Dérèglement climatique : Ni coupables, ni responsables : vraiment ?

lundi 23 août 2021.
 

De nombreux Occidentaux s’enferment toujours dans un lourd déni lorsqu’il s’agit d’assumer nos responsabilités, en matière climatique, environnementale et humaine. Pour celles et ceux qui auraient encore quelques doutes, nous conseillons les lignes suivantes, dans l’idée d’une prise de conscience salvatrice.

Pourquoi en sommes-nous arrivés à une telle urgence climatique ?

Le 7 août 2021, le GIEC a émis le premier volet de son 6ème rapport ‘’Climate Change 2021 : The Physical Science Basis’’, fait de 3949 pages d’indications très précises sur le changement climatique[1]. Après tant d’alertes scientifiques, depuis les années 1970, le tocsin sonne de nouveau ! Un mois plus tôt, en juin 2021, c’était, à l’échelle très locale de la métropole niçoise, que le GREC-SUD (groupe régional d’experts sur le climat en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur) détaillait l’immense problème climatique, avec son document ‘’La Métropole Nice Côte d’Azur face aux risques climatiques’’[2].

Ces documents de référence très récents, l’un de niveau planétaire et l’autre local, sont implacables : l’urgence est à nos pieds, et se fait chaque année plus insistante. Et irresponsables ceux qui osent la nier, à l’image de ces climato-sceptiques, qui se sont rebaptisés climato-réalistes pour tenter de rallier l’opinion à leurs dangereux égarements et spéculations. A leur tête délirante, le mathématicien Benoît Rittaud, président de l’association française des climato-réalistes (lire au besoin son éditorial pathétique du 13 août dans Le Figaro : ‘’Sixième rapport du Giec : et si on passait enfin à autre chose ?’’[3]).

Pourquoi en sommes-nous arrivés à une telle urgence climatique ? Parce que depuis le début de l’ère industrielle au début du XIXème siècle, l’humanité a émis plus de 2500 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère (auxquelles il faut ajouter le méthane CH4 et le protoxyde d’azote N2O). Les émissions annuelles de GES ont même augmenté de 67% entre 1990 et 2018, pour atteindre aujourd’hui le chiffre hallucinant de 41 milliards de tonnes par an (dont environ la moitié est captée par les sols, la biosphère et les océans, tandis que l’autre moitié réchauffe directement l’atmosphère)… Ce volume de gaz à effet de serre a d’ores et déjà entraîné une augmentation mondiale moyenne de 1,1°C degré (depuis 1850), et de 1,8°C en France, et un long cortège d’effets connexes. Depuis 1993, le niveau de la mer a ainsi augmenté de 9 centimètres, et poursuit sa montée à coups irréversibles de 3,3 mm par an[4], tandis que les courants méridiens océaniques (ex : Gulf Stream) faiblissent et que l’eau s’acidifie peu à peu. Les phénomènes climatiques se multiplient partout : dômes de chaleur, sécheresses intenses et incendies monstrueux, tempêtes et ouragans de plus en plus violents, délitement de la banquise, submersions marines, etc. Une grande partie de l’humanité et de la faune est en péril. A présent, nous disposons des connaissances pour limiter le réchauffement climatique à 2°C à la fin du siècle (1,5°C paraissant illusoire, en l’absence de respect de l’Accord de Paris). Traduction : il nous restait, en 2019, un ‘’budget carbone’’ de 1150 milliards de tonnes à ne pas dépasser d’ici 2100 si nous ne voulons pas franchir les 2°C d’augmentation de la température moyenne mondiale (et donc des pics catastrophiques en certains endroits, dont le pourtour méditerranéen). C’est ainsi que chaque Français-e doit viser une émission maximale de 2 tonnes de CO2 par an, à l’horizon 2050. Au rythme actuel, en l’absence de sursaut vigoureux, ces 1150 milliards de tonnes auront été émises avant 2050, ouvrant la porte vers une augmentation moyenne de près de 5°C en 2100... Autant dire qu’il s’agit d’un visa pour un monde devenu invivable, des canicules et des étés secs à plus de 50°C en France, un assèchement du climat et des tempêtes redoutables, à l’image d’Alex, le 2 octobre 2020 dans les Alpes-Maritimes, des migrations climatiques par centaines de millions de personnes, et donc probablement des conflits multiples.

‘’Pourquoi la France serait-elle concernée, alors qu’elle est si vertueuse’’ ?

Citons l’ONG OXFAM[5], dans son rapport publié en décembre 2015, à l’occasion de la Conférence Paris Climat (COP 21) : ‘’Les 10% des habitants les plus riches du monde émettraient environ 50% des gaz à effet de serre (GES). Or, la moitié la plus pauvre de la population mondiale, soit les 3,5 milliards de personnes les plus menacées par le changement climatique (tempêtes, sécheresses et autres phénomènes extrêmes), ne seraient responsables que de 10% de ces émissions (...) La moyenne des émissions par habitant pour les 10% les plus riches est 11 fois plus élevée que la moyenne des émissions pour les 50% les plus pauvres’’.

Aujourd’hui, chaque être humain émet en moyenne 5 tonnes de CO2 par an. Un-e Français-e en émet 10 tonnes, dont 1/3 sont importées de l’étranger (’’scope 3’’), et notamment de Chine. Et encore beaucoup plus pour certains pays (USA, Australie, Moyen-Orient, etc.). Malgré notre équipement nucléaire civil performant et nos efforts de baisse[6] de CO2, nos modes de vie en France nous font encore émettre individuellement le double de la moyenne mondiale (n’oublions pas que l’électricité française, largement décarbonée, ne représente que 25% de notre consommation finale d’énergie, toujours majoritairement basée sur les énergies fossiles). Les pays occidentaux, dont le nôtre, sont responsables, bon gré mal gré, de la plus grande partie de ce volume de 2500 milliards de tonnes de CO2 émises depuis le début de l’avènement de la ‘’modernité’’. Et rappelons que les pays les plus durement frappés par les catastrophes climatiques sont parmi les plus pauvres (Porto Rico, Birmanie, Haïti, Philippines, Mozambique, Bahamas, Bangladesh, Pakistan, Thaïlande, Népal...), alors qu’ils contribuent peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Et pourtant… Pourtant, un éminent scientifique niçois, dont nous tairons évidemment le nom par courtoisie, a osé affirmé récemment que ce que nous faisions en France depuis des décennies était ‘’1000 fois mieux que ce qui se fait partout ailleurs dans le monde (nucléaire performant qui évite les GES, voitures électriques, diminution drastique et rapide des voitures polluantes, tri des déchets, etc.), et que ‘’ce sont les autres (Chine, Inde, Afrique), qui polluent, qui ont des régimes dictatoriaux, qui ne voudront jamais changer et qui ne répartissent pas les richesses comme on le fait nous... et qui sont responsables … pas nous !!’’ Ce sont ses termes.

En quoi nous avons une lourde responsabilité environnementale et quelques devoirs importants ?

Cette réaction est malheureusement encore très fréquente, basée sur le fait que notre pays n’émettrait que 1% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Nous sommes un pays moderne et démocratique, en paix, vertueux au plan climatique, développé au plan technologique, etc. : en somme, un modèle de modernité ! Pourtant, sur les 10 tonnes moyennes annuelles d’un Français, près d’un tiers provient d’activités externalisées, notamment en Chine, le pays-usine du monde. Il est ainsi facile de pointer la responsabilité de ce pays, alors que nous profitons allègrement de ses travailleurs-euses aux piètres salaires, et des flux gigantesques de cargos porte-conteneurs, émettant carbone et soufre sur des milliers de kilomètres de mers et d’océans. Cette part d’importations n’a d’ailleurs cessé de croître au fil du temps, comme les émissions CO2 associées, avec l’accélération de la mondialisation…

Cette illusion ne concerne évidemment pas que la question climatique. C’est ici qu’il nous paraît utile de rappeler quelques faits. De l’extraction des ressources minières et halieutiques au renvoi de nos déchets dans les décharges africaines ou asiatiques, notre apparente ‘’propreté’’ est un cache-misère peu reluisant. Elle inclut la déforestation des forêts primaires en Amérique centrale et latine pour produire le tourteau de soja OGM permettant de nourrir nos cheptels de bétail en Europe, et en France en particulier (1,5 million de tonnes en 2018, dont 60% en provenance du Brésil, via les ports de Lorient, Saint-Nazaire, etc.), ou encore l’huile de palme que nous consommons par milliers de tonnes dans nos produits alimentaires et cosmétiques. L’énergie nucléaire française ? Elle provient de l’uranium extrait à grands moyens des mines du Niger (Areva & consorts, exploitation depuis 1968). L’énergie primaire de notre pays ? Elle provient majoritairement des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) pompées dans le sol de pays étrangers et le fond des océans. Pour reprendre la remarque du scientifique niçois, combien de régimes dictatoriaux ont perduré et combien de coups tordus de la ‘’France Afrique’’ ont eu lieu, sur fond de diplomatie d’intérêt et de corruption ? La dissuasion nucléaire française ? Quoi que l’on pense de son efficacité, elle a été bâtie sur des campagnes d’essais destructrices dans le désert algérien (à Reggane) ou sur les atolls polynésiens (Mururoa et Fangataufa), aux dépens durables des populations et de l’environnement de ces contrées. Et au fait, que deviennent nos voitures modernes lorsque nous les remplaçons par de rutilants SUV ? Citons un rapport de fin 2020 du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)[7] : ‘’Des millions de voitures, fourgonnettes et minibus d’occasion de piètre qualité sont exportées depuis l’Europe, les États-Unis et le Japon vers les pays en développement. Cela contribue de manière significative à la pollution atmosphérique et entrave les efforts visant à atténuer les effets du changement climatique.’’ Le rapport montre qu’entre 2015 et 2018, ‘’14 millions de véhicules légers d’occasion ont été exportés dans le monde. Environ 80 % de ces exportations ont été effectuées vers des pays à faible et moyen revenu, dont plus de la moitié vers l’Afrique.’’ Quant aux déchets électroniques de nos ordinateurs, télévisions et consoles de jeux, beaucoup prennent le chemin de la gigantesque décharge d’Agbogbloshie, au Ghana[8]. Des milliers d’enfants et d’adultes s’y contaminent gravement avec de nombreux métaux et de produits toxiques, en exploitant nos ordures à pieds et mains nus, pendant que nous prenons soin de notre santé, et n’hésitons pas à utiliser médicaments et antibiotiques. Mais d’où viennent-ils d’ailleurs ? Majoritairement d’Asie, et en particulier des 150 industriels pharmaceutiques installés dans la banlieue d’Hyderabad, capitale de l’Etat du Telangana au Sud de l’Inde, depuis le durcissement des normes environnementales en Occident dans les années 1990 (sans compter la main-d’œuvre très ‘’bon marché’’). Ce territoire s’est ainsi transformé en décharge chimique à ciel ouvert, avec des sols et des dizaines de lacs et de rivières totalement contaminés aux antibiotiques, à des niveaux hallucinants : la ‘’cité aux mille lacs’’ est devenue l’une des zones les plus polluées du pays, et probablement du monde[9], et un laboratoire géant de production de pathogènes multirésistants aux antibiotiques. Nos compagnies pharmaceutiques mettent évidemment un voile pudique mais bien étanche sur ces productions et importations délétères. Décidément, l’Occident a les moyens de son hypocrisie.

Pour éclairer encore un peu la lanterne de notre ami scientifique niçois, ou élargir ses œillères, parlons un instant de la colonisation européenne, et française en particulier. Faut-il lui rappeler, lui qui ne doit voir en elle qu’un outil d’élévation pour des peuples attardés, que lors de son voyage en Algérie en février 2017, le président Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de ‘’crime contre l’humanité’’ et de ‘’vraie barbarie’’, dans une interview à la chaîne algérienne Echorouk News[10]. Avant lui, un autre président, Jacques Chirac, s’était déjà prononcé : "Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi"[11]. C’est effectivement avéré : les exemples pullulent, et cette mainmise occidentale, initiée au XVème siècle, aura pris fin dans des conflits particulièrement violents et douloureux à partir de l’après-guerre (Algérie, Maroc, Indochine et Vietnam, Madagascar, etc.). Combien de massacres[12], de pillages de ressources naturelles et d’êtres humains déplacés, exploités et asservis, de cultures éradiquées, pour notre confort ? Juste un exemple : l’historien Antoine Madounou a établi un bilan entre 15.000 et 30.000 personnes mortes sur le ‘’chantier sanglant’’ du chemin de fer ‘’Congo-Océan’’ qui devait relier Pointe-Noire à Brazzaville, au Congo (1921-1934)[13], au profit d’entreprises françaises et européennes. Rappelons aussi qu’aujourd’hui, nous profitons de l’exploitation des Asiatiques pour augmenter les marges et autres EBITDA de nos multinationales et disposer d’une profusion de biens matériels dans nos hypermarchés climatisés. Les salaires chinois augmentent ? Qu’à cela ne tienne, nous relocalisons au Vietnam ou au Pakistan. Ne serait-ce pas une forme de colonialisme économique perdurant sur les cendres du joug colonial, militarisé et séculaire, de nos pays riches ? La question est posée.

Alors, vraiment, ‘’c’est pas nous, c’est les autres’’ ?

Sans nous livrer à un quelconque bashing anti-occidental, il n’est pas davantage question de nous laisser aller à un bashing de la réalité historique ou à la facilité du bouc émissaire et du déni. Ce papier est un appel à un minimum de lucidité, de décence, d’honnêteté intellectuelle à l’égard des fondements de notre prétendue ‘’supériorité’’ et de notre confort occidental. Rappelons-nous de Candide (Voltaire, 1759) s’exclamant ‘’C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe", lorsqu’il aperçut un esclave noir mutilé au Surinam. Oui, c’est à ce prix de l’Histoire que nous devons le développement de nos sociétés occidentales. Autant que de ses bénéfices, nous en héritons de lourdes responsabilités et des devoirs d’autant plus imposants à l’égard de l’environnement, du climat, de la biodiversité, des peuples encore asservis, de l’éducation, de la démocratie et de la justice, sans reproduire les vieux schémas dominateurs et prédateurs, paternalistes et moralisateurs. Avec empathie, humilité et honnêteté.

NOTES

[1] https://www.lemonde.fr/blog/huet/20...

[2] http://www.grec-sud.fr/nouvelles/le...

[3] https://www.lefigaro.fr/vox/societe...

[4] https://www.statistiques.developpem...

[5] https://www.actu-environnement.com/...

[6] Baisse de GES entre 1990 et 2018 en France : -19%.

[7] https://www.notre-planete.info/actu...

[8] https://www.francetvinfo.fr/monde/a... et https://www.maddyness.com/2021/05/2...

[9] https://www.lemonde.fr/sciences/art...

[10] https://www.lemonde.fr/election-pre...

[11] https://www.francetvinfo.fr/monde/a...

[12] https://www.editionsladecouverte.fr...

[13] https://www.afrik.com/chemin-de-fer...


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