Marine Le Pen à l’assaut des catholiques conservateurs

mardi 4 mai 2021.
 

Convaincue que les voix des catholiques conservateurs sont essentielles à sa victoire en 2022, Marine Le Pen, jusque-là sur une ligne « laïque », multiplie les signes en leur direction. Au risque de la contradiction.

24 avril 2021 Par Lucie Delaporte

« Prions pour que cela ne dure pas trop longtemps ! » Sur le marché d’Avesnes-sur-Helpe (Nord), ce vendredi d’avril, Marine Le Pen, venue soutenir Sébastien Chenu en campagne pour les régionales, serre des mains, fait quelques selfies et lance à une commerçante, au sujet de la pandémie, cette bien peu laïque formule. « Ah oui, il faut prier pour que ça s’arrête ! », dira-t-elle quelques minutes plus tard à un autre commerçant.

Chez cette professionnelle de la politique, le choix des mots relève rarement du hasard. Le village a aussi été choisi car, quelques jours plus tôt, l’église a été la cible d’un incendie volontaire.

À un an de l’élection présidentielle, Marine Le Pen, persuadée par les instituts de sondage qu’elle n’est potentiellement plus qu’à quelques points d’Emmanuel Macron, a visiblement décidé d’envoyer des signaux à l’électorat catholique.

La veille, dans un long entretien vidéo à Valeurs actuelles, destiné à « fendre l’armure », où elle parle de son amour des chats comme de sa réconciliation avec son père, elle s’est singulièrement attardée sur son rapport à la foi.

« J’ai toujours été très croyante. J’ai été une enfant très croyante… pieuse », déclare-t-elle avec gravité au journaliste qui l’interroge, opportunément, sur sa foi catholique.

Si la présidente du Rassemblement national (RN), qui a beaucoup communiqué ces dernières années sur le thème de la laïcité, multiplie aujourd’hui les signaux à l’égard des catholiques, c’est qu’elle est convaincue qu’ils sont un élément essentiel d’une possible victoire en 2022.

Marine Le Pen à Avesnes-sur-Helpe © LD Marine Le Pen à Avesnes-sur-Helpe © LD

Études d’opinion à l’appui, le RN cherche à capter un électorat catholique conservateur laissé en déshérence par Les Républicains (LR), un parti qui n’a pas su, depuis quatre ans, se remettre de l’OPA d’Emmanuel Macron…

« Si l’électorat catholique réfléchit, il ira avec nous », veut croire Philippe Olivier, influent conseiller de Marine Le Pen et eurodéputé. « La droite classique est en voie de disparition », poursuit-il. Les électeurs fidèles à Philippe de Villiers ou François-Xavier Bellamy n’iront sûrement « pas voter pour Bertrand le “mondialiste” », assure cet ancien cadre du Mouvement national républicain (MNR), qui représente au sein du RN le courant conservateur, lequel a repris l’ascendant depuis le départ de Florian Philippot.

Dans cette optique, Marine Le Pen a lancé un vibrant appel aux électeurs fillonistes, qui devraient logiquement, selon elle, la rejoindre. Pour séduire à droite, le RN a fait – en partie – sa mue économique : abandon de la sortie de l’euro, orthodoxie budgétaire. Mais reste un noyau qui a longtemps résisté à la progression de l’extrême droite : les catholiques pratiquants. Un électorat certes de moins en moins nombreux, mais très mobilisé à chaque scrutin.

Pour la présidente du RN, le défi est de taille. « Pendant les décennies précédentes, comme l’ont montré les travaux de Nonna Mayer, il y avait une corrélation inverse entre pratique du catholicisme et vote FN. Aux dernières élections présidentielles, cela a un peu bougé et les catholiques ont été un peu plus nombreux à voter pour Marine Le Pen au second tour », rappelle le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus. Avec de bien meilleurs scores chez les catholiques pas ou peu pratiquants.

L’épiscopat français a longtemps manifesté ses réserves vis-à-vis de l’extrême droite, même si en 2017, la conférence des évêques s’était montrée très prudente et n’avait pas appelé à faire barrage à Marine Le Pen. Un signe sans aucun doute de la progression du FN parmi leurs ouailles. Mi-mars, comme l’ont rapporté plusieurs médias, le pape s’est toutefois publiquement inquiété d’une possible victoire de Marine Le Pen en France.

Un nouveau camouflet pour la présidente du RN, qui a vertement répondu sur Twitter. « Que chacun fasse ce pour quoi il est destiné », a-t-elle affirmé à l’adresse du souverain pontife. « Je suis convaincue que de nombreux croyants seraient ravis que le pape s’occupe de ce qui se passe dans les églises plutôt que dans les urnes », a-t-elle ajouté.

Au sein du RN, on observe que la frange la plus conservatrice des catholiques français se reconnaît assez peu dans ce pape qui, selon Philippe Olivier, n’a « rien compris à l’Europe ». « Bien sûr les catholiques sont un peu légitimistes, un peu papistes, mais ils ont un libre arbitre et cet électorat ne suit pas le pape sur le terrain politique. » Pour lui, « ils ont d’autres figures de référence : le cardinal Sarah ou Benoît XVI, mais pas François, qui est un mondialiste ».

Le cardinal guinéen Sarah, qui ne cesse dans des ouvrages à succès de mettre en garde contre « l’effondrement de l’Occident », soumis à un afflux migratoire, est très écouté chez les traditionalistes. Le quotidien d’extrême droite Présent, particulièrement lu par les « nationaux-catholiques », attaque régulièrement le pape François pour ses discours pro-migrants mais aussi sur ses positions sur l’environnement. « Le pape prône la défense des droits des peuples indigènes à ne pas être chassés de leur terre, des réfugiés climatiques. Pour eux, ce pape est un gauchiste », analyse Jean-Yves Camus.

« Le pape François est-il devenu le Vicaire de la gauche immigrationniste et de l’islamisme conquérant ? », s’interrogeait récemment dans Valeurs actuelles Alexandre del Valle. « Le bon sens commanderait en effet que sa Sainteté s’occupât en premier lieu de l’urgence absolue : rechristianiser l’Europe, remplir les églises, susciter de nouvelles vocations de prêtres, défendre l’identité chrétienne niée de l’Europe, etc. Non, rien de tout cela. La priorité est selon Bergoglio “l’ouverture” à l’Autre, en priorité l’Africain et le Musulman… », déplore l’essayiste d’extrême droite. Bergoglio, l’identité civile de François, étant la manière dont certains traditionalistes continuent de l’appeler pour bien marquer qu’il n’est définitivement pas leur pape…

Une ligne anti-François qui est également celle du magazine L’Incorrect, dirigé par le très catholique ami de Marion Maréchal, Jacques de Guillebon. Longtemps rebuté par la ligne « laïcarde » et « républicaine » affichée par Marine Le Pen, l’hebdomadaire vient d’ailleurs, signe d’un incontestable rapprochement, de lui consacrer sa une et un entretien fleuve. Le choix est sans doute plus guidé par un réalisme politique – et le constat que Marine Le Pen occupe tout l’espace à la droite de la droite - que par une soudaine adhésion à sa personne.

Un signe incontestable d’infléchissement de cette frange catholique traditionaliste.

« On a vu aussi apparaître depuis 20 ans à l’extrême droite un catholicisme que je qualifie de “sucre glace”, parce qu’il est assez superficiel et fonctionne essentiellement comme un marqueur culturel face à l’islam. C’est très clair chez les identitaires, qui étaient surtout païens jusqu’aux années 2000 et qui affichent désormais un catholicisme de revendication civilisationnelle », explique l’historien Nicolas Lebourg.

Ceux qui, comme lui, ont la mémoire longue ne peuvent que sourire devant le « pieux » virage de Marine Le Pen.

La fille de Jean-Marie Le Pen a toujours eu des relations exécrables avec la branche catholique traditionaliste au sein de sa propre famille politique. « C’est elle qui les a liquidés à l’intérieur du parti, souligne Nicolas Lebourg. Elle et Louis Aliot ont toujours considéré que c’était ce qui ringardisait le parti. »

Lorsqu’elle accède à la présidence du FN en 2011, elle le fait en opposition frontale avec ce courant qui soutient alors Bruno Gollnisch. Eux ne se privent pas de rappeler son statut, peu compatible avec l’Église, de femme divorcée, vivant en concubinage, et son opposition à l’idée de revenir sur la légalisation de l’IVG.

Marine Le Pen a boudé les processions de la Manif pour tous et affronté sa nièce Marion Maréchal, toutes les années suivantes, lui reprochant notamment sa trop grande proximité avec les catholiques traditionalistes.

Depuis dix ans, Marine Le Pen s’est employée à creuser au contraire le sillon d’une laïcité « de combat », qui lui a permis de s’attaquer à l’islam et de mettre à distance les « catho-tradi » de son parti.

La récupération par le FN des symboles républicains de 1789 – Marine Le Pen citera Danton en prenant la présidence du parti – a été un de coup de poignard pour cette frange catholique conservatrice. Certains ne sont pas près de l’oublier.

La fille de Jean-Marie Le Pen n’a jamais cru que le créneau « catho » de sa famille politique soit électoralement très porteur. « Elle a regardé les scores de Philippe de Villiers ou de Christine Boutin aux élections présidentielles, et cela a achevé de la convaincre que ce positionnement était une impasse », analyse Nicolas Lebourg.

Aujourd’hui, alors qu’elle se voit aux portes du pouvoir, elle juge sans doute inutile de continuer à les mépriser. « Le créneau des catho-tradi ne pèse pas tant que ça, mais à la place où elle est, tout est bon à prendre, y compris ce qui peut apparaître marginal », estime Jean-Yves Camus.


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