Pour un vrai service public de l’aide à domicile

jeudi 11 juin 2020.
 

Il n’aura échappé à personne que parmi les travailleurs « au front » se trouve une majorité de femmes. Et parmi elles, le personnel de l’accompagnement à domicile – secteur particulièrement méconnu. Pour aborder le sujet, nous avons rencontré Ghyslaine Ayache et Maryline Cavaillé en charge, au sein de la CGT, de l’activité fédérale décentralisée des organismes sociaux.

D&S : Pouvez-vous présenter le secteur de l’aide à domicile en quelques mots ?

Les aides à domicile sont des salariés mal reconnus, mal rémunérés, souvent perçus auprès de la population comme occupant des « petits boulots ». Pourtant, le travail social et les soins auprès de la population qu’elles effectuent représentent un lien social indispensable. La branche de l’aide et de l’accompagnement à domicile compte 226 500 salariés qui interviennent auprès de publics fragilisés par la vie et le temps, de la naissance à la mort. Deux tiers des salariés du secteur qui ne sont pas directement employés par des collectivités, dépendent du secteur associatif relevant de l’économie sociale et solidaire, et un tiers dépend du secteur privé lucratif.

97 % sont des femmes*, 27 % ont plus de 55 ans et 89 % sont à temps partiel imposé. Le salaire brut moyen d’une salariée non qualifiée est de 972 euros pour 16 ans d’ancienneté. 45 % des salariées du secteur travaillent les dimanches et jours fériés. La politique d’austérité conduit à un tassement des grilles salariales. Les coefficients d’entrée de grille de ne permettent pas d’atteindre le Smic. Il faut attendre 16 années pour voir son salaire le dépasse de... 0,2 % !

D&S : Et pendant la crise sanitaire ?

Une fois de plus lors de cette période de crise sanitaire, les aides à domicile sont les oubliées : lorsque l’on évoque le personnel soignant, on ne cite pratiquement jamais les aides à domicile. Or les salariées du secteur sont là et bien là ; elles interviennent coûte que coûte auprès des bénéficiaires. Ce sont des « invisibles » : elles n’ont pas été prioritaires pour obtenir le matériel de protection, et notamment les masques. Elles n’ont pas, dans un premier temps, été citées comme bénéficiaires de la prime accordée aux soignants. Ce n’est qu’il y a peu que le gouvernement vient d’annoncer l’octroi de la prime au secteur. Les conditions en restent toutefois très floues. En fonction de la couleur du département ? Toutes les salariées seront-elles concernées ? Qu’elles soient à temps partiel ou à temps complet ? Enfin, qui va payer ? Le gouvernement cherche à faire supporter cette prime par les départements ; l’accepteront-ils ?

D&S : Avez vous eu à accompagner des situations critiques ?

Lors de cette crise sanitaire, nous avons malheureusement connu des situations dramatiques : des personnels sans ou peu de protection, peu de masques et de gants à leur disposition et manque également de gel hydro-alcoolique. Nous avons été confrontés au cas d’une salariée en arrêt de travail pour suspicion de Covid 19. La direction a refusé d’avertir les collègues, les équipes soignantes, ainsi que les bénéficiaires chez qui cette personne était intervenue. Il a fallu saisir l’inspection du Travail afin de rappeler à la direction qu’il lui appartenait d’en faire l’annonce afin d’éviter la propagation du virus.

À ce propos, il est bon de rappeler que, pendant la période, un inspecteur du Travail de la Marne, Anthony Smith, a été suspendu de ses activités par la ministre du Travail, Madame Pénicaud. II est intervenu dans une structure d’aide et maintien à domicile dans laquelle les mesures de protection n’étaient pas respectées !

D&S : Peut on parler d’un métier à risque ?

Oui, ce secteur d’activité enregistre plus d’accidents du travail que dans le secteur du BTP. Les salariées ne peuvent ou ne veulent pas rester. Il y a beaucoup de licenciements pour inaptitude après une invalidité. En effet, les contraintes physiques sont importantes : les postures à tenir, les amplitudes horaires, quelquefois les distances à effectuer d’un bénéficiaire à l’autre, notamment en milieu rural... Après quelques années effectuées, les pathologies se font douloureusement sentir. Ces salariées sont trop souvent confrontées au non-paiement des heures supplémentaires, au non- paiement des indemnités kilométriques. C’est fréquemment pour ces raisons que le conseil des Prud’homme est saisi. C’est d’ailleurs au sein de sa section « Activités diverses », que les affaires sont les plus nombreuses et les salariées obtiennent souvent gain de cause.

Ces dernières sont pourtant isolées de par leur activité. Elles se rendent chez les bénéficiaires et ne se croisent pratiquement jamais. Elles sont peu organisées syndicalement et, même lorsqu’il y a des instances représentatives du personnel, les élus doivent être pugnaces. La fédération CGT des Organismes sociaux a la volonté de les organiser et de les structurer en syndicats départementaux afin que leurs droits soient respectés et que leurs conditions de travail soient plus dignes.

D&S : Quelles sont vos attentes aujourd’hui ?

Depuis des années, les aides à domicile revendiquent une revalorisation de leur métier, de leur qualification, et cela passe bien évidemment par une augmentation de leur salaire. Quelquefois ces actions sont menées conjointement avec les infirmières et les salariés des Ehpad.

Vouloir que nos aînés et toute personne en perte d’autonomie puissent rester à leur domicile est un vrai choix de société, choix qui a un coût : il est impératif de donner aux salariées du secteur les moyens financiers d’accomplir leurs tâches et il est indispensable que la reconnaissance passe par une augmentation de leurs salaires. Non, les salariées du secteur Aide et Maintien à domicile ne sont pas des salariés de « seconde zone » : leur activité est essentielle, leur présence est indispensable. Il est donc inacceptable que ce secteur soit systématiquement oublié et que ses salariées soient méprisés.

Cet entretien a été réalisé par notre camarade Claude Touchefeu et publié dans le numéro 275 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* C’est pourquoi nous avons décidé d’écrire à partir de là « salariées ».


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message