PAC 2020 : Protéger les agriculteurs, réussir la transition

mercredi 27 février 2019.
 

Depuis ses premiers pas en 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) européenne a bien changé. D’abord, la régulation des marchés européens et le soutien massif à l’investissement et à la modernisation des exploitations ont permis à l’Europe d’opérer des gains de productivité et de rendements très significatifs. Dans les années 1970, l’agriculture européenne devient globalement excédentaire et exportatrice. Puis, pour faire face aux excédents et s’accorder avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, la PAC s’est libéralisée à partir des années 1990 : fin des prix garantis, fin du protectionnisme, découplage des aides, alignement sur les prix mondiaux, disparition des quotas laitiers et sucriers, etc.

Ces choix politiques ont permis d’atteindre l’objectif initial de la PAC : produire suffisamment pour assurer l’autonomie alimentaire de l’Europe. Cependant, le modèle agricole qui domine aujourd’hui est à bout de souffle et ne répond plus ni aux enjeux du 21e siècle, ni à l’intérêt général.

Protéger et rémunérer les producteurs

Quelle honte, pour une société « moderne », d’abandonner ceux qui la nourrissent. Quelle honte de livrer les agriculteurs à une féroce compétition mondiale qui se joue à armes inégales et en dépit du bon sens. La course au productivisme enferme les producteurs dans une logique d’agrandissement, avec pour conséquence un épuisement physique et mental et un dangereux surendettement. Si le volume de la production agricole française a augmenté de 30% entre 1980 et 2015, sa valeur en termes réels a baissé de 20%. La valeur ajoutée de la « Ferme France » a chuté de 19% et le revenu global des exploitations a régressé de 34% ces 15 dernières années. La conséquence : un tiers des agriculteurs déclare des revenus inférieurs à 354€ par mois selon la Mutuelle sociale agricole, un se suicide tous les deux à trois jours.

Le premier enjeu de la future PAC est économique et social : protéger et rémunérer les producteurs. La France et l’Europe doivent retrouver la voie d’une agriculture à forte valeur ajoutée, grâce à une production de qualité, valorisant au mieux les ressources naturelles renouvelables, et faisant un usage économe des ressources non renouvelables. Cette valeur ajoutée, aujourd’hui majoritairement captée par les entreprises de l’agroéquipement et de l’agroalimentaire, doit être justement répartie au sein des filières. Cela suppose d’encadrer les marges de la grande distribution et d’instaurer des prix minimums garantis ainsi que des quotas de production, pour les filières les plus fragilisées.

Cette politique permettant aux agriculteurs de dégager un revenu digne suppose la mise en œuvre d’une régulation des marchés agricoles au niveau européen (ou à défaut, au niveau national) et donc d’un protectionnisme solidaire (barrières tarifaires) et écologique (barrières non tarifaires) permettant la relocalisation des filières au profit des circuits courts et de proximité.

Réussir la transition agricole

Le deuxième enjeu est d’ordre écologique et productif. L’agriculture « conventionnelle », qui domine aujourd’hui en France et en Europe, a su répondre à certains enjeux de la deuxième moitié du 20e siècle. Elle est aujourd’hui à bout de souffle : les rendements stagnent voire baissent, imposant de trouver d’autres manières de nourrir l’Humanité. Ces limites productives sont directement liées aux dommages écologiques causés par une agriculture « à tendance industrielle », qui repose sur un usage intensif de ressources non renouvelables et polluantes (pétrole, engrais et biocides de synthèse).

Les premières victimes des pesticides sont les agriculteurs : un agriculteur sur cinq souffre de troubles de santé directement liés aux pesticides. Les engrais et pesticides de synthèse sont un danger avéré pour la biodiversité et l’environnement (pollution de l’air, des sols, des cours d’eau et nappes phréatiques, des points de captage d’eau potable). L’agriculture conventionnelle amoindrit la fertilité des sols (épuisement des éléments nutritifs, atteintes à la microfaune et microflore) et met à mal leur intégrité physique (érosion dû à un excès de labour et à un sol nu en hiver). Enfin, l’agriculture et le système alimentaire sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre et contribuent pour moitié au changement climatique à l’échelle planétaire.

La transition vers l’agroécologie et l’agriculture paysanne permettra d’enrayer ces dommages environnementaux et de lutter contre le changement climatique. Mais elle permettra aussi le développement d’une agriculture adaptée aux territoires et aux conditions climatiques changeantes.

Soutenir cette agriculture écologique, intensive en travail, nécessite une réorientation des aides de la PAC. D’une part pour soutenir l’adoption de nouvelles pratiques (par la rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture). Et d’autre part pour soutenir la création d’emplois et l’installation de nouveaux paysans (plafonnement des aides à l’actif, augmentation de la Dotation aux Jeunes Agriculteurs, accès du foncier …).

Pour une nouvelle politique alimentaire

Enfin, le troisième enjeu de la future PAC est alimentaire. Tout d’abord parce qu’il faut « manger tous », c’est-à-dire produire une alimentation accessible en quantité et abordable financièrement. Aujourd’hui, entre 800 millions et 1 milliard d’êtres humains souffrent de la faim. 6 millions de français (12% de la population) vivent dans la précarité alimentaire : c’est d’abord un problème de pauvreté, ce qui ne saurait donc dissocier une politique agricole ambitieuse d’une politique plus juste de partage des richesses. C’est ensuite un problème lié au dévoiement des productions alimentaires : agro-carburants, méthanisation, alimentation des herbivores. Enfin, en Europe, le gaspillage alimentaire représente 20% de la production agricole (soit 173 kg par an et par personne).

Ensuite, parce qu’il faut « manger sain » : notre santé est en lien direct avec notre alimentation. En France, 25% de la population souffre de maladies chroniques qui représentent 66% des dépenses de santé. Ces maladies sont en partie liées à une mauvaise alimentation, mais aussi à l’ensemble des pollutions (air, eau…). 36% des décès peuvent être imputés à des régimes alimentaires inadaptés. L’alimentation est donc un enjeu de santé publique majeur en France et en Europe, et ne saurait être dissociée des politiques agricoles.

La PAC post-2020 doit intégrer un volet « alimentation » pour que chaque citoyen européen ait accès à des produits de qualité, pour soutenir le changement de nos modes de consommation (réduction de la consommation de produits carnés, diversité des apports protéiques, limitation des aliments ultra-transformés, fruits et légumes de saison, …) et réaffirmer la vocation alimentaire de l’agriculture (lutte contre le gaspillage, contre les cultures à vocation énergétique, …).

Hélas, la proposition de réforme de la Commission Juncker est loin d’être à la hauteur des enjeux sociaux et écologiques de l’agriculture. Les futurs députés européens auront donc un rôle majeur à jouer pour l’avenir de l’agriculture et de notre alimentation.

Romain Dureau


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