Hongkong, l’université assiégée : le combat acharné de la PolyU

mardi 26 novembre 2019.
 

La police a durci le siège de l’Université polytechnique de Hongkong (PolyU), lundi 18 novembre, un peu avant l’aube, après plusieurs jours d’un blocage qui s’était considérablement tendu ce week-end.

Les « braves », surnom des manifestants qui se battent en première ligne, ont à leur disposition, sur place, des centaines de cocktails Molotov, avec lesquels ils ont réussi à mettre le feu à un camion blindé, et des tonnes de pavés, qu’ils lancent au bras ou à la catapulte, ainsi que des flèches tirées à l’arc… Mais c’est surtout en déclenchant un feu à l’une des entrées pour bloquer l’accès de la police que les occupants ont réussi à défendre leur position, lundi matin. L’annonce, vers minuit dimanche, que la police allait tirer à balles réelles et la circulation en ligne d’images des armes semi-automatiques entre les mains de policiers participant à l’opération ont déclenché une vague de panique et de soutien d’une partie de la population, inquiète pour ses jeunes présents sur le campus – quelques milliers, selon nos estimations. Des Hongkongais se sont alors rapprochés de la zone de tension, derrière les cordons de police, parfois pour bloquer les véhicules de police ou pour tenter des diversions.

Peur

Lundi matin, une nouvelle vague de citoyens en tenue de travail, ainsi que des manifestants, en noir de la tête aux pieds, ont afflué dans le quartier touristique de Tsim Sha Tsui, où ils ont dressé des barricades sur Nathan Road, afin de soutenir moralement les occupants de PolyU et compliquer la ­tâche de la police. Mais le noyau dur des manifestants retranchés à l’intérieur arrive à court d’option face au siège, désormais total, de la police, qui empêche tout ravitaillement. Dans la soirée, des dizaines de manifestants sont parvenus à s’échapper, descendant en rappel depuis une passerelle, puis ont été récupérés sur une route en contrebas par des personnes à moto, jusqu’à ce que la police soit alertée et barre la route aux suivants, rapportent des journalistes sur place. A l’intérieur, d’autres protestataires étaient affalés sur des chaises, épuisés par deux jours de bataille, la peur d’être arrêté et les menaces croissantes d’assaut de la police antiémeute. D’autres pleuraient, consolés par des amis. Des manifestants tentent par ailleurs de briser le siège depuis l’extérieur.

Depuis l’évacuation du campus de l’Université chinoise (CUHK) à Sha Tin, vendredi 15 novembre, c’est le campus de la PolyU, sur la péninsule de Kowloon, beaucoup plus compact, qui est devenu le nouveau bastion de la résistance et de la rébellion antigouvernementales. A l’instar de l’université chinoise, située à côté d’une autoroute – la Tolo Highway – et d’une voie ferrée – l’Eastern Line –, que les manifestants avaient bloquées pendant plusieurs jours, le campus de la PolyU occupe également une position stratégique, à la sortie du tunnel central, le plus fréquenté des trois tunnels qui relient l’île de Hongkong au reste du territoire de la région administrative spéciale. Or, cet axe majeur est bloqué depuis mercredi, la plus longue fermeture de son histoire.

Dimanche après-midi, des ­confrontations avaient commencé en plusieurs endroits. Outre un déluge de gaz lacrymogènes et plusieurs interventions des canons à eau, la police a utilisé pour la première fois des canons à son LRAD (Long Range Acoustic Device), qui émettent des fréquences pénibles, en général pour disperser les foules. Sauf qu’à la PolyU la police contrôlait tous les accès à l’université et n’avait laissé aucune porte de sortie possible pour les occupants du site, de fait piégés dans l’enceinte du campus.

« Situation désastreuse »

« Cela fait des heures que nous leur demandons de quitter les lieux. Nous avions organisé un couloir d’évacuation par l’un des deux ponts, pour permettre à tous ceux qui le voulaient de sortir avant qu’il ne soit trop tard, mais ils ont créé un énorme incendie sur le pont, rendant impossible cette sortie. Cette situation désastreuse est entièrement de leur faute », nous affirmait, dimanche dans la nuit, un policier gradé de Kowloon West qui « souhaitait faire entendre la version de la police mais n’avait pas le droit de s’exprimer officiellement ». « Nous sommes pris entre deux camps. Toute cette crise est entre nos mains. Mais les manifestants se trompent de cible en estimant que nous sommes leur ennemi », ajoutait le policier.

D’après les informations qui circulent sur les réseaux sociaux, tous les groupes de manifestants, organisés par districts et par quartiers, ont envoyé leurs meilleurs combattants sur place. « Si la PolyU tombe, le mouvement va perdre la plupart de ses “braves” », constatait, lundi, un étudiant informé de la situation du mouvement dans plusieurs districts.

Au sein du campus, régnait lundi matin une ambiance tendue de veillée d’armes. Un calme qui semble anormal, troublé de temps en temps par des appels au mégaphone des services d’ordre du mouvement : « Du renfort est demandé à la porte Y. » Dans une cour en forme d’amphithéâtre en plein air, deux grands écrans de télévision diffusent les informations en direct. « Ils parlent de nous comme si on allait tous mourir », observe, le menton dans les genoux, une étudiante de la CUHK. Des groupes d’ombres sveltes, recouvertes de capes de plastique transparent – en guise de protection contre les jets des canons –, déambulent entre galeries, escaliers et cours intérieures de ce vaste ensemble de bâtiments en briques, qui pourrait vite se transformer en souricière. D’autant que peu de gens semblent familiers des lieux.

Flèches et liquide gluant

La plupart des occupants du campus ne sont pas des étudiants de la PolyU. « C’est la première fois de ma vie que j’entre dans une université. Quand j’ai entendu à quel point la situation se tendait, j’ai décidé de venir les soutenir. Ils se battent pour nous tous. Et ils sont trop jeunes pour cela », nous affirme Gerald, 30 ans, vendeur de téléphones, assis sur un muret dans l’une des cours intérieures de ce vaste ensemble, en fumant une cigarette. Un peu partout, et malgré de fréquents panneaux indiquant « merci de faire le ménage », une pagaille indescriptible de barricades de fortune, de déchets en tout genre, de meubles détruits, donne un air de fin du monde à l’endroit. Parmi cette foule de silhouettes sans visage, Syrus, 16 ans, est aux avant-postes, sur le balcon Y.

Son rôle sera d’apporter le plus vite possible, mais avec les précautions nécessaires, les cocktails Molotov aux lanceurs postés à quelques mètres de lui en contrebas. « Des bombes », répond sobrement une jeune femme, à qui on demande ce qu’elle est en train de fabriquer, alors qu’elle mélange, avec des baguettes en bambou, un liquide gluant. A ses côtés, quatre compagnes d’armes, assises en tailleur, remplissent de gaz et autres matériaux inflammables des bouteilles de bière vides. Le campus fourmille d’ateliers de ce genre. Dans la cantine en sous-sol, d’autres petites mains trempent les bouts de flèches dans un liquide dont elles ne souhaitent pas indiquer la nature… Le parquet du gymnase est recouvert de tapis de sol. Certains logent sur place depuis plusieurs jours. Pour se donner des forces, les murs, couverts d’affiches et de graffitis, rappellent que « les idées résistent aux balles ». « Nous n’avons pas peur de la mort ni des arrestations, parce que l’histoire nous acquittera », lit-on dans le testament en ligne, diffusé le matin de lundi 18 novembre et adressé à tous les Hongkongais, des « étudiants pris au piège de la PolyU ».

Florence de Changy


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message