Ce spectre de la débâcle qui hante la France (Christian Picquet)

samedi 30 novembre 2013.
 

C’est à cela que l’on reconnaît les situations de crise majeure… À un climat… À une confusion généralisée… À cette colère grandissante d’un pays qui se voit privé de perspectives progressistes, du fait de l’épais brouillard politique et idéologique l’enveloppant…

Responsables de cet environnement aussi poisseux qu’angoissant ?

- Cette fraction de la gauche qui a purement et simplement renoncé à parler à celles et ceux qui lui ont permis de reprendre le gouvernail.

- Cette droite qui a délibérément choisi de tourner le dos aux principes les plus fondamentaux de la République (fusse, comme elle le faisait dans le passé, pour se contenter de les invoquer en ignorant le contenu réel que le peuple leur a donné, au fil de ces magnifiques combats qui se sont égrené depuis la Grande Révolution).

- Ce Front national qui s’alimente de toutes les angoisses d’une société brutalisée par un capitalisme cupide, pour mieux faire souffler sur elle le vent mauvais d’un vichysme recuit doublé de cette démagogie sociale sans vergogne à laquelle on reconnaît immanquablement l’extrême droite lorsqu’elle s’approche des portes du pouvoir.

Loin de moi l’idée de concurrencer Guy Bedos dans l’exercice, ô combien difficile, de la revue de presse. Mais enfin… Lorsque je lis, dans Libération du 8 novembre, que le gouvernement fait « face à l’insurrection qui vient »… Lorsque je découvre, surgie du cerveau d’un communicant avisé de l’hôtel de Matignon soucieux de convaincre les citoyens que la politique du gouvernement finira par faire refluer le chômage, cette rhétorique hallucinante selon laquelle « l’indication synthétique de retournement est en phase haute depuis quelques mois »… Lorsque, des porte-parole de « Bonnets rouges » aux objectifs pour le moins ambigus à leurs imitateurs chez les grands céréaliers, on s’autorise à lancer au gouvernement des ultimatums de quelques heures pour satisfaire leurs exigences… Lorsque, dans la foulée, un éditorialiste du Figaro étale sa jubilation devant ce qu’il désigne comme « un monde à l’envers où les petits patrons, les artisans, les agriculteurs portent la grogne tandis que les syndicats sont aux abonnés absents »… Lorsque l’organe du libéralisme de combat, L’Opinion, ironise à sa « une » sur le sauve-qui-peut médiatique de ministres de premier plan, et se félicite de voir « l’équipe gouvernementale à bout de souffle »… Lorsque des manifestations aux relents séditieux (pas simplement des démonstrations revendicatives comme il s’en trouve régulièrement organisées en marge de cérémonies officielles) viennent perturber les commémorations du 11 Novembre… Lorsqu’un élu (peu importe, en l’occurrence, qu’il fût UMP) peut se voir poignardé à l’occasion d’un identique cérémonial à l’autre bout de l’Hexagone… Lorsque, à gauche, d’aucuns ne se montrent même plus capables d’indignation devant des paroles ou des actes bafouant la dignité humaine, comme devant l’avalanche de plans de suppression d’emplois ruinant l’existence de dizaines de milliers de salariés (44 000 entreprises, surtout petites et moyennes, liquidées en un an)… C’est que le moment devient réellement grave.

Dit plus précisément, il se révèle d’une extrême dangerosité de voir l’exécutif en proie à une perte vertigineuse d’autorité à peine plus d’un an après le vote à gauche d’une majorité de Français, d’assister au divorce se creusant entre le peuple et ceux qui sont censés les représenter, de ne pas entendre avec la portée qui s’imposerait les voix porteuses d’alternatives et de propositions de rupture avec le modèle néolibéral, de constater au déplacement sans cesse plus à droite du curseur des affrontements politiques.

DE L’ÉVOCATION DE « JUIN 40 »

Comme toujours, grandes avancées et défaites historiques se préparent sur le terrain des idées. Dans les consciences. À travers ces batailles culturelles dont l’importance cruciale vient du fait que les uns les perdent l’une après l’autre, tandis que les autres construisent pas à pas leur progression sur leur capacité à faire prévaloir leur agenda. Jean-Christophe Cambadélis vient de s’autoriser à écrire qu’« un climat très ‘’Juin 40’’ règne sur la France ». Ce genre d’analogies trouve, évidemment, vite ses limites.

Il n’en demeure pas moins que l’on peut déceler plus d’un point commun à deux configurations historiques très différentes : la désagrégation du jeu politique traditionnel, une tendance à l’affaissement des capacités de résistance du corps social, une molle résignation à ce qui auparavant suscitait des levées en masse, un scepticisme si répandu qu’il rend l’atmosphère nauséeuse, un délitement idéologique multiforme. Certains, tel Laurent Mauduit, de Médiapart, ont déjà eu l’occasion de mettre à contribution l’analyse à laquelle un Marc Bloch avait abouti pour comprendre la débâcle ayant frappé la nation française face à l’offensive des armées hitlériennes.

M’y replongeant moi-même, voici déjà quelques mois, j’avais été particulièrement frappé par les grands traits, que l’historien mettait en évidence, d’un processus de dislocation dont très peu, à l’époque, avaient réalisé l’ampleur : « Dans les milieux de salariés, ces instincts, encore très forts et dont un gouvernement moins timoré eût su entretenir la flamme, étaient combattus par d’autres tendances moins anciennes de la conscience collective. Sur le syndicalisme, les gens de ma génération avaient, au temps de leur jeunesse, fondé les plus vastes espoirs. Nous comptions sans le funeste rétrécissement d’horizon devant lequel l’élan des temps héroïques a peu à peu succombé » (in L’Étrange Défaite, Folio). Au travers des quelques faits ayant particulièrement marqué l’actualité des derniers jours, cette description a de quoi interpeller celles et ceux qui ont à cœur de ne pas laisser la gauche et le pays sombrer dans le puits sans fond d’une déroute qui devient, ces temps-ci, parfaitement envisageable.

DU RENONCEMENT DEVANT… L’IGNOMINIE

Nous aurons, en premier lieu, assisté à la tétanie, pour ne pas parler de complaisance à l’aile droite de l’échiquier partisan, ayant caractérisé le comportement de nos élites « républicaines » devant les insultes abominables, venues des rangs des opposants au « mariage pour tous » avant d’être reprises par différentes obédiences de l’extrême droite, visant Christian Taubira. Je parle à dessein de tétanie. Non d’une banale sidération qui eût, après tout, pu se comprendre tant il était devenu rare que se manifeste une telle violence, nous replongeant dans les heures noires du passé colonial de la France. Mais d’une hésitation à répliquer, à s’insurger, à en appeler à l’histoire de ces batailles sans cesse recommencées qui auront fini par faire du racisme un délit pénalement répréhensible.

Que, d’une UMP déjà bien lepénisée et obnubilée par cet électorat l’ayant délaissée pour le Front national, il ne se soit guère fait entendre de protestations, cela n’étonnera personne. En revanche, qu’au sommet du Parti socialiste et à la tête d’un gouvernement censé être de gauche, on ait attendu un moment interminable avant de manifester un peu d’indignation, cela fait mesurer l’importance du recul et de la déréliction morale à laquelle il nous faut faire face.

Comme elle était pathétique, la solitude de la Garde des Sceaux face aux attaques niant, comme elle l’a justement pointé elle-même, son appartenance à la communauté humaine. Et comme ils étaient révélateurs, ces propos rapportés en « off » par la presse de quelques éminences ministérielles résumant les deux lignes en présence au plus haut niveau de l’État : « Soit on est très ferme sur les questions de l’immigration et dans le fait qu’on n’a pas de leçons à recevoir, soit on marche à contre-courant et on estime qu’on gagnera si on reste ferme sur nos valeurs et nos convictions. »

Voilà, parfaitement exprimé, ce qui gangrène la majorité gouvernante. À force de s’être imaginé qu’elle pourrait disputer à la droite le terrain de l’exploitation des violences et à l’extrême droite celui de la stigmatisation de telle ou telle population en raison de ses origines, elle en sera arrivée à renoncer au combat pied-à-pied contre la démagogie sécuritaire, la xénophobie, la haine de l’autre. À tant et plus expliquer, tel Monsieur Valls, qu’il serait « illusoire de penser qu’on réglera le problème des populations Roms à travers uniquement l’insertion », elle aura fini par perdre la mémoire autant que des repères fondamentaux. Pour en revenir à l’évocation de l’avant-guerre, comment ne pas voir resurgir dans nos mémoires le spectre du décret-loi Daladier qui, en 1939, avant donc le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, avait vu les résidus du Front populaire décider l’internement administratif des étrangers « indésirables » ?

Pour avoir été la première à affronter l’alliance entre droite et extrême droite en 1983, l’ancienne maire socialiste de Dreux, Françoise Gaspard, sait de quoi elle parle quand elle accuse : « La surenchère d’un discours sur les étrangers, copié sur celui de la droite, qui elle-même court après l’extrême droite, a pour seul résultat de renforcer le Front national. Ces Français qui ont voté pour François Hollande ne l’ont pas élu pour que la gauche ouvre un boulevard à Marine Le Pen, comme elle le fait en cette fin d’année. » Bien dit, Françoise !

D’UNE OREILLE GAUCHE ATTEINTE DE SURDITÉ TOTALE

Si ce gouvernement s’emploie à investir le terrain de prédilection de ses adversaires réactionnaires, s’il explique que les difficultés de notre économie proviendrait principalement d’une « crise de l’offre », s’il s’évertue pour cette raison à redistribuer les richesses vers le capital au nom de la « compétitivité » que favoriserait cette démarche, il demeure résolument impavide devant les cris de souffrance montant d’un pays violenté par l’austérité.

Résultat, il s’est de lui-même enfermé dans un cercle vicieux dont il ne peut plus espérer sortir. En vertu d’un équilibre budgétaire à atteindre quel qu’en fût le prix, emporté par cette illusion selon laquelle les cadeaux consentis aux grandes entreprises encourageraient l’investissement et donc la relance, il aura distribué sans compter (et sans contrepartie) la manne du crédit d’impôt compétitivité-emploi ou du crédit impôt recherche à de gigantesques groupes qui n’en ont nul besoin et n’affichent aucun problème de « compétitivité ». Pour financer ces dizaines de milliards dont il aura ce faisant privé la collectivité, c’est aux salariés, aux retraités ou aux petits entrepreneurs qu’il aura demandé de mettre la main à la poche, à travers la hausse brutale de la fiscalité directe et, plus encore, avec l’augmentation, au 1° janvier prochain, des taux de TVA, cet impôt le plus injuste qui se puisse imaginer. Et comme cette politique de Gribouille aura abouti à catalyser des colères attisées par les adversaires acharnés de la redistribution républicaine par l’impôt, il aura recentré son discours austéritaire sur la baisse drastique de la dépense publique. Aussi l’aura-t-on entendu, comme hier la droite, répéter en boucle que cette dernière ferait de l’Hexagone le problème du Vieux Continent, oubliant au passage que la part la plus importante de ladite dépense est consacrée à la protection sociale. Et le ministre du Budget sera allé jusqu’à endosser l’armure du chevalier blanc de cette purge, annonçant qu’au-delà du choc des 15 milliards d’amputations décidées pour l’an prochain, « il faudra porter notre ambition encore plus loin », au moins jusqu’en 2017 à l’en croire…

Qu’importe à cette éminence, devenue un clone de la technostructure de Bercy, elle-même à la seule écoute des milieux financiers ou des hautes sphères de l’Union européenne, que ses propres amis fussent de plus en plus nombreux à lui crier « casse-cou ». Que lui importe que tant d’économistes convergent sur l’appréciation que la France n’est pas victime d’une « crise de l’offre » mais plutôt d’une crise de la « demande ». Que lui importe que les mêmes démontrent, chiffres à l’appui, qu’il tente de résoudre une équation impossible : la dégradation du pouvoir d’achat asphyxiant inévitablement la consommation et réduisant toujours davantage les débouchés, la compression des dépenses de l’État complétant cette vision restrictive et étouffant l’investissement au prix d’un taux record de sans-emploi, le refus d’une politique de relance digne de ce nom accentuant le déficit des finances publiques et l’endettement du pays s’en accroissant d’autant, tout cela appelant jusqu’à l’absurde une austérité dont on ne cessera de resserrer la vis… sans qu’elle pût produire plus de résultats qu’aujourd’hui. Que lui importe que les bonzes de la Commission européenne délivrent au gouvernement français un carton jaune, se louant de ses efforts pour faire ingurgiter aux Français la potion amère qu’ils appellent de leurs vœux tout en décrétant qu’il faut aller bien plus loin. De toute manière, la nomenklatura de Bruxelles ne nourrit pas la moindre illusion sur les effets de ses propres objurgations, infirmant elle-même le pronostic présidentiel d’une « inversion de la courbe du chômage » en pronostiquant que ce dernier passera à 11,2% en 2014 et 11,3% l’année suivante.

Voilà comment on en arrive à ce marasme par lequel j’entamais cette chronique. Prisonniers d’une vision idéologique dont tout atteste qu’elle l’amène dans une impasse, ouvrant sous les pieds de sa propre majorité la trappe de la descente aux enfers, l’exécutif s’en trouve réduit, impuissant, à contempler l’immensité de son discrédit et l’accélération d’une crise qu’il a lui-même provoquée, ne sachant maintenant plus comment la juguler.

Ce n’est certainement pas l’annonce inopinée, par Jean-Marc Ayrault, d’une « remise à plat » de la fiscalité l’an prochain qui enrayera cette spirale infernale. D’abord, parce que les mots ont un sens et que le Premier ministre se sera bien gardé, dans son interview aux Échos du 19 novembre, de promettre cette « révolution fiscale » que le candidat socialiste de 2012 avait inscrit à son programme. Ensuite, parce qu’il y a une totale incohérence à prétendre éteindre l’incendie provoqué par des politiques publiques dont l’injustice est devenue insupportable au plus grand nombre, sans revenir sur les transferts réalisés au bénéfice du capital, autrement dit sans oser taxer celui-ci et s’en prendre aux revenus financiers et spéculatifs, sans rendre l’impôt redistributif en assurant sa réelle progressivité, en renonçant à l’augmentation de prélèvements indirects destinés à compenser ce dont les cadeaux consentis aux puissants privent les caisses de l’État. Enfin, parce que l’hôte de Matignon aura pris grand soin de fixer les limites du processus enclenché, expliquant par exemple que « revenir sur la hausse de la TVA (…), ce serait revenir sur la baisse du coût du travail » et qu’il « faudra continuer au même rythme en 2015, en 2016 et en 2017 » les amputations budgétaires de l’an prochain. On aura donc choisi à dessein la presse patronale pour prendre une initiative destinée à desserrer la pression de moins en moins soutenable dont l’équipe gouvernante fait l’objet… tout en rassurant d’emblée des privilégiés qui eussent pu s’estimer menacés.

DE L’IGNORANCE DE LA PAIX COMME FONDEMENT DU SOCIALISME

Au bord du naufrage comme il l’est, comment le président de la République eût-il pu s’éviter la facilité de la posture du garant de l’unité nationale, la dernière arme que lui offrent les institutions de la V° République ? Le lancement des cérémonies de commémoration du déclenchement de la « Grande Guerre » lui en fournissait l’occasion. Il n’aura pas manqué de s’en saisir, le 7 novembre, dans un discours exaltant « le patriotisme qui unit au-delà des croyances, des origines ou des couleurs de peau ». Un discours n’ayant, au demeurant, pu résister à la tentation de comparer le martyre d’un peuple entraîné dans une boucherie mondiale avec… le courage dont ses héritiers sont appelés à faire preuve pour accepter les sacrifices qu’on leur demande à un siècle de distance.

Le plus frappant cependant, dans le récit qu’il aura choisi de proposer aux Français, n’est pas cette instrumentalisation pitoyable. C’est la pure et simple ignorance de ce qui fut l’un des fondements du mouvement socialiste dès sa naissance : la lutte sans cesse remise sur le métier pour la fraternité entre les peuples. Cette fraternité régulièrement battue en brèche par un système de domination et d’exploitation aiguisant sans fin les concurrences entre nations ou intérêts économiques, enserrant les individus dans des rapports de compétition à outrance, stimulant les pires ambitions hégémoniques, encourageant les guerres de conquête et de rapine.

S’agissant précisément du premier conflit mondial dont les matériaux inflammables s’accumulaient, Jaurès en décrivait parfaitement la dynamique plusieurs années avant que la poudre ne parle : « Nous savons très bien, les uns et les autres, qu’il y a dans le monde capitaliste des forces formidables de conflit, d’anarchie violente, d’antagonismes exaspérés, que le prolétariat universel, au degré insuffisant d’organisation et de puissance politique où il est parvenu, ne peut se flatter encore de maîtriser avec certitude. La concurrence économique de peuple à peuple et d’individu à individu, l’appétit au gain, le besoin d’ouvrir à tout prix, même à coups de canon, des débouchés nouveaux pour dégager la production capitaliste, encombrée et comme étouffée sous son propre désordre, tout cela entretient l’humanité d’aujourd’hui à l’état de guerre permanente et latente ; ce qu’on appelle la guerre n’est que l’explosion de ce feu souterrain qui circule dans toutes les veines de la planète… » (in La Paix et le socialisme, 1905).

Les mots du grand tribun ont été délibérément éludés par François Hollande. Auraient-ils perdu de leur pertinence à l’heure d’une globalisation qu’il fut longtemps de bon ton de louer pour sa prétendue vertu transformer la planète en village ? Le prétendre serait ignorer la violence inhérente à la mercantilisation de tout ce qui peut représenter une source de profits pour un capitalisme aussi financiarisé que cupide. Ce serait, surtout, oublier que la guerre économique à laquelle se livrent grandes puissances et multinationales pour le partage des zones d’influence et des marchés s’avère toujours source de conflits militaires. Ce serait, enfin, négliger que nous sommes probablement entrés dans une période de bifurcation historique, où la mondialisation marchande et financière de ces trente dernières années se heurte à une crise qu’un François Lenglet, hier thuriféraire du libre-échangisme sans rivages, décrit comme un « retournement idéologique » et un « mouvement de relocalisation » des échanges d’argent et des biens (in La Fin de la mondialisation, aux éditions Fayard).

On peut, naturellement, discuter la thèse de l’économiste adulé des médias. Pas le constat que l’exacerbation des contradictions du nouveau capitalisme a généré une déstabilisation générale de l’ordre international, l’aiguisement des antagonismes économiques, le bouleversement des rapports de force entre puissances, la montée des nationalismes réactionnaires et des replis ethnicistes, le développement des extrêmes droites agressives. Autrement dit, que la redistribution des cartes qui s’amorce confronte les peuples à des risques renouvelés de guerres…

La « culture de paix » - celle pour laquelle Jaurès (toujours lui) exhortait la classe travailleuse à « toujours (en) propager l’idée, toujours exciter et organiser les énergies, toujours espérer, toujours lutter » - se révèle par conséquent d’une brûlante actualité pour quiconque n’entend pas se résigner à l’injustice et au déchaînement des barbaries. Le premier personnage de l’État s’en trouve dorénavant fort loin. Ainsi se sera-t-il bien gardé, dans sa péroraison du 7 novembre, de faire un pas vers la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple », ces hommes des tranchées révoltés d’être transformés en chair à canons et, pour cela, envoyés devant les pelotons d’exécution. S’il sut invoquer les mânes d’un Charles de Gaulle, d’un Romain Gary ou d’un Maurice Genevoix, sans parler d’un Georges Clemenceau (symbole de cette « gauche » ralliée à l’Union sacrée qui n’aura pas hésité à s’identifier, en 1916, au jusqu’auboutisme sanglant : « Nous voulons un gouvernement de guerre qui fasse la guerre ; nous voulons un gouvernement de guerre qui sache la guerre, qui en connaisse les profondeurs »), il se détourna sciemment du combat ayant conduit Jean Jaurès à tomber sous les balles d’un tueur fanatisé, à la veille de l’entrée en guerre de la France. Plus encore, ses récents choix, dans le conflit syrien ou les négociations sur le nucléaire iranien, lui auront fait adopter une posture ultra-atlantiste et belliciste qui lui vaut les félicitations des néoconservateurs d’outre-Atlantique et des faucons du gouvernement israélien. L’aboutissement, en quelque sorte, d’un renoncement à tout ce qui, depuis plus d’un siècle, a fondé l’identité de la gauche…

Cet abandon, ce refus d’entendre celles et ceux sans lesquels un changement de pouvoir n’eût pu se réaliser au printemps 2012 expliquent pourquoi le résident de l’Élysée ne peut plus compter que sur un soutien des plus minoritaires à gauche. Le désaveu de l’équipe gouvernante, jusqu’au cœur du Parti socialiste, atteint un niveau tel, qu’à en croire Le Canard enchaîné, Manuel Valls lui-même reconnaît en privé qu’un vote des militants installerait sans doute le leader de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, dans le fauteuil de premier secrétaire. « Peuple de gauche, réveille-toi », viennent de titrer les amis de L’Humanité-Dimanche. Il devient impératif de permettre à cette majorité en suspension d’exprimer l’exigence d’une politique de gauche, tournant résolument le dos à celle destinant le peuple au plus sombre avenir. Le rendez-vous national initié par le Front de gauche le 1° décembre, sous la forme d’une marche sur Bercy contre l’injustice fiscale et pour l’annulation des hausses de TVA, doit être le moment où la gauche ne laisse plus la rue à ses adversaires. Où elle engage la reconquête autour d’un des points-clés de ce qui pourrait devenir le programme de salut public à même de conjurer la catastrophe dont le pays et son peuple se voient menacés. Où elle commence à s’engager pratiquement dans le rassemblement sans exclusives de ses forces vives, celles de ses partis comme des organisations du mouvement social, afin que l’espoir revienne dans le camp des travailleurs et du progrès.


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