Qu’est-ce que Covid-19 et le coronavirus ? Que faire ? Présentation par un spécialiste des maladies infectieuses

mercredi 8 avril 2020.
 

Quels sont les paramètres, les causes, les effets de cette maladie ? Quelles perspectives à court et à long terme ? Spécialiste des maladies infectieuses, Philippe Sansonetti explique pourquoi le sort de l’épidémie est entre nos mains.

Covid-19 est un fléau ; il est urgent et vital pour notre société de s’en convaincre. Il n’est pas trop tard, mais le temps presse.

C’est la troisième émergence d’un coronavirus en moins de vingt ans. Il y a eu le SRAS en 2003, le MERS en 2012, et maintenant le Covid-19 (Corona virus Disease). À chacun de ces épisodes, on s’est inquiété, puis rassuré, et pas grand-chose n’est arrivé ensuite pour prévoir et anticiper, en termes de thérapeutique et de vaccin. Aujourd’hui, en l’absence de traitement et de vaccin, l’évolution de cette épidémie est entre nos mains.

Charles Nicolle (1866-1936), qui fut professeur au Collège de France et directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, écrivait dans Destin des maladies infectieuses (1933) :

« Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. (...) La connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables. Nous sommes aussi, à ce point de vue, quels que soient nos sentiments vis-à-vis d’eux, solidaires des animaux, surtout des bêtes domestiques. »

C’était une anticipation de tous les phénomènes d’émergence qui allaient survenir au XXe et maintenant au XXIe siècle.

Qu’est-ce que le coronavirus ?

Les coronavirus sont une immense famille de virus, qui sont des virus à ARN (acide ribonucléique), à simple brin « positifs », ce qui signifie que cet ARN est traduit directement en protéines qui forment à la fois la structure et toute l’ingénierie de réplication et de multiplication de ce virus. C’est une très grande famille, avec laquelle nous vivons en permanence, puisque les Alpha-coronavirus sont présents chez les mammifères, dont l’homme, c’est une cause chez les enfants en particulier de maladies respiratoires et intestinales bénignes : de ce point de vue, il n’y a ici rien de nouveau en matière d’étiologie de ce type de maladie. Le problème est que d’autres coronavirus de cette famille, les Bêta-coronavirus, sont plutôt adaptés aux mammifères, en particulier à la chauve-souris qui en est le réservoir primaire, mais assez peu adaptés à l’homme ; ce qui fait que lorsqu’ils passent chez l’homme, on peut voir des collisions et des dégâts, liés à cette rencontre entre un micro-organisme et un hôte qui ne sont pas adaptés l’un à l’autre. D’autres membres de cette famille, les Gamma et Delta-coronavirus sont présents chez les oiseaux et les poissons, et pour l’instant en tout cas ne nous ont pas concernés en matière d’émergence.

L’identification du virus

Nous devons aussi relever les aspects positifs dans ce qui se passe aujourd’hui, aspects qui par moments passent au second plan. Le premier d’entre eux, c’est la rapidité très inhabituelle avec laquelle cette épidémie a été initialement détectée dans la ville de Wuhan en Chine, dès que les médecins ont noté ces cas bizarres de pneumopathie, dont certains déjà graves. Le diagnostic qui, il y a encore dix ou vingt ans, aurait pris des semaines, voire des mois parce qu’il fallait isoler le virus et l’identifier, a été établi par des méthodes moléculaires en quelques jours sinon en quelques heures, grâce au progrès du séquençage profond dit de nouvelle génération, et de la bio-informatique qui a permis d’identifier tout de suite cet ARN étranger dans les échantillons de ces individus infectés, et de développer en temps réel le système d’amplification spécifique de ces virus, de manière à produire très rapidement un diagnostic et d’initier les études épidémiologiques. C’est à mettre en regard avec les mois ou les années qui furent nécessaires pour identifier le virus du sida il y a trente ans, quand il a fallu passer par des méthodes classiques de virologie, qui consistent à cultiver le virus. Le diagnostic moléculaire a révolutionné la situation, et malgré les retards initiaux à prendre conscience et à communiquer sur cette épidémie, on peut rendre hommage aux médecins et biologistes chinois qui ont réussi à identifier le virus très rapidement.

L’extension pandémique du virus

On est passé rapidement des « clusters » à une situation épidémique sur l’ensemble du pays : le problème n’est plus le blocage des frontières ou d’autres idées archaïques. Les frontières sont aux portes de notre appartement.

La carte de l’extension des foyers actifs de la pandémie montre une sorte de ceinture qui correspond aux latitudes de nos régions européennes (et des régions correspondantes de l’hémisphère sud, par exemple en Australie), et pour l’instant assez peu de cas dans les pays du Sud, dans les zones intertropicales. Certains attribuent cet effet au climat ; on aimerait que cela soit le cas, car cela pourrait signifier qu’avec « le réchauffement de la température au printemps », comme le dit D. Trump, les choses peuvent s’arranger – mais ce n’est pas une base scientifique solide. Il y a néanmoins probablement d’autres raisons, qui ne sont pas encore claires, j’y reviendrai.

C’est donc bien une pandémie : on n’en est plus à la recherche du cas zéro et à la reconnaissance des chaînes de transmission.

Les paramètres de l’épidémie

Quels en sont les paramètres ? Le R zéro (R pour Rate/taux de reproduction de base), c’est le nombre moyen d’infections secondaires produites lorsqu’un individu infecté est introduit dans une population où l’ensemble des individus sont sensibles. Si le R zéro est inférieur à 1, il n’y a pas de situation épidémique ; dès qu’il est supérieur à 1, il y a épidémie. Dans le cas de Covid-19, ce nombre se situe entre 2 et 3. C’est donc bien une situation épidémique typique. Pour la grippe espagnole de 1918-1919, le R zéro était de 2, 3 ; la tuberculose, c’est 10, donc extrêmement contagieux ; la rougeole, de 12 à 18.

La durée d’incubation est de 5 à 6 jours. Il existe cependant des incubations plus longues, jusqu’à 14 jours, d’où la durée d’isolement requise. L’intervalle intergénérationnel, c’est-à-dire le temps qui se passe entre le moment où la personne infectée rencontre une personne naïve (vierge de tout traitement) et le moment où celle-ci va développer la maladie, est de 4 à 7 jours. Le fait que ces deux paramètres soient presque identiques montre que les malades sont contagieux dès le début, contrairement à ce qui se passait pour le SRAS en 2003 où la contagion ne se manifestait qu’avec le pic de virémie après plusieurs jours d’évolution. Ici au contraire le virus est très fortement contagieux : les gens transmettent alors qu’ils sont encore asymptomatiques, ou commencent à avoir de petits symptômes qui n’inquiètent pas, alors qu’ils devraient déjà s’isoler le plus rapidement possible.

Le taux d’attaque (le nombre d’individus nouvellement infectés par rapport à l’ensemble de la population naïve) est élevé (bien supérieur à la grippe saisonnière). Nous n’avons, par définition, pas encore de chiffres sur le pourcentage de la population française qui pourra être réellement infectée.

Dans les formes graves, qui sont environ 10 à 15 % des cas, les hospitalisations sont en moyenne de l’ordre de 11 +/- 4 jours (entre 7 et 15 jours), ce qui menace comme on sait notre système de santé.

C’est donc une maladie à fort potentiel épidémique, avec mise en tension majeure du système sanitaire, et c’est ce qui a décidé les autorités à mettre en place des stratégies pour atténuer l’évolution de la maladie. Cela est parfaitement justifié.

Taux de mortalité

Le taux de mortalité est relativement faible. Quand on fera le bilan complet de cette pandémie, on s’apercevra fort probablement qu’il était de 1 à 2 %. Il paraît plus élevé dans les périodes d’accélération de l’épidémie comme c’est le cas actuel en France, pas nécessairement parce que les maladies sont plus graves dans cette période, mais simplement parce qu’on court après les chiffres : les chiffres de mortalité sont indiscutables, tandis que les chiffres de personnes infectées par le virus sont toujours bien supérieurs à ce qu’on peut observer. Au Royaume-Uni les spécialistes disent qu’il y a probablement 10 fois plus de sujets infectés que de cas confirmés, d’autant plus qu’il y a sans aucune doute une immense majorité de formes bénignes de cette maladie, ce qui gêne considérablement l’appréciation du taux de mortalité. Mais ce taux de mortalité pourrait augmenter dans cette situation que nous traversons de mise en tension du système médical, et de disponibilité de lits de réanimation. 1 % de mortalité, 10 % de cas sévères, ce n’est pas énorme statistiquement, mais rapporté au nombre de cas d’infection, compte tenu de la transmissibilité et de l’infectiosité du virus, cela peut commencer à faire des valeurs absolues importantes qui peuvent mettre en danger notre système de santé. C’est ce qui légitime cette politique d’atténuation.

Le saut d’espèce et la responsabilité humaine

Le nom de coronavirus vient de la Protéine S (S pour spike), qui assure la liaison avec le récepteur et qui a une forme de couronne à la surface du virus, en particulier dans le tissu pulmonaire.

L’arbre phylogénique montre que le SARS-CoV-2, le nom officiel du virus de Covid-19, est très proche de celui du SRAS de 2003 et du MERS de 2012 ; et les maladies se ressemblent considérablement. L’origine est proche : les chauve-souris sont le réservoir du coronavirus. Le domaine est donc relativement connu, et l’on peut appliquer les progrès réalisés lors des maladies précédentes, même si aucun vaccin ou aucune thérapeutique n’en sont malheureusement sortis.

Le Covid-19 est un cas d’école d’émergence infectieuse, qui est dû à un saut d’espèce (« zoonose »). Depuis des dizaines d’années maintenant on assiste à ces zoonoses, en particulier dans les régions tropicales (Ebola, par exemple) : ce sont des virus adaptés aux espèces animales qui passent dans l’espèce humaine ; de là plusieurs scénarios.

Soit le virus est mal adapté et a peu de capacités de muter et donc de s’adapter pour s’y stabiliser. L’infection humaine est abortive : l’adaptation est mauvaise, et il n’y aura pas de transmission interhumaine ; chez le premier individu concerné le processus va s’arrêter. Le processus peut cependant donner lieu à des maladies éventuellement graves comme ce fut le cas pour la grippe aviaire H5 N1, due à des cas de transmission directe de l’oiseau à l’homme, avec une mortalité très élevée, de l’ordre de 60 %, mais sans transmission interhumaine.

D’autres virus sont en revanche mieux adaptés d’emblée à ce passage de l’animal (notamment mammifère) à l’homme, et l’enzyme qui réplique ce brin d’ARN fait beaucoup d’erreurs, ce qui génère des mutations qui augmentent les chances d’adaptation du virus. C’est le cas du SARS-CoV-2, qui est passé relativement facilement de la chauve-souris à l’homme via un mammifère, réservoir intermédiaire. C’est donc un cas typique. La maladie était plus grave et le taux de mortalité plus important dans le SRAS (10 %) et le MERS (35 %). Ici, le virus donne moins de pathologies graves, mais on a une sorte d’équilibre (trade off) : étant moins virulent, il est plus transmissible. Cet équilibre est extrêmement important pour définir le profil de la maladie.

Le réservoir naturel, ce sont certaines espèces de chauve-souris : il est impressionnant de voir jusqu’à quel point ces animaux sont capables de porter ces virus émergents, comme les corona. C’est le cas probablement d’Ebola, et du virus Nipah en Malaisie, apparu à la fin des années 1990 : parce que le comportement humain modifie les conditions écologiques, ces chauve-souris entrent en contact avec des animaux susceptibles eux-mêmes de subir ce saut d’espèce et de répliquer ce virus. Se crée alors une zone de risque autour de l’homme, puisque tout contact de l’homme avec ces animaux réservoirs peut éventuellement donner lieu à un saut cette fois dans l’espèce humaine, et à la survenue de la maladie. Dans le cas du SRAS de 2003, on considère, avec de fortes présomptions, que l’animal intermédiaire, au-delà de la chauve-souris, était la civette palmée, félin particulièrement fréquent en Asie (primitivement dans l’Himalaya) ; pour le MERS, c’était le chameau. Cela n’est pas propre aux coronavirus. Pour Ebola, le cycle passe probablement par les grands singes. Tout le problème étant la transmission de l’homme à l’homme, une fois le saut d’espèce accompli.

Pour le SARS-CoV-2, on pense que l’animal est le pangolin (autrefois nommé le fourmilier) dont de nombreux travaux ont montré que le virus était très proche de celui qu’on observe chez l’homme ; et ce qui montre que ces maladies émergentes sont l’effet du comportement humain, c’est le trafic de ces animaux : on estime qu’environ un million de pangolins passent de leur territoire africain en Asie, parce que les populations asiatiques sont friandes de leur viande ainsi que de leurs écailles. La composante humaine joue un rôle dans toutes les maladies émergentes : ces petits animaux étaient vendus sous l’étal dans ce marché aux poissons de Wuhan et c’est là que les personnes se sont contaminées.

Quand on est retourné après l’épidémie de SRAS sur les marchés vendant des civettes, on a constaté que 70 % des marchands étaient séropositifs au coronavirus. On voit donc qu’il existe des zones de passage permanentes pour le saut d’espèce, et puis parfois, d’un seul coup, parce que le virus a muté, qu’il a acquis un petit fragment de génome supplémentaire, il devient parfaitement adapté au passage chez l’homme. On est donc constamment menacé par ces maladies émergentes. Ce sont des maladies d’anthropocène : pour l’essentiel voire exclusivement, elles sont liées à la prise en main de la planète et à l’empreinte que l’homme y laisse. Ce qui est valable pour le climat, pour l’environnement, est tout aussi valable pour les maladies infectieuses, en particulier émergentes, et les trois sont liés.

Il y a donc une histoire en trois épisodes : 1/ ces accidents de sauts d’espèce, 2/ le débordement éventuel, si le saut d’espèce remplit le cahier des charges et que l’homme peut être infecté et transmettre à d’autres individus, et 3/ l’explosion pandémique, du fait des transports intercontinentaux.

La carte des foyers d’infection et celle des vols aériens intercontinentaux (de l’ordre de 4 milliards en 2019) se recouvrent à 100 %. On voit donc bien quel est le rôle des transports dans la transmission et l’expansion de ces épidémies qui deviennent alors des pandémies. Après, viennent peut-être se greffer des aspects environnementaux, de température pour les régions du sud, peut-être aussi un retard au diagnostic, mais la comparaison des vols et des foyers d’infection est frappante.

Eco-pathologie des beta-coronavirus

Le récepteur des coronavirus SARS-CoV-2 et 1, est une enzyme accrochée à la surface des cellules, notamment pulmonaires, pneumocytes et endothélium, de l’endocarde, du rein, du foie et de l’intestin. Il est étonnant qu’un virus ait sélectionné comme récepteur l’enzyme de conversion de l’angiotensine II, une enzyme importante dans la régulation de la tension artérielle : c’est elle qui assure la tension vasculaire qui génère la pression artérielle.

C’est ce qui peut expliquer la gravité de la maladie : la pneumopathie, éventuellement sévère, dans une forme ultime qui est le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) que l’on observe chez des sujets plutôt âgés, à partir de 60 ans, chez ceux ayant des co-morbidités chroniques : diabète, hypertension artérielle, insuffisance cardio-respiratoire, immuno-suppression chronique, ce qui entraîne l’œdème et l’inflammation destructive des alvéoles pulmonaires, impliquant la nécessité de la réanimation. Ce qui est concerné par le virus, est la barrière alvéolo-capillaire, c’est-à-dire la zone d’échange d’oxygène entre les cellules de l’alvéole pulmonaire, qui assurent cette diffusion de l’oxygène à partir de l’air inspiré et les hématies des capillaires pulmonaires. Si ce système est altéré, on observe ces problèmes respiratoires qui vont éventuellement nécessiter la réanimation.

Les signes de cette forme aggravée de la maladie sont des signes inflammatoires classiques, ce qu’on appelle « l’orage cytokinique » : une augmentation importante des cytokines et chimiokines proinflammatoires. Ce qui est moins classique c’est ce SDRA, avec cette destruction de la barrière alvéolo-capillaire ; cela arrive rarement, mais c’est là qu’il faut intervenir le plus rapidement possible pour pourvoir à l’alimentation de l’organisme en oxygène. Le SDRA peut aussi survenir chez des individus plus jeunes, en phase de guérison, ce qui peut être lié à la réponse immunitaire.

Les réponses immunitaires adaptatives, spécifiques au virus, sont encore mal connues. On sait est que ce virus est assez vicieux : il a tendance à annihiler, sans que l’on sache pourquoi ni avec quels effecteurs, cette réponse immunitaire : probablement a-t-il « appris » à le faire chez la chauve-souris.

L’avenir est entre nos mains

L’avenir de cette pandémie de Covid-19 est entre nos mains. Nous avons à notre disposition la prévention et le traitement symptomatique des formes graves. C’est tout, pour l’instant, ce dont nous disposons. La prévention actuelle est basée sur cette notion nouvelle de distanciation sociale (chacun à un mètre l’un de l’autre, etc.) et l’hygiène individuelle des mains sur laquelle j’insiste : la contamination peut se faire par exposition à des gouttelettes émises par des patients malades éternuant ou toussant. Mais il semble que dans l’immense majorité des cas, les mains contaminées soient le réel vecteur, soit par contact avec un patient infecté, soit indirectement par contact avec une surface sur laquelle ces gouttelettes se sont trouvées déposées et où le virus semble pouvoir survivre plusieurs heures. Donc, pas d’embrassades, pas de mains serrées et hygiène absolue des mains et éviter de porter ses mains au visage tant que le lavage ou l’utilisation de gel hydro-alcoolique n’a pas été effectué. Il faut être extrêmement prudent à ce sujet et constamment en veille pour se protéger, soi et la collectivité.

Les objectifs sont d’écraser le pic épidémique de manière à préserver notre système sanitaire, à ne pas l’engorger avec des malades en état grave. Le problème est que les mesures qui ont été déclinées jusqu’à présent ont été manifestement insuffisantes, comme on l’a vu en Italie. Il faut alors en arriver à l’isolement, au confinement à domicile, ce qui relève du bon sens compte tenu de la dynamique intrinsèque de l’épidémie. Il faut prendre conscience de la gravité de la situation. On peut toujours penser que ça ne tombera pas sur soi. La seule bonne nouvelle est que les enfants de 0 à 9 ans ne sont pas touchés. Mais l’effet collectif est très important. Nous sommes tombés en quelques jours dans un autre monde. Il faut changer notre logiciel. Ce à quoi nous tenions hier, notre activité quotidienne, nos loisirs et nos travaux, il faut le peser par rapport à la gravité de la situation. Le bon choix malheureusement, dans l’immédiat, est à la réduction des activités et à l’isolement maximum entre les personnes. Plus l’épidémie progressera, plus le contrôle sera difficile voire impossible, et plus on sera forcé de laisser les choses se faire. C’est maintenant qu’il faut agir. On voit encore dans la population trop d’attitudes inadaptées et inconscientes ces jours derniers. Le message n’est pas encore entré.

Nos autorités sanitaires sont confrontées à trois options principales :

1/ La première – qui peut paraître cynique – serait de considérer que plus il y aura d’individus infectés, mieux cela permettra à la population de s’immuniser, et l’épidémie ira à sa fin naturelle, manquant d’individus immunologiquement naïfs. C’est le principe de l’immunité de groupe. On peut calculer que si 60 % de la population était infectée, l’épidémie s’arrêterait. par impossibilité de circulation du virus dans la collectivité. Mais cela serait au prix d’une épidémie très brutale, d’une durée relativement limitée certes, mais avec un coût ahurissant en formes graves. On l’a vu lors de l’épidémie de grippe asiatique au Royaume-Uni en 1957. Pendant une semaine à dix jours, le système de santé a implosé, parce que le personnel de santé était malade, les équipements insuffisants, le nombre de patients graves énormes.

2/ L’ « approche chinoise », totalement inverse : l’isolement massif des villes et des individus semble efficace avec un contrôle indiscutable de l’épidémie. Le risque est que peu d’individus aient été infectés (taux d’attaque réduit du fait du confinement) ; étant restés naïfs à ce virus, ils sont sujets à un retour du virus et risquent un rebond épidémique, ce qui justifie leur crainte d’un retour de la maladie des zones actuellement infectées comme l’Europe. D’où la nécessité absolue d’un vaccin pour éviter ces possibles rebonds.

3/ La position intermédiaire qui est la nôtre est d’écraser le pic épidémique pour l’étaler dans le temps, en espérant qu’un peu moins de 60 % de la population sera finalement infectée et surtout que l’ensemble du dispositif sanitaire sera préservé. À quoi s’ajouterait, on l’espère, le génie évolutif des maladies infectieuses dont parlait Charles Nicolle, pour nous permettre de nous dégager de l’épidémie, mais il est encore très difficile de faire des pronostics sur la durée de l’épisode. L’épidémie est d’abord et avant tout entre nos mains.

Les traitements

Outre la prévention, il est indispensable de trouver des traitements antiviraux pour diminuer le degré de gravité de certaines formes de la maladie et bloquer la transmissibilité d’individu à individu si un usage large en était possible. Il s’agit d’abord du « repositionnement » de certains médicaments déjà éprouvés pour d’autres virus (comme le VIH), puis d’autres plus spécifiques de ce virus… et de ceux qui risquent de suivre.

Il est aussi urgent de mieux comprendre la physiopathologie du SDRA afin d’en développer une pharmacologie dédiée utilisant des molécules repositionnées puis des molécules véritablement nouvelles.

Ces maladies, comme Covid-19, font partie des maladies émergentes de demain. Il faut absolument trouver un vaccin efficace. La conception, la mise au point, la recherche et le développement, la validation, les études cliniques, les enregistrements auprès des agences de régulation, tout cela prend entre 8 et 12 ans pour un vaccin standard. C’est incompatible avec l’urgence d’une émergence. La capacité d’identifier de nouvelles cibles vaccinales s’est considérablement améliorée ces dernières années. On a déjà des vaccins candidats qui vont commencer à rentrer en essais cliniques, gérés de manière à aller le plus vite possible. Mais on sait que tout cela prendra au moins une année et ne permettra que de gérer les rebonds, les étapes finales, voire de prévenir la maladie dans d’autres continents comme l’Afrique, où des mesures d’isolement seront difficiles. Le vaccin est essentiel, tout le monde est concerné : l’Institut Pasteur, l’Inserm, etc. Mais il y a un temps scientifique de développement, et dans cette phase de vide, c’est nous, la façon dont nous comprenons cette maladie et la nécessité de ces mesures d’isolement et d’hygiène individuelle, qui avons notre destin entre nos mains. Ce n’est pas tous les jours que notre destin est aussi marqué par un événement. Les guerres modernes, ce sont les maladies infectieuses. Notre vie va changer.

Philippe Sansonetti


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