Ecologie (France) : la réintroduction des insecticides pour les betteraves... premier échec de Barbara Pompili

mercredi 26 août 2020.
 

À peine installé, le nouveau gouvernement piétine dans les actes ses promesses écologiques. En soutenant la dérogation accordée aux betteraviers pour qu’ils puissent utiliser à nouveau des néonicotinoïdes, la ministre de la transition écologique renie ses engagements passés.

Quoi qu’il arrive, en 2020, c’est en fini pour tous les néonicotinoïdes. » C’est Barbara Pompili qui parle, et nous sommes en 2016. Elle est alors secrétaire d’État à la biodiversité et elle se bat pour l’interdiction de ces insecticides qui s’attaquent au système nerveux des insectes, responsables de la disparition de nombreuses espèces, abeilles en particulier.

Devant l’Assemblée nationale qui votera, le 8 août 2016, la loi « pour la reconquête de la biodiversité, la nature et les paysages » et avec elle, l’interdiction de ces produits dévastateurs pour l’environnement, elle assure : « Si on commence à dire “on interdit là où il y a des alternatives mais on fait des dérogations et on les laisse courir dans le temps”, on sait très bien que c’est la porte ouverte au fait qu’il y ait certains néonicotinoïdes qui ne soient jamais interdits. »

Quatre ans plus tard, volte-face. Devenue ministre de la transition écologique dans le gouvernement Castex, Barbara Pompili assure son plein soutien au ministère de l’agriculture, qui a décidé, jeudi 6 août, d’accorder une dérogation aux producteurs de betteraves sucrières pour qu’ils puissent continuer à utiliser les néonicotinoïdes l’an prochain et jusqu’en 2023 afin de lutter contre les pucerons verts vecteurs de l’épidémie de jaunisse, particulièrement virulente cette année. L’interdiction était pourtant entrée en vigueur en septembre 2018.

Dans une série de tweets diffusée lundi, la ministre qui fut membre d’EELV jusqu’en 2015 (avant de rejoindre les rangs de LREM en 2017) assure que cette dérogation est « la seule solution possible à court terme pour éviter l’effondrement de la filière sucrière en France » et que « les alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave se sont avérées inefficaces pour l’instant ».

Cette décision, qui doit faire l’objet d’un projet de loi à la rentrée, vient conclure un lobbying éclair et structuré de la filière de la betterave qui s’est largement appuyée sur les relais politiques pour faire rapidement plier le gouvernement. Le 8 juillet, le président de la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves) indiquait ainsi que la situation était « hors de contrôle » et pointait l’interdiction des néonicotinoïdes…

De ce jeu, la majorité, censée faire la politique autrement il y a trois ans, manie désormais tous les codes. Trois semaines plus tard, 80 députés (LREM, MoDem, Agir) et des Républicains publient une tribune dans L’Opinion intitulée « Avoir les moyens d’agir en cas de crise sanitaire menaçant nos productions agricoles ». Contrairement à ce que le titre peut laisser penser, c’est bien la filière de la betterave dont il est question. Parmi les rédacteurs, l’on trouve Stéphane Travert, ancien ministre de l’agriculture, Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de LREM et agriculteur, ainsi que Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Un trio représentatif des intérêts croisés du lobby agricole.

Les arguments énoncés ne varient pas : « La filière betteravière française se trouve face à une impasse technique empêchant les agriculteurs-planteurs de pouvoir préserver et protéger leurs cultures », écrivent les élus, reprenant le discours qu’aucune alternative n’existe.

« Nous avons été alertés par la filière à la mi-juillet », indique Roland Lescure qui affirme auprès de Mediapart que la solution retenue par le gouvernement, « l’enrobage des semences, ne présente aucun risque pour les abeilles ». C’est ce que disent les représentants de la filière, dit-il, « des gens raisonnables ».

Ce n’est pourtant pas ce que disent les études scientifiques sur le sujet, qui montrent que le produit, sous la forme d’une semence enrobée qui infuse l’ensemble de la plante tout au long de sa croissance, reste dans les écosystèmes et peut se retrouver dans les cultures l’année suivante. Dans une étude publiée l’an dernier, des chercheurs du CNRS et de l’Inra ont ainsi trouvé des traces de néonicotinoïdes cinq ans après leur diffusion.

Politiquement, Roland Lescure tient à déminer la controverse. Le député défend la position du ministre de l’agriculture Julien Denormandie et, surtout, de Barbara Pompili, ne voyant « aucune dissonance cognitive, ni contradiction ». « Sur un truc comme ça, qui franchement ne va pas faire de mal aux abeilles, on dit tout de suite que la ministre mange son chapeau », dénonce-t-il, y pointant un mauvais procès.

De fait, il faut sauver la face quand on se présente comme les champions de l’écologie et que le gouvernement souhaite peindre en vert les deux dernières années du mandat d’Emmanuel Macron. Peu de temps après sa nomination, le premier ministre Jean Castex s’était fendu d’une tribune dans Ouest-France intitulée « Tous écologistes ! » pour montrer à quel point l’engagement était sérieux.

« Face aux périls que sont le réchauffement climatique, la pollution de l’air et des mers, la disparition de certaines espèces, notre pays agit déjà et se trouve à la pointe du combat mondial pour préserver la planète. Cependant, les scientifiques comme la jeunesse, nous poussent à aller plus loin et plus vite. Et ils ont raison », clamait-il le 27 juillet. C’était une dizaine de jours avant l’annonce d’autoriser à nouveau le recours aux néonicotinoïdes.

Proche de Nicolas Sarkozy, Jean Castex a pu compter sur le soutien des élus des droites qui, eux aussi, ont manifesté par tribune interposée le souhait de réintroduire rapidement l’insecticide tueur d’abeilles. Une centaine d’entre eux (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, Hervé Morin…) avaient adressé le 29 juillet une lettre ouverte au président de la République. Dans « Halte au sabordage de la filière betteravière », ils dénonçaient « une réglementation trop rigide », demandant du « pragmatisme » si cher à LREM.

« Le dossier des néonicotinoïdes ne sera pas le dernier rapport de force »

Dès début août, l’offensive était donc en place pour pousser le gouvernement à bouger sur le sujet et Barbara Pompili à se dédire une première fois sur un sujet dont elle avait pourtant fait un combat dans le passé.

Du côté de l’opposition, c’est au mieux la stupéfaction qui domine devant la radicalité de la mesure. « L’argument qu’il faut du temps pour trouver des alternatives, je l’entends à longueur de journée au sein de la mission parlementaire pour le suivi de l’interdiction du glyphosate, soupire Loïc Prud’homme, député de La France insoumise. C’est une raison pour ne rien faire. Or les alternatives existent, elles sont notamment défendues par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) : il faut sortir de la monoculture industrielle. »

Diversifier les parcelles, faire tourner les cultures, décaler les semis dans le temps… : « Il existe un panier de solutions pour rompre le cycle des ravageurs, explique l’élu girondin. Certes, ce n’est pas une solution simpliste, il ne s’agit pas de remplacer un produit par un autre, mais ce sont des perspectives qui, outre leur intérêt écologique, permettraient de créer des emplois. »

Pour cela, un accompagnement des agriculteurs – souvent coincés entre le contrat passé avec la coopérative, le poids des semenciers, et leurs investissements qu’ils doivent amortir – est nécessaire. Or depuis le vote de l’interdiction des néonicotinoïdes en 2016, rien n’a été fait pour préparer cette transition à la culture sans insecticides.

Tout au contraire. « Depuis le vote de la loi, le lobby des betteraviers manœuvre pour obtenir des dérogations et n’a aucunement cherché à mettre en place des alternatives », dénonce Joël Labbé, sénateur divers gauche (ex-EELV) à l’origine de deux lois d’interdiction des pesticides – celle concernant les espaces publics en 2017 et celle concernant les jardins privés en 2019.

« On est confronté à un choix de modèle, où l’agriculture dominante est dans le déni de la nécessité d’une transition agro-écologique, analyse cet élu du Morbihan. Les pratiques alternatives et biologiques, pourtant, font leurs preuves et sont même préférables que l’agriculture conventionnelle en termes de revenus. »

La loi de 2016, souligne Joël Labbé, était en ce sens « une réelle victoire » : « La France était la première en Europe à interdire les néonicotinoïdes, l’Union européenne avait ensuite suivi le mouvement. » Mais c’était la dernière avancée en faveur de la transition agro-écologique. Le sénateur n’a pas souvenir, depuis, d’un arbitrage remporté par le ministère de l’environnement. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, « les arbitrages sont systématiquement remportés par le ministère de l’agriculture ; c’était d’ailleurs la principale raison du départ de Nicolas Hulot [qui a quitté le ministère de la transition écologique et solidaire en septembre 2018 – ndlr]. » (lire nos articles ici et là)

Barbara Pompili ne pourra de toute façon pas avancer sur les sujets agricoles, « domaine gouverné par le court terme et les réponses au lobby du secteur », estime Joël Labbé, mais elle pourra avancer sur d’autres sujets, comme la rénovation énergétique et les transports, « pour lesquels elle a obtenu des moyens ».

Véronique Tuffnell, ancienne députée LREM qui siège aujourd’hui au sein du groupe EDS (Écologie Démocratie Solidarité), espère aussi que la ministre pourra remporter d’autres arbitrages. « Barbara Pompili n’a pas renié ses convictions, croit-elle. Elle a fait un choix de raison, face au poids de la FNSEA et des betteraviers. Elle a pensé qu’il valait mieux apaiser les choses. C’est un compromis. »

Mais la députée, qui se dit « abattue » par cette décision, regrette qu’« une fois de plus, le poids de l’économie l’emporte sur l’écologie ». Pour l’heure, « rien n’est réuni au sein de ce gouvernement pour montrer une feuille de route claire vers la transition écologique », accuse-t-elle. C’est pour cela que cette élue de Charentes-Maritime a quitté la majorité en mai dernier : « C’est une politique de petits pas. On se gorge de réunions mais on n’arrive pas à changer quoi que ce soit. Les décisions sont contraires à l’ambition affichée. Alors, pourquoi l’afficher ? »

Aujourd’hui, Véronique Tuffnell place son espoir dans la conscience croissante de la société française, et des jeunes générations en particulier. « La médiatisation autour des néonicotinoïdes nous fait marquer des points », pense-t-elle ; c’est ce qui fait qu’elle n’est pas découragée. « Le dossier des néonicotinoïdes ne sera pas le dernier rapport de force, il ne faut pas baisser les bras. »

Quoi qu’il en soit, il sera difficile pour Barbara Pompili d’enclencher une politique novatrice après avoir cédé dès le début l’exercice de son portefeuille devant les intérêts de l’agro-industrie. « Aucun de ses arguments n’est recevable, dénonce Loïc Prud’homme. Il y a 2-3 choses qui sont des porteurs symboliques de la démarche écologique, les pesticides en font partie. Avec cette décision, elle perd donc tout son crédit. »

Depuis le début de la polémique, Barbara Pompili en est donc réduite à faire le service après-vente du ministre de l’agriculture, multipliant les déclarations pour justifier la dérogation. Le 12 août, lors d’un déplacement à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), l’ex-députée du département betteravier de la Somme a déploré le manque de recherche et d’alternative, signifiant ainsi l’absence totale de volonté politique de la majorité et du gouvernement sur ce dossier depuis trois ans. Alors que c’était son rôle d’en assurer la mise en application.

Comme pour l’interdiction du glyphosate, sur laquelle le ministre de l’agriculture de l’époque Stéphane Travert avait gagné l’arbitrage sur son homologue de l’écologie Nicolas Hulot, la nouvelle ministre se retrouve dans une impasse de pouvoir. Symbole criant d’une macronie qui enrobe l’écologie de mots en piétinant les actes.

Amélie Poinssot et Manuel Jardinaud

• MEDIAPART. 14 août 2020 :


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