Covid et inégalités : France du Smic et France du fric

lundi 1er juin 2020.
 

Le Covid-19 a touché 100 000 personnes en France et fait plus de 15 000 morts. Le confinement, pis-aller d’un capitalisme qui n’épargne aucun secteur, contient la propagation du virus. Faute de traitements, d’équipements, de soignants, on contient... Si le virus ne trie pas les personnes, les conséquences de son passage sont plus lourdes pour les milieux populaires et ouvriers.

Nous ne sommes en effet pas égaux devant la propagation du virus. La manière dont on vit, dont on se déplace, la profession, les possibilités de se protéger des interactions, influent sur sa diffusion. Mais nous le sommes encore moins devant les conséquences de la contamination.

Surexposition

Évidemment, vivre en foyer, dans un campement ou a fortiori à la rue ne permet pas le respect des règles sanitaires. En milieu urbain, le maintien des distances dans les immeubles ou au sein du logement est réduit à néant dans les quartiers concernés par la « politique de la ville » où sont constatés les taux de surpopulation les plus forts. S’entasser à sept dans un T3 ne permet pas de respecter les règles.

Dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, 40 % des ménages vivent dans un logement surpeuplé. S’ajoute à la proximité des corps au sein de l’appartement, celles vécues dans les ascenseurs ou au pied des immeubles, quand l’enfermement à l’intérieur devient insupportable. Ces facteurs aggravant de diffusion du virus sont parfois compliqués d’un sentiment coupable de mal faire ; quand sont relayées à la télé des images stigmatisant ces habitants.

Ce sont aussi les inégalités liées au travail qui sont mises en lumière. Les chiffres l’illustrent1. 66 % des cadres se déclarent en télétravail contre 5 % des ouvriers. Surtout, ils sont 35 % à continuer à se rendre au boulot contre 10 % des cadres2. Être éboueur, aide-ménagère, livreur, caissière, ouvrier spécialisé, aides-soignante expose au virus : autant de métiers dont l’utilité sociale n’a pourtant jamais été aussi reconnue. Trop d’ouvriers restent exposés par des patrons occupés à penser d’abord à la reprise économique de la France du fric, faisant peser des risques inconsidérés sur les épaules de leurs salariés les plus précaires, souvent mal protégés.

Surmortalité

Nous sommes encore moins égaux devant les conséquences de la contamination. À cet égard, les comparaisons entre les courbes de mortalité du Covid-19 dans les différents pays touchés paraissent éluder cette réalité : les systèmes de soins y sont différents. Ainsi, le traitement de la maladie et la probabilité d’en mourir sont en grande partie politiques.

Les inégalités sociales jouent à plein régime quand il s’agit de maladies : diabète, obésité, hypertension artérielle, affections pulmonaires sont des pathologies que l’on retrouve plus chez les ouvriers – mais aussi, pour prendre l’exemple des États-Unis, dans la communauté afro-amércaine. Les problématiques liées à l’alimentation, le stress, les consommations d’alcool ou de tabac sont aussi des éléments d’explication. Or, ces pathologies aggravent le Covid-19.

L’absence de suivi médical, voire de détection de maladies chroniques, est socialement déterminée. Les habitants des quartiers pauvres des villes et des zones rurales déshéritées sont plus nombreux à renoncer aux soins pour des raisons connues : déserts médicaux, coûts, freins culturels. La télémédecine pour dépister le virus – inaccessible à certains –, ainsi que les messages de prévention – incompréhensibles pour d’autres – finissent d’établir une frontière réelle entre celles et ceux qui peuvent respecter le confinement et se soigner... et tous les autres. La doctrine libérale qui consiste à nous faire croire que l’on est responsable si on se soigne mal – doctrine relayée de façon éhontée par le Préfet de police de Paris, avant que de multiples messages de protestation ne le contraignent à s’excuser – est à battre en brèche.

Il s’agit pour le pouvoir de cacher l’absence de tout dans certains coins de la France, dont celle – naturellement – d’hôpitaux suffisamment armés pour soigner les malades dans les zones les plus à risques. En Seine-Saint-Denis, on compte 0,5 lit de réanimation pour 10 000 habitants, contre 1,5 pour 10 000 habitants à Paris3.

« Assez parlé d’égalité »4

Le risque est grand que rien ne change à la sortie de la crise, que la France du Smic se meure tandis que la France du fric demeure. C’est d’égalité réelle, concrète, dont nous avons besoin. Les accents « révolutionnaires » pris par le président de la République5 ne nous leurrent pas. Se référer à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en rappelant que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ne fait pas une politique. Ce dont nous ne pouvons nous passer à aucun prix, ce sont de services publics performants (et donc bien dotés), de véritables augmentations de salaires (et non d’aumône). Bref de redistribution de la richesse créée. Cela passe par la justice fiscale et, dès que la reprise se fera sentir, par le partage du temps de travail.

Marlène Collineau

NOTES

1. Il s’agit en réalité de données liées au travail à domicile en période de confinement qui ne revêt pas les mêmes obligations légales que le télétravail.

2. Données du Conseil scientifique Covid-19.

3. Entretien avec Stéphane Troussel (président PS du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis), Le Parisien, 2 avril 2020.

4. « Il est temps de faire des égaux », ajoutait Jean Jaurès.

5. Allocution d’Emmanuel Macron du 13 avril.


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