Cette "réforme des retraites" est un tissu de mensonges et une supercherie.

samedi 14 décembre 2019.
 

Interview de Jean-Jacques Chavigné d’Amiens, spécialiste des retraites, par le Courrier Picard. Il décrypte quelques-uns des aspects de la réforme.

Picardie - Syndicaliste, militant politique, Jean-Jacques Chavigné s’intéresse de longue date à la question des retraites. Il a coécrit plusieurs ouvrages sur le sujet avec Gérard Filoche. Retour sur une réforme contestée.

Un système plus universel, plus simple, plus juste... Le gouvernement et Jean-Paul Delevoye ont déployé de gros efforts pour tenter de "vendre" leur réforme des retraites. En jouant notamment sur une corde sensible, celle de l’ "égalité" entre les salariés.

Jean-Jacques Chavigné, le gouvernement affirme que le nouveau système de retraite à points sera plus juste, plus solidaire, plus lisible. Dis comme ça, difficile d’être contre…

Évidemment… Le problème, c’est que ce slogan, comme le rapport de M. Delevoye sur lequel repose cette réforme, est un tissu de mensonges et une supercherie. Il affirme notamment que les carrières à trous seront mieux prises en compte. On voit mal comment en faisant reposer le calcul du salaire de référence sur 43 années, et donc l’ensemble d’une carrière, on aurait au bout du compte un calcul plus avantageux que celui qui repose actuellement sur les 25 meilleures années. La communication gouvernementale s’appuie sur quelques exemples anecdotiques, de personnes au parcours singulier, qui ici et là gagneraient davantage, alors que l’impact sur les retraites d’une immense majorité de salariés promet d’être calamiteux.

Il maintient pourtant que les femmes notamment, seront mieux traitées…

Le vrai problème de la retraite des femmes, c’est le montant de leur salaire au cours de leur carrière. Là, on nous vend notamment le fait qu’il y aura une gratification de 5 % dès le 1er enfant. Mais on oublie de dire que parallèlement, on fera disparaître la bonification de huit trimestres par enfant dans le privé, quatre trimestres par enfant dans le public. Ce qu’on donne d’une main on le reprend largement de l’autre.

Quand même, les régimes spéciaux, c’est une aberration, non ?

On nous parle toujours des 42 régimes. Je rigole quand je vois ce que sont certains. Le régime spécial du Port autonome de Strasbourg, c’est un peu plus de 200 bénéficiaires ! En réalité, les trois principaux régimes visés, ceux de la SNCF, de la RATP et d’EDF, représentent à eux trois 327 000 personnes, sur un total de 29,6 millions de salariés ! Et c’est au nom de ces régimes spéciaux qu’on va réformer la retraite de tous ?! Je rappelle par ailleurs que les 3,2 milliards d’euros que l’État verse à ces régimes, visent notamment à rééquilibrer les déséquilibres démographiques au sein de ces régimes, liés à des suppressions massives d’emploi qui sont intervenues à la demande de… l’État. Et puis, au nom de quoi les différents régimes devraient tous s’autoéquilibrer ? Que deviendrait celui des agriculteurs, des mineurs, des artisans ? C’est cela la solidarité ?

En résumé, et si on vous écoute, il n’est pas vraiment question de justice sociale ici ?

Je ne le pense pas, non. Tous les salariés vont y perdre. Une de plus gros mensonges, je crois le pire de tous, consiste à dire aux gens : « Vous aurez le choix de travailler plus longtemps pour gagner davantage en retraite » . Or 60 % des gens ne sont plus au travail quand ils prennent leur retraite. Ils sont soit au chômage, soit malades, soit en invalidité, soit au RSA. Et on sait que les meilleures années sont celles entre 60 et 65 ans. À partir de 64 ans, les problèmes de santé se multiplient.

S’il n’y a vraiment rien de bon, qu’est-ce qui, selon vous, se cache derrière cette réforme ?

Les dividendes des actionnaires ! Il y aurait des solutions pour équilibrer les comptes des caisses de retraite, même en revenant à la retraite à 60 ans avec 40 annuités. Lutter efficacement contre la fraude fiscale, augmenter les cotisations en particulier les cotisations patronales. Mais cela réduirait d’autant la part disponible pour rémunérer les actionnaires. Et puis, il y a cette masse d’argent disponible qui échappe pour l’instant aux fonds de pensions. Quand les gens verront ce qu’ils toucheront avec la retraite à points – sachant qu’il n’y a aucune garantie sur la valeur du point – il ne leur restera plus qu’à opter en complément pour une retraite par capitalisation. Et ça aiguise de très gros appétits dans le monde de la banque et de l’assurance. Les autres, ceux qui ne pourront pas payer, devront se contenter du strict minimum.


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