ITALIE : la liquidation de la gauche est plus avancée qu’en France, mais sa reconstruction aussi (par Denis Collin)

dimanche 28 octobre 2007.
 

Samedi 20 octobre : plus d’un million de personnes manifestent à Rome contre la précarité, en dépit de l’interdit de manifester lancé par la direction de la plus puissante centrale syndicale, le CGIL, dont les dirigeants inféodés au nouveau « Parti Démocrate » font ce qu’ils peuvent pour faire avaler aux travailleurs la politique de Romano Prodi, une version à peine repeinte en rose pâle de la politique de Silvio Berlusconi, à qui, d’ailleurs, les ex-DS comme Veltroni, le maire de Rome, tendent la main. Les membres de l’ancienne direction du PCI qui viennent de tenter de dissoudre la gauche en liquidant leur propre parti dans une machine électorale démocrate-chrétienne au service de Prodi ont raté leur coup. Le peuple italien vient de se rappeler à leur bon souvenir. La « une » du Manifesto appelle ce qui vient de se passer à Rome « la secousse rouge ».

L’éditorialiste de Il Manifesto (édition du 23 octobre 2007), Loris Campetti, titre « Une journée à ne pas gâcher ».

« Si à quelqu’un venait l’idée de reconstruire une gauche en Italie, il saurait par où commencer. Samedi à Rome, une foule énorme a dit à tous qu’à force de se contenter du moins pire on peut finir de la pire des manières : ressembler toujours plus à celui qu’on combat. Si bien qu’à la fin de la course on pourrait arriver qu’on ait gaspillé les énergies et les espérances tout à l’avantage de l’adversaire.

Une étrange hétérogenèse des fins. Les centaines de milliers d’hommes et de femmes qui samedi on manifesté avaient un ennemi commun : la précarité au travail ; la précarité de la vie décuplée par le fait que la guerre est entrée dans la normalité des choses ; la précarité des derniers, les migrants, et de tous les avant-derniers qui les précèdent et qu’ici on voudrait en guerre contre les derniers afin de permettre à l’état des choses existant de perdurer. La précarité est un drame collectif encore plus dangereux que Berlusconi parce qu’on ne réussit pas à l’expulser du gouvernement du pays, qui que ce soit qui gouverne. Samedi nous avons poussé un soupir de soulagement et pas seulement nous du « manifesto » qui avec d’autres hommes et femmes de bonne volonté avons contribué au succès d’un rendez-vous décisif pour quiconque a à cœur l’avenir de la gauche et, avant tout encore, pour une société solidaire : les deux sont à reconstruire, en partant cependant de ce qui ne s’est pas plié à la pensée unique, sur le plan social comme sur le plan politique. Et sur la place à Rome, il n’y avait pas tous ceux qui se bougent à gauche, pas tous ceux qui sont convaincus de la possibilité de construire un autre monde. Il faudra retourner pour nous parler et nous écouter et reprendre un chemin commun. En Italie, il n’y a pas seulement la psot-démocratie plébiscitaire, il y a des personnes, des mouvements, des expériences politiques utiles, non résiduelles, non nécessairement sectaires et divisées. Ce peuple souffrant, mais peut-être plus puissant qu’on ne le croit doit être entendu, doit obtenir des réponses matérielles et politiques. Il n’y a pas beaucoup de temps à disposition.

Tout va bien, alors ? Dépassées à coups de slogans, de drapeaux et de banderoles les difficultés et les divisions d’hier ? Certainement non, cette date de samedi dans les rues était pour la gauche tout autre chose que le coup d’épaule final. C’était un commencement, très important et cependant seulement un commencement. Il y aura des résistances, des hostilités, jusque dans notre camp. Peut-être même à l’intérieur des forces politiques qui avec générosité ont contribué à la réussite du 20 octobre. Figurons-nous ensuite s’il n’y aura pas des défenses corporatives dans la classe politique qui vit chaque souffle de la société - cette société qui a consenti à renvoyer Berlusconi à la maison - comme un problème, comme un risque à conjurer, à critique à réduire au silence par tous les moyens. Alors, que le gouvernement tombe comme le veut la droite du pays et de la majorité ou qu’il réussisse à passer la nuit, la défense de la route ouverte samedi ne peut être déléguée à personne.

Ce million de personnes et aussi tous ceux qui ont choisi de regarder les images à la télévision, doivent se mettre dans la tête que le destin est entre leurs mains.

Les signaux négatifs ne manquent pas. Le premier est arrivé de la direction de la Cgil qui, au lieu de se plonger dans une mer plus navigable et d’apporter au processus de refondation de la gauche des idées, une culture et une organisation, a ouvert la voie aux dissensions, pour savoir qui a plus le maintenu un rapport avec les travailleurs en percevant leurs précarité, leurs désillusions, leur solitude. Avec la motivation qu’il est nécessaire de sauver le gouvernement et empêcher toute modification du protocole [1], toute amélioration étant impossible, sauf à déséquilibrer une majorité chancelante : mauvais signal qui risque d’accélérer la fracture entre travailleurs et syndiqués, que l’issue de la consultation a seulement masquée. Ce n’est pas seulement une attaque contre le Fiom et ceux qui se sont battus contre le protocole, mais contre nous tous. Mais depuis samedi nous sommes moins seuls et nous avons un devoir en plus : aider la Cgil à se sauver, même contre elle-même. »

On le voit, les travailleurs italiens sont bien confrontés aux mêmes problèmes que les travailleurs français (ou allemands). L’effondrement des vieux partis réformistes engagés dans la collaboration avec la droite ou le soi-disant « centre » laisse béante la tâche à accomplir : construire une nouvelle force politique à gauche.

En Allemagne, il y a eu la construction du Linkpartei. En Italie, il y a la « Cosa rossa ». La “Cosa Rossa” (la chose rouge) est le terme curieux inventé par certains organes de presse au lendemain du IVe (et dernier !) congrès des Democratici di Sinistra (DS) pour identifier le regroupement qui, dans les faits n’existe pas encore, même sous la forme d’une simple coordination des partis et mouvements politiques qui se positionnent à gauche du soi-disant « Partito Democratico ». En se limitant aux groupes représentés au Parlement, en théorie on y trouve les Comunisti Italiani (une des branches du vieux PCI), Rifondazione Comunista (le PRC du président de la chambre, Fausto Bertinotti), le courant gauche des ex-DS, les Socialisti Democratici Italiani (une tentative de reconstruire un parti socialiste) et les Verdi (écologistes) soit un total de 48 sénateurs et 97 députés. Autrement dit, en Italie, la liquidation de la gauche est plus avancée qu’en France, mais sa reconstruction aussi ! Un peu de dialectique, toujours nécessaire.

[1] Il s’agit du protocole sur la réforme des régimes sociaux que la Cgil a fait accepter par référendum


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