Changement climatique... Une nécessaire révolution agricole

mardi 3 novembre 2015.
 

Respecter l’impératif de limitation du réchauffement climatique à 1°5C implique de réduire drastiquement les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES), puis de les annuler. Ceci suppose une modification en profondeur des modes de production et de consommation, notamment pour l’agriculture et le système alimentaire.

Au niveau mondial, l’agriculture est responsable de près de 25% des émissions de GES (y compris la déforestation liée à l’expansion de l’agriculture), mais on s’approche de 50% si l’on y intègre l’ensemble du système agro-alimentaire : production et transport de moyens de production agricoles, transport et transformation de produits agricoles, emballages, dégradation des déchets alimentaires (estimés à 25% de la production), distribution et consommation de produits alimentaires.

Au niveau de la production agricole elle-même (14% des émissions totales de GES), les émissions résultent de :

- l’élevage (principalement le méthane émis lors du processus de rumination des ruminants),

- la fertilisation des sols (notamment les engrais azotés),

- et, dans une moindre mesure, les dépenses d’énergie (combustibles, etc.) et la production de riz irrigué.

À cela s’ajoute la déforestation qui résulte de l’expansion de l’agriculture. Elle génère 11% des émissions mondiales de GES. Il s’agit d’un chiffre net, sachant que les phénomènes de déforestation, principalement en Afrique et en Amérique du Sud, sont en partie compensés par la croissance les forêts dans d’autres régions. La déforestation résulte de la croissance de l’élevage bovin sur de grandes extensions de terres, des cultures liées à l’alimentation du bétail (en particulier le soja) et de celles destinées à la fabrication d’agrocarburants.

Une priorité de la lutte contre le changement climatique doit donc être de stopper la déforestation. Pour cela il doit être mis fin à la fabrication d’agrocarburants à partir de produits alimentaires ou sur des terres qui entrent en concurrence directe avec des usages alimentaires. Les plantations de palmiers à huile contribuent directement à la déforestation. Quant à l’utilisation d’huile de tournesol ou de colza issue de graines produites sur des terres parmi les plus fertiles du monde, elle se traduit par une réduction des terres utilisées à des fins alimentaires. On peut dire la même chose du maïs des États-Unis dont 40% est utilisé pour la fabrication d’agrocarburants.

Par ailleurs, la question de l’élevage doit être posée : non seulement l’élevage émet une bonne partie des GES d’origine agricole, mais le développement d’élevages intensifs se traduit par une consommation massive d’aliments (céréales, soja), alors qu’il faut 5 calories végétales pour produire une seule calorie animale. La déforestation est ainsi largement liée à la croissance de l’élevage. Un rééquilibrage des modes de consommation des pays les plus riches avec une diminution de la consommation de produits animaux est nécessaire. Un tel rééquilibrage n’est socialement acceptable que s’il s’accompagne d’une amélioration de la qualité des produits et par une redistribution des revenus qui permette à toute la population d’avoir accès à de tels produits.

Les systèmes et pratiques d’élevage doivent aussi évoluer. La relocalisation de la production des aliments d’élevage doit être une priorité, afin notamment de mettre fin aux importations de soja. Pour cela, il convient de prioriser et de valoriser au mieux la production des prairies, mais aussi de réintégrer géographiquement les activités de production végétale et d’élevage : A travers une telle relocalisation :

d’une part, l’azote de l’atmosphère peut être capté par les plantes légumineuses (luzerne, trèfle, pois…) pour produire des protéines végétales destinées à être consommées directement par les humains ou par les animaux, d’autre part, les résidus de ces plantes légumineuses et les déjections des animaux peuvent être utilisés pour améliorer la fertilité des sols, et donc remplacer progressivement les engrais chimiques. Ces derniers contribuent fortement au changement climatique, que ce soit du fait des émissions au sol ou au travers de leur processus de fabrication.

D’une façon plus générale, c’est à travers une agriculture écologique, ou agroécologie, que l’on peut réduire drastiquement les émissions de GES d’origine agricole, au moyen de pratiques autonomes en énergie et en intrants. Soulignons aussi le très fort potentiel des systèmes agro-écologiques en termes de stockage de carbone sous forme de matière organique, que ce soit dans les sols ou dans les arbres. La transition vers un tel type d’agriculture implique une refonte en profondeur des politiques agricoles.

La nécessaire relocalisation des productions agricoles suppose de relancer l’installation d’une nouvelle génération de paysans qualifiés et éclairés, ferments de la révolution agricole et alimentaire dont la survie de l’humanité dépend. La remise en cause de la sur-transformation des produits (emballages individuels, etc.) et des gaspillages alimentaires est aussi un enjeu central. Une telle évolution implique l’établissement de protections commerciales spécifiques afin de protéger les produits issus d’une agriculture écologique de la concurrence d’importations bon marché. Elle implique également l’application de normes aux entreprises et aux produits au nom de la règle verte. Elle implique aussi de mener une bataille culturelle relative aux modes de consommation.

Au niveau international, l’agriculture est à la croisée de nombre d’enjeux économiques, financiers et de sécurité alimentaire, avec des positions et des intérêts fortement divergents. Cela explique qu’elle ne soit pas davantage traitée en tant que telle dans les négociations climatiques. Il n’empêche que son évolution sera nécessaire si l’on souhaite éviter un réchauffement climatique incontrôlable. Par ailleurs, il importe d’être vigilants face à certaines soit-disantes « solutions » au changement climatique, comme par exemple des mécanismes de « compensation » (crédits carbone) qui permettraient de pérenniser les dégâts de l’agriculture productiviste. Ou encore, des autorisations d’utiliser des terres qui pourraient être octroyées à de grands groupes capitalistes sous prétexte de leur action de régénération de terres agricoles, et qui pourraient se traduire par de nouveaux phénomènes d’accaparement aux dépens des populations locales. Enfin, n’oublions pas que pour des centaines de millions de paysans dans le monde, le premier enjeu du changement climatique est celui de l’adaptation : partout le changement climatique commence à faire sentir ses effets sur l’agriculture (sécheresses, inondations, etc.), menaçant la sécurité alimentaire et économique de milliards de personnes. La mobilisation de fonds pour l’adaptation constitue un enjeu important des négociations climatiques, et, au-delà, la manière dont seront utilisés ces fonds. Il importe de mobiliser prioritairement des fonds publics et que ceux-ci viennent soutenir les agricultures paysannes et leur transition écologique.


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