu d’importance. Car ce qui compte, c’est d’avoir la bonne analyse de son sujet d’étude. Et dans le Capital de Marx, il a trouvé les clefs d’analyse très justes pour analyser les dynamiques spatiales.


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