Crise financière 1929 ... 2008 2009 ? (4 articles Husson, Chavigné, Johsua, Coutrot )

mercredi 1er octobre 2008.
 

Ces 4 articles ont été mis en ligne sur notre site le 15 avril 2008.

1) Une crise structurelle du capitalisme

par Michel Husson, économiste à l’IRES, membre du Conseil scientifique d’Attac (1).

Comment analysez-vous la crise financière actuelle ?

La crise actuelle est plus qu’une crise bancaire, parce qu’elle met en cause la configuration de l’économie mondiale. Celle-ci revêt trois grandes caractéristiques. La première est la baisse de la part salariale à l’échelle mondiale. Mais l’augmentation des profits qui en résulte ne conduit pas à un surcroît d’accumulation productive. Le profit non investi augmente régulièrement et va nourrir la sphère financière. Celle-ci augmente ensuite en fonction des déséquilibres de l’économie mondiale : déficit commercial des Etats-Unis d’un côté, excédents de l’Europe, du Japon, des pays « émergents » et/ou producteurs de pétrole, de l’autre. Le besoin de financement de l’économie étasunienne se creuse et nécessite une arrivée de flux de capitaux croissants. Enfin, la déréglementation financière rend impossible le contrôle de ces flux financiers qui parcourent le monde à la recherche de rendements extravagants. Le résultat, c’est les bulles successives (la Net-économie puis l’immobilier, etc.) et, depuis 15 ans, une série de crises financières localisées (Mexique, Argentine, Asie du Sud-Est, etc.).

Pensez-vous, comme certains, que cette crise est la plus grave depuis 1929 ?

La différence avec 1929, c’est que les gouvernements comprennent mieux qu’alors les mécanismes de la crise. Celle-ci est née de l’éclatement de la bulle immobilière et c’est un phénomène relativement classique. Mais ce qui est nouveau, c’est la réaction en chaîne qu’elle a déclenchée. La déréglementation financière et la « titrisation » ont conduit à une imbrication très profonde, mais aussi extrêmement opaque, entre banques d’affaires et fonds spéculatifs. On découvre tous les jours l’ampleur des pertes cumulées, que le FMI vient d’évaluer à 945 milliards de dollars. L’immensité de ces pertes explique pourquoi les interventions des banques centrales n’ont pas pu enrayer le mouvement. La Fed a baissé ses taux en dessous de l’inflation, injecté des liquidités, racheté de fait une grosse banque d’affaires (Bear Stearns) et échangé 200 milliards de dollars de Bons du trésor contre des crédits hypothécaires douteux. Mais rien n’y fait : le marché de l’immobilier continue à plonger, et chaque jour apporte sa mauvaise nouvelle. Une telle crise ne peut rester cantonnée à la sphère financière, ni aux Etats-Unis : ces derniers sont en récession, et le FMI vient encore de réviser ses prévisions à la baisse pour l’économie mondiale. Il prévoit pour la France une croissance de 1,4 % en 2008 et de 1,2 % en 2009 et ne prévoit un rebond qu’en 2010.

Quelles sont les perspectives ?

On est enlisé dans la crise pour au moins deux ans. Elle a en plus un caractère irréversible : le modèle de croissance des Etats-Unis vient d’exploser en vol et on ne voit pas bien comment il pourrait être rafistolé. Ce modèle reposait sur un double mécanisme : d’un côté, la baisse régulière du taux d’épargne des ménages (près d’un demi-point chaque année) et, de l’autre, l’augmentation tout aussi régulière du déficit commercial. C’est la consommation qui tirait la croissance des Etats-Unis, soutenue par un recours croissant à l’endettement. Il s’agissait donc d’une croissance à crédit qui devait être couverte par des entrées de plus en plus massives de capitaux en provenance du reste du monde. Ce système de vases communicants ne peut plus fonctionner : à cause de la ruine de millions de ménages et en raison de la baisse du dollar. Le dollar n’a jamais été aussi faible et instable, et les taux d’intérêt ne sont plus attractifs, si bien que les capitaux vont cesser d’entrer, si ce n’est déjà fait. La grande inconnue est alors le modèle de rechange qui devrait remettre en cause les incroyables inégalités de revenus qui existent aux Etats-Unis. Tout le supplément de croissance des dernières années a en effet été capté par une couche sociale très étroite et le salaire moyen n’a pratiquement pas augmenté. Pour passer à un régime de croissance plus équilibré, il faudrait écrêter les plus hauts revenus. Le prochain gouvernement voudra-t-il ou pourra-t-il mettre en oeuvre un New Deal qui éviterait à la grande masse des salariés de ne pas payer les pots cassés de la haute finance ?

Vous avez signé l’appel international des économistes contre la liberté de mouvement des capitaux en Europe . Pourquoi ?

Parce qu’il est bien ciblé, ce qui explique son succès. Il montre que l’ampleur de la crise « d’intervenir au cœur du « jeu », c’est-à-dire d’en transformer radicalement les structures » et constate qu’au sein de l’Union européenne, « toute transformation se heurte à l’invraisemblable protection que les traités ont cru bon d’accorder au capital financier ». Il propose ensuite deux objectifs précis : l’abrogation de l’article 56 du Traité de Lisbonne et la restriction de la « liberté d’établissement » prévue à l’article 48 qui interdisent toute restriction aux mouvements de capitaux. Cela ne suffit certes pas à définir une politique globale mais de mener concrètement campagne autour de la question-clé, celle d’un nécessaire contrôle des capitaux. Et l’Europe est un ensemble économique assez vaste et intégré pour qu’une autre politique puisse être envisagée à ce niveau.

Face à ce monde dominé par le libre-échange et les marchés financiers où se développent ces crises, peut-on faire autrement ?

Nous sommes face à un capitalisme qui a échappé à tout contrôle. Lutter contre ses dérives financières doit conduire à remettre en cause la liberté absolue de circulation des capitaux mais aussi, plus fondamentalement, l’exploitation croissante des travailleurs à travers le monde. Il faut, autrement dit, fermer « à la source » le robinet qui alimente la spéculation. L’objectif est de mettre l’économie au service des besoins sociaux, et cette aspiration permet, à travers la lutte contre la mondialisation financière, de fonder un nouvel anticapitalisme.

Propos recueillis par Benoît Pradier


2) Le spectre de la crise de 1929

par JJ Chavigné Démocratie et Socialisme

Les prêts immobiliers qualifiés de « subprime » étaient accordés par les banques américaines à des salariés pauvres. Ce système ne pouvait fonctionner que dans un contexte de hausse des biens immobiliers qui assurait aux banques qu’elles seraient remboursées, quoi qu’il arrive, en vendant le logement hypothéqué pour garantir l’emprunt.

Mais, au cours des trois années précédant l’éclatement de la crise d’août 2007, les salaires américains avaient stagné tandis que les taux des prêts augmentaient, au même rythme que les taux de la Réserve Fédérale (FED).

En 2007, de nombreux salariés pauvres américains ont donc été obligés de cesser de payer leur mensualité et de vendre leur logement pour rembourser les organismes de crédit. Plus d’un million de logements ont été ainsi vendus cette année-là, entraînant la chute des prix des logements et l’éclatement de la bulle spéculative immobilière.

Les organismes qui avaient accordé ces crédits n’avaient pas gardé pour eux ces créances, mais les avaient mis sous forme de titres regroupant d’autres créances et les avaient cédé sur les marchés financiers. Ces titres s’étaient, ainsi, retrouvés dans les portefeuilles de la plupart des banques sans que personne ne sache vraiment jusqu’à quel point les termites des « subprime » avaient miné leurs charpentes. La crise immobilière s’était, en novembre/août 2007, transformé en crise boursière puis en crise bancaire que les banques centrales avaient momentanément jugulée en offrant des centaines de milliards d’euros ou de dollars de liquidités aux banques privées.

Il faut comprendre ces pauvres spéculateurs.

En janvier 2008, une banque privée britannique, la Nothern Rock était nationalisée. C’était l’ultime solution qui restait pour lui permettre de faire face aux demandes de retraits de ses déposants. Une nationalisation totalement incongrue dans le pays de Mme Thatcher, d’Anthony Blair ou de Gordon Brown. Une mesure qui confirmait, qu’en fonction des besoins du Capital, les libéraux britanniques avaient toujours la même ligne de conduite : mutualiser les pertes, privatiser les profits. Une mesure qui inquiétait, pourtant, les spéculateurs : pour que Gordon Brown en arrive à nationaliser une banque, il fallait qu’il y ait vraiment le feu au lac !

En février 2008, la cinquième banque d’affaire américaine, la Bear Stearns évitait de peu la faillite grâce à son rachat par une autre banque d’affaire, la banque J.P. Morgan. Les actions de Bearn Stears qui avaient atteint la valeur de 170 dollars en 2007, étaient rachetées pour la modique somme de 2 dollars chacune. Les 30 milliards de dollars d’actifs boursiers de BS sont considérés comme totalement impossible à convertir en liquidités. Du coup, tous les investisseurs qui possédaient des actions du secteur bancaire se posaient tous les mêmes questions : « Les actions du secteur bancaire que je possède ne vont-elles pas subir le même sort ? Les banques pourront-elles continuer à faire face aux demandes de retrait ? Que vaudront mes actions si les déposants paniquent et se mettent tous à réclamer la restitution de leurs dépôts ? ». Ils se mettaient donc à vendre ces actions, faisant ainsi baisser leurs cours.

La perte de confiance s’étendait à d’autres secteurs d’activité, le comportement des spéculateurs étant des plus moutonniers. Le vendredi 14 mars, l’annonce d’un emprunt de 2 milliards de dollars effectué auprès d’un consortium international par la Banque Lehman Brothers faisait aussitôt chuter l’action de cette banque de 15 %. Lundi 17 mars, le CAC40 chutait de 3,51 points (- 20 % depuis le début de l’année), la bourse de Londres baisse dans des proportions, tout comme celle de Tokyo ou de Hongkong.

Le dollar est en chute libre par rapport à l’euro : un dollar pour 1,5905 euro ! Le yen et le yuan (la monnaie chinoise) font de même par rapport au dollar.

Le prix du baril de pétrole diminue mais signifie que les spéculateurs craignent une récession aux Etats-Unis et sa propagation à l’ensemble de l’économie mondiale. Des interventions publiques à double tranchant

La Banque d’Angleterre offrait, lundi, 5 milliards de livres de refinancement aux banques afin de faire baisser le taux d’intérêt au jour le jour.

Le rachat de Bearn Stears était entièrement financé par la FED qui avait accordé, évènement rarissime, un prêt (dont les conditions sont restées secrètes) à la banque J.P. Morgan pour lui permettre d’effectuer ce rachat sans prendre le plus petit risque.

Le président de la FED, Ben Bernanke, décidait l’ouverture des guichets de la FED aux possesseurs de Bons du Trésor américains (SVT) pour la première fois depuis octobre 1929.

La FED baissait, dimanche 16 mars, son taux d’escompte de 3,50 % à 3,25 %. Mardi 18 mars, elle abaissait son principal taux directeur de 3 % à 2,25 % et de nouveau son taux d’escompte de 3,25 % à 2,50 %.

Ces interventions avaient pour but de permettre aux banques de se procurer plus facilement des liquidités et en même temps de rassurer les spéculateurs sur la solidité du système bancaire.

Elles permettaient aux places boursières européennes et asiatiques de rebondir. Le mercredi 19 mars, la bourse de Paris gagnait ainsi 1,10 %.

Mais pour combien de temps ?

En effet, si les interventions des banquiers centraux ont permis, jusqu’à maintenant, d’éviter un krach et une crise du type de l’ampleur de celle de 1929, elles ont produit en même temps deux effets pervers qui, à terme, accentuent les risques d’une crise globale.

Premier effet pervers : profitant des fonds injectés par les banquiers centraux et du rebond des valeurs boursières, les spéculateurs prennent leurs bénéfices ou limitent leurs pertes mais continuent de s’interroger. Pour que les banquiers centraux interviennent avec une telle agressivité sur les marchés financiers n’est-ce pas parce que la situation est beaucoup plus grave qu’ils ne veulent bien l’avouer ?

La déclaration du secrétaire d’Etat américain au Trésor, Henry Paulson ne les rassure pas vraiment : « Le gouvernement fera ce qu’il faudra pour maintenir la stabilité de notre système financier ». Cette déclaration ne sous-entend-elle pas, en effet, que cette stabilité serait bel et bien remise en cause ?

Quant à Allan Greenspan, l’ancien président de la FED, il les inquiète vraiment lorsqu’il assène, dans le Financial Times que « la crise actuelle pourrait bien être jugée comme la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale ».

Deuxième effet pervers : ces interventions des banques centrales encouragent les banques à continuer leur spéculation effrénée.

Pourquoi, en effet, se gêneraient-elles ? Elles peuvent prendre tous les risques qu’elles veulent : les « prêteurs en dernier ressort », les banquiers centraux seront toujours là pour leur sauver la mise, leur offrir des milliards de liquidités, abaisser les taux de refinancement. Elles se sentent dans une situation de totale impunité et recommenceront demain, n’hésitant pas à prendre l’économie mondiale en otage.

La seule chose qui compte pour elles, c’est d’augmenter leur taux de profit.

Jean-Jacques Chavigné


3) 1929 ?

par Isaac Johsua (LCR)

Krachs boursiers à répétition, baisses en catastrophe des taux de la banque centrale américaine, paniques en cascade : la crise financière actuelle est-elle semblable à celle de 1929 ? Les points de comparaison ne manquent pas. Dans les deux cas une bulle (boursière alors, immobilière aujourd’hui) est au point de départ des événements. Dans les deux cas, le surendettement des ménages américains active la spirale dépressive. Dans les deux cas, la banque est l’épicentre d’une crise qui se déploie. En 1931, la chute de la livre anglaise a marqué la deuxième phase de la grande crise. Aujourd’hui plane la menace d’un krach du dollar, qui ferait tomber la monnaie internationale actuelle, comme était tombée celle d’avant 1914.

Il est vrai que nous n’avons plus les contraintes d’un système monétaire international assis sur l’or, comme c’était le cas en 1929. Il est également vrai que nous disposons d’importants stabilisateurs de l’activité (guère présents en 1929), qu’il s’agisse du poids des allocations dans le revenu des ménages ou de celui du budget public dans le PIB. Il est surtout vrai que la grande crise était double, tout à la fois américaine et européenne, alors que celle d’aujourd’hui irradie à partir des seuls Etats-Unis. Mais, en sens inverse, nombreux sont les facteurs aggravants qui peuvent être recensés. A commencer par la mondialisation actuelle, car les frontières du monde capitaliste ont été repoussées, la sphère dans laquelle les perturbations circulent est bien plus vaste qu’auparavant et des pays tels que la Chine peuvent rajouter leurs propres fragilités aux nôtres. Des innovations financières sont venues charger la barque : tel est le cas de la titrisation des créances, dont on parle beaucoup, mais également de la collectivisation de l’épargne, qui multiplie les fonds d’investissement ou de pension à l’équilibre instable. Enfin, l’interconnexion de la planète, qui n’était qu’envisageable en 1929, est maintenant chose faite et si les vagues montantes sont rapidement diffusées, ainsi en est-il également des vagues descendantes.

La conclusion qui s’impose est que, s’il ne peut y avoir redite de 1929 (car tout événement historique est unique), l’hypothèse d’une nouvelle crise majeure ne peut être écartée. Ce qu’a d’abord montré la grande crise, c’est de quoi le système est capable, s’il est laissé à lui-même. La preuve nous en est à nouveau administrée. C’est pourquoi la crise actuelle devrait marquer le grand retour de l’Etat. La bulle « internet », qui a mené à la récession de 2001, aurait pu être évitée si (par la loi, la taxation, les contrôles) les Bourses de valeurs avaient été mises hors d’état de nuire. La bulle immobilière actuelle aurait pu être évitée si on avait étroitement réglementé les conditions d’octroi des prêts par les banques. On a laissé à la finance la bride sur le cou, et voilà le résultat.

Or, au lieu d’un effort visant à tirer les leçons de l’événement, que voyons-nous ? Un refus de s’interroger sur les origines de la crise, et, pour l’expliquer, l’accent mis sur l’incompétence, la cupidité ou l’irresponsabilité. On veut ignorer l’instabilité systémique croissante réapparue (comme par hasard !) à partir du moment où les garde-fous hérités de 1929 ont été jetés par-dessus bord. On poursuit tranquillement le chemin d’une politique de libéralisation à outrance, envisageant même d’en accélérer la mise en œuvre. La Commission Attali, convoquée sur la croissance, n’a rien trouvé de mieux à proposer que d’accentuer le cours libéral qui nous a menés à la crise dans laquelle nous pataugeons. Le pays du libéralisme triomphant - les Etats-Unis - est celui qui nous a précipités dans la crise, et c’est justement celui qu’on nous propose d’imiter !

Par la relation de marché, les hommes entrent en rapport en tant que propriétaires privés. Ce faisant, ils confient leur sort à un fétiche qu’ils ont créé mais qu’ils ne gouvernent pas. Toute parole tombée de la bouche du golem est sacro-sainte et doit s’imposer aux hommes qui ont pourtant façonné la marionnette de leurs mains. Fort heureusement, ces hommes sont aussi membres de la cité : ils peuvent, à ce titre, soumettre la production et sa destination à la claire conscience des citoyens rassemblés, et non aux décisions arbitraires d’un fétiche aveugle. Il est temps, il est plus que temps de tourner la page libérale. Il est temps, il est plus que temps de mettre la politique au poste de commande.


3) Le capitalisme Ponzi

par Thomas Coutrot

www.france.attac.org

En janvier 1920, à Boston, un petit escroc imaginatif, Charles Ponzi, trouva une manière astucieuse de gagner de l’argent sans se fatiguer. La technique était simple : il achetait en Italie des « coupons-réponses internationaux » (IRC en anglais) - des timbres émis par la poste italienne - que les familles envoyaient dans leurs courriers à leurs membres émigrés aux USA pour qu’ils puissent affranchir leur réponse. Puis il revendait à l’US Postal Service ces coupons au prix en dollar du timbre américain - bien plus élevé que le prix en lires qu’il avait payé. Il prétendait profiter ainsi tout à fait légalement d’une faille dans le dispositif des postes internationales. (Aujourd’hui, dans les salles de marché des grandes banques, exactement la même technique est largement utilisée sous le nom d’« arbitrage », bien sûr pas pour des timbres mais pour des titres ou des devises).

Ponzi créa une société, la Securities Exchange Company, et promit un rendement de 50% en 45 jours. Les premiers investisseurs reçurent en effet la rémunération promise, et la nouvelle se répandit rapidement. En quelques mois, 17000 épargnants furent attirés par la perspective de gains rapides, et confièrent à Ponzi plusieurs dizaines de millions de dollars. En août, on s’aperçut enfin qu’il rémunérait les premiers investisseurs avec les sommes confiés par les suivants, sans avoir acheté pratiquement le moindre coupon-réponse en Italie. Il fut arrêté et son système s’effondra brutalement. Les journaux blâmèrent la naïveté et la cupidité des épargnants floués.

La « chaîne de Ponzi » est devenu un cas d’école d’escroquerie financière, et a suscité depuis de nombreux imitateurs, comme les fameuses pyramides albanaises de 1995-96, qui avaient attiré plus de la moitié de la population du pays en promettant des rendements de 40% par mois. Après l’effondrement, la presse occidentale s’est bien sûr gaussée de la naïveté de ces Albanais qui confondaient capitalisme et casino.

Le parallèle est pourtant évident entre la chaîne Ponzi et le système financier actuel. Certes, la finance internationale ne promet pas 40% par mois, mais seulement 15% par an. Le jeu est donc moins explosif, et peut durer plus longtemps. Mais au fond les mécanismes se ressemblent étrangement.

Comment les Bourses ont-elles pu depuis 20 ans garantir aux investisseurs des rendements moyens aussi élevés ? Bien sûr, d’abord en mettant en coupe réglée les entreprises et les salariés, par le chantage permanent à la fuite des capitaux que permet un système financier totalement libéralisé. Mais un effet de type Ponzi joue aussi un rôle majeur, par l’afflux permanent de nouveaux investisseurs qui permet de faire grimper les cours et de servir les rendements promis. Fonds de pension de salariés, émirs du pétrole, fonds d’investissements et hedge funds, milliardaires d’Amérique Latine, de Russie et maintenant d’Inde et de Chine, fonds souverains des pays émergents..., tous ont afflué sur les marchés pour profiter de la fête, gonflant la bulle financière et immobilière. Avec, pour couronner le tout, l’endettement des chômeurs et salariés pauvres états-uniens, enrôlés dans la danse par un système financier avide de nouvelles recrues. D’où le développement démentiel des « subprimes », ces prêts immobiliers dont la charge de remboursement, presque nulle les premières années, devient ensuite écrasante pour des débiteurs pauvres et précaires. Mais très rentables pour les banques qui se sont empressées de refiler sur les marchés financiers ces créances douteuses empaquetées dans de jolis titres - les ABS, SIP et autres SIV...

Curieusement, aucun produit de cette « finance créative » n’a repris de Ponzi le sigle IRC. Regrettable ingratitude envers un précurseur qui avait si bien compris l’essence du capitalisme financier. Le jeu est-il fini ? Certainement pas. Le krach financier aura des conséquences lourdes pour les populations. Mais si ses règles ne sont pas radicalement modifiées, le jeu reprendra ensuite son cours dément. Ainsi la réforme des retraites annoncée par le gouvernement Fillon vise d’abord à faire baisser les pensions de la sécurité sociale par répartition pour favoriser l’« épargne retraite » par capitalisation. Et donc à réinjecter à terme quelques dizaines de milliards d’euros supplémentaires dans la chaîne du capitalisme Ponzi. Il faut vraiment être (au choix) aveugle, cupide ou irresponsable pour vouloir détourner l’argent des retraites dans ce maelstrom financier.


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