L’archevêque de Valence veut un sanctuaire à la gloire du national-catholicisme cher à Franco

mercredi 29 août 2007.
 

Outre la spectaculaire Cité des arts et des sciences de l’architecte Calatrava, les touristes pourront bientôt admirer à Valence un monument à la gloire du national-catholicisme cher à Franco. Le « sanctuaire des martyrs valenciens », dont les travaux en sont à la première phase, ne passera pas inaperçu : construit sur les restes de l’usine chimique de Cross, idéalement placé (près de la mer et de l’auditorium Hemisfèric), ce temple design de 3 000 m2 sera recouvert de carreaux de faïence multicolores. L’édifice servira de paroisse et pourra accueillir près de 900 fidèles, mais sa raison d’être a surtout une portée symbolique propre à diviser les Espagnols : il rend hommage aux centaines de religieux valenciens assassinés au début de la guerre civile (1936-1939) par des milices anarcho-communistes.

Pacte de sang. Après le putsch du général Franco de juillet 1936, l’Eglise n’avait guère tardé à se ranger aux côtés du Caudillo, ce qui avait exacerbé l’anticléricalisme des défenseurs de la Deuxième République, née en 1931. Dès l’été 1937, la hiérarchie catholique signait en effet un pacte de sang avec le dictateur, une alliance qui n’a pas suscité depuis de mea culpa parmi les prélats. A l’exception notable du cardinal Tarancón, dans les années 70 (qui menaça à deux reprises d’excommunier Franco), les responsables de l’épiscopat ne se sont jamais démarqués nettement de la dictature.

Alors même que le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero s’apprête à faire voter - en septembre - une loi en faveur des victimes du franquisme, cette initiative entend précisément en prendre le contre-pied. Son auteur, l’ultraconservateur archevêque de Valence Agustín García-Gasco, semble avoir voulu réaliser un coup d’éclat avant son imminent départ en retraite. Avec la bénédiction des autorités ecclésiastiques de Madrid, ce mémorial se veut le symbole des « persécutions religieuses » des années 30 - l’épiscopat espagnol estime que 6 832 religieux, dont 4 184 prêtres et 12 évêques, ont été tués à l’époque. Depuis lors, l’Eglise œuvre sans relâche afin que ces victimes soient reconnues en tant que « martyrs », dont on précise qu’ils ont été tués « par haine pour la foi ». Cette tâche impossible dans la foulée du ­concile ­Vatican II (les papes Jean XXIII et Paul VI détestaient Franco), a été facilitée avec l’arrivée de Jean Paul II (grâce à qui le fondateur espagnol de l’Opus Dei, Escríva de Balaguer, a été canonisé, en octobre 2002), puis par Benoît XVI. En 2001, 226 religieux valenciens morts pendant la guerre civile ont été béatifiés. Il y a deux ans, le ­Vatican a donné son onction à la ­canonisation de 250 autres prêtres de la région, tués aussi par des « rouges ». Fin octobre, 498 religieux espagnols seront béatifiés à Rome.

C’est au nom de ces « martyrs » que s’érige à Valence le très polémique sanctuaire, qui sera visible depuis le fleuve Turia, le front de mer et le futur circuit de Formule 1, et dont la facture a été confiée à deux prestigieux architectes, Ordura et Aloy. Les nombreux opposants à ce projet dénoncent une collusion entre l’archevêché de Valence et la mairie - aux mains des conservateurs du Parti populaire - qui a cédé des terrains pourtant hautement convoités par les promoteurs immobiliers.

Bras de fer. Pour le Forum de la mémoire historique, à Valence, le sanctuaire relève de la double provocation. Cette association qui défend la mémoire des centaines de milliers d’Espagnols victimes du franquisme (assassinés, incarcérés ou forcés à l’exil) est déjà engagée depuis des mois dans un bras de fer avec la municipalité. La mairie veut étendre l’actuel cimetière sur une gigantesque fosse commune dans laquelle, selon le Forum, gisent 26 500 républicains fusillés par les franquistes. Au printemps, un tribunal a donné raison au Forum. « Quel scandale, s’indigne la présidente, Amparo Salvador. On nous met des bâtons dans les roues pour protéger la fosse commune. Par contre, les pouvoirs publics offrent sur un plateau une basilique pour honorer des martyrs qui, sous le franquisme, avaient déjà reçu un hommage officiel ! » Sous le règne du Caudillo, jusqu’à 1975, le sabre et le goupillon faisaient bon ménage. Franco avait dépensé des fortunes pour donner une sépulture digne à tous ceux « tombés pour Dieu et pour la patrie », les militaires en particulier, mais aussi les prêtres, religieuses et évêques. « Pendant le franquisme, innombrables étaient les cortèges religieux en mémoire des martyrs, qui traversaient solennellement villes et villages vers les cimetières et les chapelles, rappelle l’historien Julián Casanova. Mais, pour l’Eglise, cela n’était pas suffisant : il lui fallait aussi les ­béatifier. »

Ce zèle clérical se manifeste aujourd’hui avec d’autant plus de force que l’épiscopat espagnol est en guerre ouverte contre le gouvernement Zapatero, accusé de « travailler en faveur du mal » et de promouvoir des réformes « dégradantes » - droits des homosexuels, facilitation du divorce, investigations sur les cellules souches, fin du catéchisme obligatoire à l’école...

Lieu de culte. Le projet de loi sur la « mémoire historique », qui sera voté à l’automne, a spécialement déclenché l’ire des évêques. Il prévoit des réparations morales pour les victimes du franquisme et leurs descendants, l’éradication des symboles de l’ancien régime (noms de rue, statues...) et, probablement, le changement de statut du Valle de los Caídos (« la vallée des Tombés »), mausolée et lieu de culte de Franco, situé à une cinquantaine de kilomètres de Madrid. Sous l’impulsion des partis de gauche, la basilique du Valle de los Caídos pourrait être transformée en musée.

Un changement auquel s’opposent farouchement le Parti populaire, les nostalgiques du franquisme, ainsi que l’épiscopat. « L’Eglise espagnole n’a jamais clairement rompu avec la dictature, poursuit l’historien Julián Casanova. Le problème n’est pas qu’elle honore ses martyrs, c’est son droit le plus légitime. Ce qui n’est pas acceptable, c’est qu’elle demeure l’unique institution qui, en plein XXIe siècle, défend la mémoire des vainqueurs de la guerre civile et continue d’humilier les familles des vaincus. » A Valence, un homme politique local, Enric Capilla, qui se dit à la fois « catholique et de gauche », est persuadé que le sanctuaire des martyrs valenciens n’augure rien de bon : « Au lieu d’édifier des monuments polémiques qui vont rouvrir des blessures, l’archevêché devrait se préoccuper de ses églises vides. »

Source

FRANÇOIS MUSSEAU Libération


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