EADS, le grand patronat et la droite française : Dallas sur Seine (éditorial de l’hebdomadaire A Gauche)

mercredi 10 octobre 2007.
 

Une bataille politique de grande ampleur s’est engagée autour de la révélation récente des délits d’initiés commis par les dirigeants du groupe EADS. Un gigantesque rouleau compresseur médiatique est déjà en place. Il répète sur tous les tons que cette affaire serait la conséquence de la présence de l’Etat dans un secteur où il n’aurait rien à faire. Il faut dire que les plumitifs chargés de vendre cette fable disposent de commanditaires puissants et fortunés. Le pouvoir sarkozyste d’un côté. Celui-ci veut pousser les feux de la libéralisation et dédouaner au passage des patrons qui comptent parmi les amis personnels et politiques du président de la République. Rappelons qu’Arnaud Lagardère est même intervenu lors d’un meeting présidentiel de Sarkozy, qu’il appelle « son frère ». Les groupes privés impliqués de l’autre. A moins qu’il ne s’agisse des mêmes. Ce même Lagardère est aussi le propriétaire du premier groupe d’édition français, ainsi que d’un immense consortium de presse, premier éditeur mondial de magazines. Il détient notamment Paris Match, le Journal du Dimanche, Europe 1, RFM et une dizaine de chaînes de télévision. Est-ce un hasard si le journal qui semble le plus courageux pour pointer la responsabilité des groupes privés dans ce délit d’initiés est... le Figaro, propriété de Dassault, éternel concurrent de Lagardère ?

La thèse centrale des voyous privés qui se muent en procureurs de la puissance publique est que l’Etat n’est pas intervenu. Mais il n’avait pas le droit de le faire ! Le pacte d’actionnaires mis en place sous la pression des groupes privés qui y sont majoritaires prévoyait explicitement l’interdiction pour l’Etat de se mêler de la gestion de l’entreprise. D’ailleurs la participation de l’Etat a été placée dans une société palier et celle-ci est représentée par Lagardère au Conseil d’administration d’EADS. De même, ceux qui cherchent à accuser l’Etat français d’avoir pris part au délit d’initié parce que l’Agence qui détient les participations de l’Etat (APE) avait suggéré de vendre les actions d’Airbus font mine d’oublier que le rôle de cette agence est justement de proposer à l’Etat de vendre ses participations dès lors que celles-ci atteignent un cours plafond, hors de toute considération sur leur importance stratégique pour le pays !

Dès lors, on comprend que ce n’est pas l’omniprésence de l’Etat qui est en cause mais bien son effacement méthodiquement organisé par les libéraux. Celui-ci a donné aux actionnaires privés les mains libres pour piller le groupe, s’approprier le fruit de décennies d’investissement public et de travail des salariés d’Airbus. Lorsqu’Airbus était un consortium public, il a su révolutionner les standards de l’industrie aéronautique. En moins de 30 ans, Airbus publique a conquis plus de 50% du marché mondial de l’aviation civile. Dès que les actionnaires privés sont arrivés, ils ont exigé une rentabilité supérieure, réclamé des résultats à court terme, gelé les investissements de long terme et vendu leurs parts à la première alerte de Bourse. Ils se sont abattus sur l’entreprise comme des prédateurs affamés, provoquant par leur avidité un désastre industriel et social. Dès 2002, pour nourrir l’appétit des actionnaires, Airbus prévoyait un plan de 6000 licenciements, heureusement bloqué en partie par l’Etat français. Airbus sera d’ailleurs obligée de recruter quasiment autant de salariés deux ans plus tard avec la relance du carnet de commande, le tout au prix d’une grosse perte de savoir faire et d’un énorme gaspillage humain et économique. Aujourd’hui, le plan Power 8 prévoit 10000 nouvelles suppressions d’emplois avec comme unique objectif de dégager une marge bénéficiaire de 2 milliards d’euros par an. Le communiqué du groupe explique d’ailleurs sans complexe qu’« EADS utilise l’EBIT [mesure du profit] comme indicateur clé de ses performances économiques ». Dans cette logique financière, ni la qualité et la sécurité de la production, ni la part de marché de l’Europe face aux Etats-Unis, ni le niveau et la qualité de l’emploi ne sont pris en compte.

C’est avec cette logique financière qu’il faut rompre, en redonnant à l’Etat le pouvoir d’imposer la suprématie de l’intérêt général face aux appétits privés dans des industries vitales pour le développement économique, la sécurité du pays, l’emploi. Le pouvoir actuel cherche à faire l’inverse en se réclamant du désastre d’Airbus pour en aggraver les causes. Ce n’est pas un hasard. Si la droite gaulliste pouvait penser une politique industrielle publique, c’est dans un contexte bien particulier. Le patronat français avait été sorti du jeu politique par la Collaboration dans laquelle il avait très majoritairement versé. Dès lors De Gaulle n’était pas le simple jouet des grands patrons. Il pouvait parfois leur tenir tête et réfréner leurs ardeurs. Cela le distinguait par exemple de la droite américaine, dont les liens avec les milieux d’affaire sont carrément consanguins, comme le montre Bush. Mais Sarkozy n’a pas cette indépendance. C’est une action de plus dans le portefeuille de Lagardère.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message