Ventes d’armes : ce que Macron veut cacher

lundi 14 décembre 2020.
 

Le gouvernement cherche à enterrer un rapport parlementaire dont le rapporteur est… un député macroniste. Une nouvelle preuve de la dérive autoritaire d’un Président contournant le parlement, gouvernant caché derrière le Conseil de défense. Quand on se penche sur les exportations d’armes françaises, on comprend assez vite ce qu’Emmanuel Macron cherche à étouffer, alors qu’il reçoit en ce moment même le maréchal al-Sissi.

Une note classée « confidentiel défense » visant à étouffer un rapport parlementaire sur les ventes d’armes françaises 18 novembre 2020. Les travaux du rapport parlementaire sur « le contrôle des exportations d’armements » sont rendus publics. Vous n’en avez pourtant sans doute jamais entendu parler. Et pour causes. Le gouvernement fait tout pour l’enterrer. Conclusion d’une mission d’information constituée le 31 octobre 2018, ce rapport prône un contrôle plus démocratique des exportations d’armes françaises.

Si c’est le silence radio officiellement, l’exécutif n’ayant pas réagi au rapport, le gouvernement s’active loin des regards, dans les coulisses des cabinets ministériels. Une note de quatre pages rédigée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), classée « confidentiel défense », aurait été transmise selon le média d’investigation Disclose, au cabinet d’Emmanuel Macron, à Matignon, au ministère des Armées et à celui des Affaires étrangères. Cette « note confidentiel défense » aurait été remise au gouvernement le 17 novembre. Soit la veille de la publication du rapport parlementaire.

La séparation des pouvoirs, une nouvelle fois remise en cause par Emmanuel Macron Selon le média d’investigation, cette note s’intitulerait : « Analyse des 35 propositions du rapport de la mission d’information sur les exportations d’armement Maire-Tabarot », du nom des deux députés rapporteurs. Soulignons ici, fait révélateur, que Jacques Maire, l’un des deux rapporteurs, est un député LREM. Le gouvernement cherche donc à contourner un rapport parlementaire issu de ses propres bancs. Nouvelle preuve, s’il en fallait, du piétinement du parlement par Emmanuel Macron, après le douloureux épisode de la réécriture de l’article 24 de la loi Sécurité globale, qui avait provoqué une déflagration jusqu’aux troisième et quatrième personnages de l’État. Les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale rappelant au Premier ministre que « seul le parlement écrit la loi ».

La séparation des pouvoirs remise en cause par Emmanuel Macron ? La note confidentielle remise au gouvernement est claire : « Sous couvert d’un objectif d’une plus grande transparence et d’un meilleur dialogue entre les pouvoirs exécutif et législatif, l’objectif (du rapport parlementaire) semble bien de contraindre la politique du gouvernement en matière d’exportation en renforçant le contrôle parlementaire. » Lire entre les lignes : le Parlement ne doit pas mettre son nez dans les ventes d’armes de notre pays.

Le risque d’un contrôle démocratique sur des exportations d’armes françaises pouvant servir à commettre des crimes de guerre Le risque pour la France ? Que « les clients » soient « soumis à une politisation accrue des décisions » qui nuirait aux affaires et provoquerait la « fragilisation de notre crédibilité et de notre capacité à établir des partenariats stratégiques sur le long terme, et donc de notre capacité à exporter ». La « politisation accrue » désigne ici le contrôle démocratique du Parlement contre d’éventuelles ventes d’armes françaises à des dictatures.

Et quand on se penche sur les récentes exportations d’armes françaises, on comprend pourquoi le gouvernement ne veut pas que l’Assemblée regarde de trop près. Le maréchal al-Sissi, actuellement reçu en France par Emmanuel Macron, n’est par exemple pas un client dont notre pays peut se vanter. 60 000 prisonniers politiques, parmi lesquels des journalistes, des humoristes, des avocats, des médecins, 49 exécutions pour le seul mois d’octobre, torture, censure, arrestation de défenseurs des droits de l’homme… Ce qui n’a pas empêché la France de vendre pour 1,4 milliard d’euros d’équipements militaires à l’Égypte en 2017. 35 % des importations égyptiennes proviennent en effet de notre pays. Faisant de l’Égypte le premier client de la France dans ce secteur. Arsenal militaire français qui a notamment été utilisé à des fins de répression politique interne. Il a également pu être mis à profit pour des missions de soutien au Maréchal Haftar en Libye, comme l’a également démontré Disclose.

Armes françaises utilisées par l’Arabie Saoudite au Yémen : la France mise en garde par l’ONU On pense également aux ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite. Dans un rapport publié en septembre 2019, un groupe d’experts de l’ONU pointait pour la première fois la responsabilité de la France en tant qu’État tiers apportant un soutien logistique à l’Arabie Saoudite, accusée de crimes de guerre au Yémen. Les experts onusiens rappelaient alors aux autorités françaises que « le Traité sur le commerce des armes (…) prohibe les transferts d’armes en sachant que ceux-ci seraient utilisés pour commettre des crimes de guerre. » Les députés de la France insoumise ont demandé à deux reprises l’ouverture d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur l’utilisation de ces armes françaises dans des crimes de guerre au Yémen. Sans succès.

Emmanuel Macron déroule en ce moment même le tapis rouge au maréchal al-Sissi. Le gouvernement cherche à enterrer ce rapport parlementaire sur les exportations d’armes françaises. Malheureusement, si vous avez lu cet article jusqu’au bout et que ce scandale éclate, le gouvernement va peut-être devoir changer son fusil d’épaule.

Par Pierre Joigneaux.


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