Immobilier, subprime, crise financière : ce qui avait marché en 1998 semble ne plus marcher ! par Vincent Présumey.

lundi 20 août 2007.
 

Il est curieux de constater que chaque fois que la bourse baisse, beaucoup d’observateurs se comportent comme si la légitimité du capitalisme était immédiatement en question. Cela peut se comprendre du côté de militants anticapitalistes : avouons-le, une joie mauvaise nous guette dans ces moments là, mais elle est irrationnelle car, de toute façon, tant qu’on n’aura pas fait choir le capitalisme qui se reproduit de lui-même en s’élargissant, ce seront toujours les mêmes qui paieront aussi bien ses gains que ses pertes -les mêmes, c’est-à-dire la terre et les travailleurs.

Mais ce comportement concerne également les supporters du capitalisme et les analystes boursiers qui se targuent de pragmatisme et qui, effectivement, sont a priori bien loin de toute réflexion théorique sur leur activité. Ceux là se font surtout remarquer dans ce registre lorsque la bourse remonte ou semble vouloir remonter aprés une bonne frousse : dans ces cas-là on dirait qu’ils émergent d’outre-tombe et les voici, triomphants, à affirmer au monde ébahi que, décidemment, le capitalisme, ça marche ! Ces airs de triomphe ne répondent souvent à rien d’autre qu’à leurs propres angoisses. Ils en sont les révélateurs.

La chose devient risible quand la velleité de reprise s’avère être un pétard mouillé, ce qui s’est produit lundi dernier. Soyons juste cependant, les vrais analystes sont restés prudents ce jour là, et on les comprend, et c’est plutôt le deuxième cercle, celui des journalistes et des purs et simples apologistes auxquels il n’est même pas demandé de manier la calculette, mais seulement de déblaterrer, qui se sont ridiculisés.

Bref, le bilan boursier de ces quelques jours est facile à résumer : les banques centrales n’ont pas rassuré les marchés financiers. On peut même se demander si elles ne les ont pas affolés un peu plus dans une certaine mesure. Et, à l’heure où sont écrites ces lignes, jeudi matin 16 août, dans la nuit précédente qui était la journée des marchés asiatiques, ceux-ci ont sévèrement décroché : -1,99% au Japon, recul analogue aux bourses européennes et à Wall Street, de même qu’à Sydney et Auckland, mais à Shanghai le recul est déjà de -2,14% et de -3,77% à Bombay ... mais ce sont les plus petits qui ont le plus écopés, avec -3,61% à Hong-Kong et 3,7% à Kuala Lumpur, -4,09 % à Bangkok, -4,56% à Taïpeh, -4,6% à Singapour, -6,01% à Manille, -6,3% à Djakarta, -6,93% à Séoul et -10% pour l’indice sud-coréen Kosdaq des valeurs technologiques, dont la séance a été suspendue.

C’est une nouvelle étape car, jusqu’à présent, le krach prenait la forme d’une pétarade avec un peu de baisse chaque jour et là, il s’accélère sur les places asiatiques. Nous verrons dans quelques heures la suite immédiate ou non sur les autres places. A l’heure où sont écrites ces lignes, on apprend que l’action de Countrywide Financial a dévissé de 13% de peur d’une faillitte de cette institution. Pour faire comprendre à des Français ce que cela peut signifier, le mieux est de dire qu’aux Etats-Unis, Countrywide Financial est ce qui, pour le public, se rapprocherait le plus de notre ancien Crédit Lyonnais et de notre Crédit foncier réunis, à l’échelle et avec la culture des Etats-Unis.

Mais l’objet de cet article est de lever les yeux des indices boursiers et d’envisager quelques questions de fond.

Des rapports inégaux.

Les banques centrales ont massivement injecté des liquididés, c’est-à-dire prété de la monnaie aux banques privées. Pour une part ces fonds ont été rendus rapidement, pour une autre part, importante, il s’agit de création monétaire pure et simple, donc inflationniste, qui est allée se nicher dans leurs avoirs pour éponger les pertes et relancer les processus de prêts aux acteurs financiers. Mais c’est surtout la BCE à Francfort qui a ouvert le bal la semaine dernière et l’a ensuite entretenu. Au total, les débours les plus massifs proviennent donc des Etats européens, et donc en fin de compte des contribuables (c’est-à-dire surtout des salariés de toutes catégories puisque le gros des recettes fiscale, ne l’oublions pas, consiste en impôts indirects sur les achats de biens de subsistance ! ).

Autrement dit, c’est l’Europe qui paye pour les Etats-Unis. Ce rapport de sujétion se retrouve sous une autre forme en Asie avec la manière dont l’accélération de la crise s’y est produite : le point de départ immédiat de la spirale y a été donné par les difficultés de la banque liée au trust Mitsubishi, suivi d’une peur, justifiée, que les fonds d’investissements mis en difficultés par la crise des subprime ne se mettent à vouloir compenser en vendant massivement des actions japonaises ...

Ces rapports inégaux se reflètent jusque dans les décalages des fluctuations boursières, ce qui est d’autant plus frappant que l’interconnection est ici la plus forte. Lundi la "reprise" fictive concernait l’Europe, qui plongea d’autant plus le lendemain. Jusque là, Wall Strett a évité des à-coups à la baisse comparables, sans parler de ceux qui viennent juste de gagner les places asiatiques. Alors que Wall Street est en réalité l’épicentre et le premier foyer. A noter que lorsque le décrochage s’est affirmé en Europe, mardi, c’est Paris qui a tiré les autres vers le bas ...

Nous avons donc, pour l’instant, réaffirmation du rapport de sujétion entre les Etats-Unis et le reste du monde, alors que ce rapport ne repose plus sur des données économiques immédiates, mais sur la supériorité acquise tout au long du siècle passé. L’impérialisme nord-américain coûte de plus en plus chers à ses partenaires. Le vent du boulet d’une déconnexion, d’un refus de ceux-ci de payer, existe bel et bien, en raison de la position chinoise. Vendredi soir, comme par hasard, aprés la fermeture de Wall Street, la presse faisait état de rumeurs sur les discussions dans les hautes sphères de Beijin, discussion sur l’existence desquelles on ne saurait douter, concernant la possibilité de ventes massives par la Chine des bonds du trésor nord-américains qu’elle détient.

Est en cause ici une structure du marché mondial de première importance. L’impérialisme dominant est déficitaire et vit à crédit, ce qui n’est plus une nouveauté puisque cela dure depuis le début des années 1970, mais qui est une nouveauté à l’échelle de l’histoire. Son déficit commercial est équilibré par des achats massifs de bonds du trésor US par les banques centrales et les acteurs financiers privés des autres puissances. A différents moments les Etats-Unis se sont ainsi reposés sur un partenaire privilégié qui se trouvait toujours être leur principal concurrent pour les industries de base et pour la productivité du travail. Dans les années 1970 ce fut l’Allemagne, dans les années 1980 le Japon, qui le paya cher, mais qui paya. Aujourd’hui c’est la Chine, mais dans un rapport particulier, d’une part parce que le capitalisme chinois, reposant sur l’exploitation effrenée d’un réservoir de main-d’oeuvre de centaines de millions de travailleurs, mais sans système boursier, financier, bancaire et fiscal structuré hérité du passé, est trés particulier, d’autre part parce qu’il a une autonomie plus grande que ses prédécesseurs, étant constitué au sommet par la transformation en affairistes de la bureaucratie du PC chinois. Techniquement Beijin peut faire à New York le coup d’une vente massive des bonds du trésor US, beaucoup plus facilement que ni Francfort ni Tokyo n’auraient jamais pu l’envisager dans le passé.

Mais un tel coup -dont le spectre plane sur la crise actuelle- ouvrirait une crise sans précédent, fairait apparaître les Etats-Unis comme insolvables et mettrait en péril tout l’ordre mondial reposant sur leur domination, avec y compris les implications militaires d’un tel choc. Pour que la bureaucratie chinoise prenne une telle responsabilité, où elle-même paierait trés cher, car les exportations chinoises s’effondreraient, il faudrait vraiment qu’elle soit prise à la gorge.

Or, nous assistons parallèlement à la crise financière, à des manoeuvres préventives de guerre économique US contre la Chine qui visent à dissuader celle-ci d’aller dans une telle direction. Ce n’est évidemment pas un hasard en effet si c’est à ce moment précis que la Chine est montrée du doigt pour la production de jouets dangereux. Il y a d’ailleurs bien pire, comme cette affaire de dentifrice à l’antigel qui aurait fait des dizaines de morts au Panama ... Mais les comportements en cause ne sont pas des comportements "chinois" ; ce sont les méthodes typiques et obligées de toute capital industriel cherchant à se frayer à toute force des débouchés dans un marché mondial déjà saturé par rapport à la demande solvable. Evidemment, la campagne menée aux Etats-Unis sur les produits chinois n’est ni anticapitaliste, ni humanitaire, ni écologiste, mais tout simplement xénophobe.

Ainsi le jeu des recul boursiers et des débours des banques centrales depuis une semaine peut se lire comme une tentative de réaffirmation de la domination mondiale nord-américaine, tentative qui touche à ses limites et tend à l’extrême les contradictions, exportant brutalement le parasitisme du système financier et hypothécaire US sur le reste du monde, et mettant notamment en cause le cordon "ombilical", si l’on peut dire, du déficit commercial US et du financement du capitalisme chinois par ce déficit.

Débat sur le rôle des banques centrales.

Depuis une semaine les banques centrales nord-américaine, européenne et japonaise agissent en prêteurs en dernier ressort, massivement, et cette action n’a pas enrayé la crise, certains commentateurs l’accusant même de l’avoir aggravée -ce qui est tout de même exagéré mais qui révèle que cette crise met en cause les ressorts profonds du système.

En Europe la BCE est mise en cause d’une part pour l’ampleur décisive de sa contribution à ces injections mondiales, avec le sous-entendu qu’une grande partie de sa "générosité" est forcément passé outre-Atlantique, d’autre part pour le maintien de sa volonté affichée de "résister à l’inflation" (M.Trichet y est encore allé d’un couplet sur ce mal absolu, comparant inflation et "drogue", et ajoutant : "C’est ce que tous nos concitoyens pensent." ! ) et donc de ne pas baisser ses taux directeurs. Mais maintenir ses taux tout en injectant massivement de l’argent dans les circuits est une attitude totalement contradictoire qui si elle se prolongeait signifierait que la BCE n’a plus, à proprement parler, de politique.

Or la BCE est une institution multinationale, ou plus exactement multu-étatique, car il n’y a ni nation ni Etat paneuropéen. Ce sont les intérêts de l’impérialisme français notamment qui pèsent pour une modification de sa politique au moment présent. Mais le président Sarkozy évite pour l’instant de répéter publiquement certaines de ses déclarations de campagne sur l’euro et la BCE. Par contre depuis lundi matin le concert des hommes politiques, des experts et des apologistes français de second rang est ouvert contre la BCE, suite à l’interview de l’ancien ministre des Finances Thierry Breton.

Ces intérêts objectifs de l’économie française, c’est-à-dire du capitalisme français, entrent en contradiction avec la lune de miel Sarkozy-Bush et avec la politique de la BCE qui aide en l’occurence les Etats-Unis et qui est pour l’instant portée par l’Allemagne.

La principale inquiétude qui s’exprime par leurs voix se veut vertueuse : si les banques centrales se mettent à éponger les pertes alors le système financier prendra de mauvaises habitudes (comme s’il n’en avait pas déjà). Ce n’est donc pas "vertueux" d’injecter aussi souvent et aussi massivement de l’huile dans les tuyaux. En réalité la vertu n’a rien à y voir. L’inquiétude nouvelle qui s’illustre ici provient de ce que la difficulté des banques centrales, et notamment de la BCE, à jouer leur rôle de préteurs en dernier ressort avec succés, est sans précédent. Pour l’instant, ce qui avait marché en 1998 lors de la faillitte du hedge fund LTCM, enrayant la chute à Wall Street et marquant la phase de hausse des profits boursiers qui dure depuis neuf ans, semble ne plus marcher !

La crise de confiance envers la BCE se superpose à la crise ouverte au niveau de la Fed, la banque centrale US, elle-même composante de la crise de l’exécutif nord-américain (voir à ce sujet dans mon précédent article sur Greenspan et Bernanke). Quand à la Boj, la banque centrale japonaise, elle a tantôt injecté elle aussi des liquidités ces derniers jours, tantôt fait le contraire (c’est-à-dire supprimé les sommes à court terme remboursées par les banques à fur et à mesure de leur rentrée), précisément pour manifester sa "vertu". De toutes les gesticulations bancaires mondiales de la semaine écoulée, c’est cette stratégie qui est la plus conforme à la "vertu" et à la "régulation" appelées par le concert universel des bonnes âmes et des bons conseillers ; et ce fut la plus contre-productive de toutes à en juger par la tempète ouverte depuis quelques heures sur les marchés asiatiques !

Pourquoi les subprime mortgage ?

Dans le flot des commentaires, deux approches contradictoires et parfois simultanées de la question des subprime mortgage sont visibles.

On en fait le deus es machina de la crise, le vecteur diabolique, l’axe du mal : les fondamentaux vont bien, nous répète-t’on -et il y a de vrais raisons de le penser, disons-le, si l’on regarde les taux de croissance ...- la base est saine, mais ce sont ces satanés subprime qui sèment leur zone et produisent une crise qui est avant tout, bonne mère, une crise de confiance ! Avec un peu de vertu et de transparence, rétablissons la confiance et il n’y paraîtra plus. Variante apocalyptique : si décidemment vous ne voulez pas avoir confiance, vous les actionnaires, vous les entrepreneurs, vous les consommateurs (on ne s’adresse pas ainsi aux salariés en tant que salariés : en tant que salarié on n’a pas à avoir confiance ou pas ! ), ce sera la catastrophe, le krach, Dallas, Sin City, la fin du monde.

Inversement d’autres ou les mêmes expliquent que les subprime mortgage en soi ne sont qu’un segment réduit du système financier, et qu’il y a d’ailleurs d’autres maillons interconnectés en eux-mêmes plus inquiétants encore, comme les LBO (Leverage buy out, rachats d’entreprises avec des titres de créance comme moyens d’achat). Vrai encore. Mais à partir de là on devrait donc reconnaître que si ce n’avait pas été les subprime, ç’aurait été autre chose, et que la crise était prévisible : effectivement elle était annoncée et attendue logiquement par tous les commentateurs qui voient que la croissance mondiale est alimentée par la consommation nord-américaine à crédit. Mais on ne pouvait par contre absolument pas prévoir quel serait le maillon faible, le dernier mot revenant donc au Dieu Hasard.

Tout cela est vrai mais n’empèche : le contingent manifeste généralement le nécessaire ...

Les subprime mortgage ne sont qu’un maillon, en lui-même secondaire selon des critères comptables, mais ce maillon présente un certain nombre de caractéristiques qualitatives qui doivent nous faire saisir l’importance du fait que ce soit précisément ce maillon là qui ait sauté. Il s’agit de caractéristiques touchant aux fondements des rapports de production capitalistes contemporains, et non pas seulement du fait que ce sont des crédits douteux, savoir :

1°) La base des pyramides financières édifiées sur les subprime, aux Etats-Unis et aussi dans les pays anglo-saxons et en Espagne où existent aussi massivement de telles pratiques, est formée de prêts hypothécaires à des particuliers, plutôt des "pauvres", souvent des working poors tel qu’ils s’en est multiplié depuis vingt-cinq ans.

Il ne s’agit donc pas de prêt de capital rapportant un intérêt, mais de financement du logement "social". Ce que payent les victimes ne représente donc pas en réalité l’intérêt d’un capital qu’ils auraient investi, mais est pris sur leurs revenus, la plupart du temps salariaux (et ceux de leurs familles et les aides sociales auxquelles ils ont droit qui finissent en intérêts). La valeur du capital investi dans les terrains et les bâtiments concernés est largement dépassée par ces sommes.

Il s’agit en fait de rente foncière, ou plus exactement d’un tribut dérivé de la rente foncière capitaliste, qui stricto sensu est un prélèvement sur une part des profits, alors qu’ici c’est le siphonnage des revenus salariaux.

Le parfum féodal et agricole de cette catégorie économique incomplétement étudiée par Marx fait qu’on ne pense généralement pas à elle, alors qu’elle a pris une importance croissante dans l’économie capitaliste la plus moderne. Keynes et d’autres auteurs ont parlé d’une évolution "rentière" du capital de placement, morigénant, voici soixante-dix ans, les financiers en les traitant de rentiers qu’il faudrait "euthanasier" pour restaurer l’investissement productif capitaliste. On parle aussi, en ce sens, de capital "patrimonial", dans lequel le propriétaire d’actions et de titres de la dette publique se trouve dans une extériorité relative par rapport à la production. La référence à la rente foncière faite ici est beaucoup plus précise : il s’agit directement de prélèvements reposant sur la rente proprement dite, le capital immobilier accompagnant ses mouvements et notamment les fluctuations des prix fonciers, inverses de celles des taux d’intérêts -forme "irrationnelle" s’il en est, mais qui marque la domination du capital sur le rapport foncier.

2°) Le fait que le paiement de la rente prenne entièrement la forme d’un "remboursement" de capital avec intérêt, d’ailleurs conforme aux traditions nord-américaines qui ont voulu ignorer la bonne vieille rente foncière d’origine féodale de l’ancien monde et qui, dés le XIX° siècle, ne voulaient connaître que l’intérêt du capital investi dans la terre, ce fait est finalement un facteur aggravant. Le prélèvement rentier devient une roue de secours pour alimenter les circuits financiers. Et l’on aboutit à des taux astronomiques, pouvant aller jusqu’à 18 % ! De tels taux sont anormaux pour le capitalisme tel qu’il s’est développé jusqu’ici ; ce sont des taux usuraires qu’on n’avait connus que dans des économies arriérées saisies par le capital (comme la Chine il y a un siècle) et que le capital à ses origines avait combattus, remplaçant la vieille usure par la banque moderne. La régression qui se produit là aboutit donc au siphonnage des économies et des revenus salariaux d’une partie de la société américaine, mais cela ne suffit pas.

S’il était possible aux officines de prêts de continuer à saigner leurs victimes insolvables une fois qu’elles leur ont pris leurs revenus présents et gagés leurs revenus futurs, la suite "logique" serait une saisie corporelle des personnes.

Il ne faut pas oublier que ce rapport social là n’est pas si éloigné que ça dans l’histoire du capital : les servants des débuts de la colonisation de l’Amérique du Nord étaient des salariés non libres devant "rembourser leurs dettes" et les esclaves noirs eux-mêmes, qui leur ont succédé à bien plus grande échelle, étaient du point de vue des investisseurs un capital fixe rapportant un intérêt.

Pas si loin que ça non plus dans l’espace contemporain : car la capture de couches entières de la société par des officines de prêt usuraire s’était déjà produite, non aux Etats-Unis certes, mais en ... Albanie, en 1997, y déclenchant une insurrection. Et le rapport économique endettement-remboursement par saisie corporelle des victimes est celui des réseaux de prostitution. Mais la mise au travail forcé des victimes des subprime demanderait des débouchés productifs, ou improductifs comme la prostitution ; les relations sociales et les conquêtes démocratiques subistantes aux Etats-Unis ne permettent pas une telle "issue", qui n’en serait d’ailleurs pas une pour la pyramide de dettes et de créances.

3°) L’idéologie qui a entouré les prêts subprime aux particuliers est un autre élément actif et important. C’est la croyance en une "nation de propriétaires" et c’est le fait d’envisager que chaque individu est un capital, "Moi SA", et doit savoir "se vendre", et s’endetter pour rebondir, et ainsi de suite. Dans cette fiction active, au moment même où toute la société est en réalité une société de travailleurs salariés, le salariat est censé disparaître -et le salaire être concrétement métamorphosé en intérêt du capital de "Moi SA". Le mythe est une réalité partielle pour le cadre qui reçoit ses stocks options et le retraité qui vit sur un fonds de pension. Mais en réalité tous sont assis sur la montagne de dettes nord-américaines, et le débiteur insolvable de subprime leur déclare à tous par son existence même : De te fabula naratur (c’est ton histoire qu’il raconte ! ).

C’est donc par un trés objectif "hasard" que la crise actuelle est venue au jour à partir de ce maillon qui constitue la pointe la plus avancé des formes les plus modernes du capital de placement, et par là même les plus régressives, avec l’idéologie qui les accompagne.

En France, une telle catastrophe ne doit surtout pas être ébruitée, puisque c’est sur ce programme qu’une nouvelle bande de flambeurs est arrivée au pouvoir voici trois mois ...

Et la base ?

Nicolas Sarkozy vient justement de répéter, aprés beaucoup d’autres, que la base est saine : "Je suis convaincu que ces mouvements de marché ne sauraient affecter durablement la croissance de nos économies, qui est robuste.", vient-il d’écrire publiquement à Angela Merkel.

Ce que ces gens là entendent pas une "base saine", ou "robuste" pour parler le Sarkozy, ce sont des taux de croissance élevés. Peu importe de quoi est composée cette croissance. Aux demeurant les taux en question, sur le second semestre 2007, ont commencé à baisser, surtout en Europe, singulièrement en France ! Mais il est tout à fait exact de dire que la croissance capitaliste ces dernières années a été importante.

Revenir sur celle-ci dépasserait les dimensions de cet article. Ce qui est clair ici, c’est le caractère complétement illusoire et fictif de cette séparation entre la croissance mondiale et la bulle financière ou immobilière. Celle-ci n’est déconnectée de l’ "économie réelle" que dans la mesure où son autonomie est le fruit le plus achevé du fonctionnement de l’économie réelle, c’est-à-dire du capital. Elle est en fait inextricablement reliée à l’économie réelle (comme l’affaire des subprime le montre d’ailleurs fort bien). Le nègre de N.Sarkozy dans sa lettre ouverte à Angela, recopiant les commentaires récents de Jacques Attali et d’autres éditorialistes, est pathétique :

Ainsi, nous constatons que les opérations de titrisation qui se sont développées de façon très dynamique au cours des dernières années ont certes contribué à financer le développement de nos économies, mais ont, dans le même temps, transféré des risques bancaires sur de très nombreux acteurs économiques. Chacun constate que les porteurs finaux de ces risques sont très mal identifiés aujourd’hui et que cette méconnaissance est, en elle-même, un facteur d’instabilité : elle peut jeter le doute, souvent à tort, sur la situation financière d’acteurs économiques sans lien direct avec le risque initial. Il me semble donc utile d’assurer les moyens d’une meilleure connaissance par les acteurs de marché et par les superviseurs des risques auxquels ils sont réellement exposés.

Il est frappant de voir à quel point ces gens qui se présentent comme sachant compter, comme ayant conscience qu’un sou est un sou, qui nous expliquent que les dépenses publiques pour la santé, l’école ou l’environnement doivent être rentables "à l’euro prés", deviendraient presque des poètes maudits quand il s’agit de faire croire au capitalisme équitable et responsable !

Du fait, exact, que le soupçon d’insolvabilité a joué un rôle d’aggravation de la crise financière, est tirée ici la conclusion qu’une dette transparente et connue de tous serait moins ravageuse qu’une dette cachée. Première illusion ( ? ) : la transparence des dettes peut trés bien avoir des conséquences encore plus paniquantes que leur opacité. Seconde illusion ( ? ) : demandons aux capitalistes financiers d’être transparents, et ils voudront bien l’être. Alors que les mécanismes de titrisation que la lettre de Nicolas à Angela présente comme de forts bonnes choses sont justement les systèmes qui assurent l’opacité des dettes !

Mais au fond, ce conte de fées ne tient pas plus debout que la fiction d’une économie mondiale qui, quoi que fondamentalement "saine" et "robuste", serait secouée par une "crise de confiance" aux causes contingentes et passagéres. C’est naturellement les mouvements à l’oeuvre, en profondeur, dans la dite "base", que reflètent indirectement les sautes des marchés ...

Ce qui est sûr, c’est que ce choc contraint encore plus le gouvernement de Nicolas Sarkozy à aller "plus loin, plus vite et plus fort" comme il le disait aprés le second tour des élections législatives, et qu’il apparaît déjà comme ayant été trop prudent, contre les salariés, avec sa première bordée de lois anti-sociales de l’été !

A suivre, donc.

Vincent Présumey


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message