Hongkong : une nouvelle manifestation géante (1,7 million) défie Pékin

lundi 26 août 2019.
 

Le centre de l’île a été bloqué sur plusieurs kilomètres, dimanche, par des centaines de milliers de protestataires, comme le 16 juin. Mais le mouvement fait désormais le choix de la non-violence.

Le mouvement pro-démocratique qui s’est emparé de Hongkong il y a dix semaines a de nouveau gagné son pari, dimanche 18 août. Malgré les violences des précédents rassemblements, malgré les menaces de la police et de Pékin, malgré une pluie torrentielle, les Hongkongais ont été une fois de plus extrêmement nombreux à répondre à l’appel des organisateurs et à braver l’interdiction de manifester : 1,7 million selon le pointage des bénévoles, chiffre bien plus réaliste que les 128 000 participants annoncés par la police.

Comme le 16 juin où 2 millions de Hongkongais (sur 7,4 millions) étaient déjà descendus dans la rue, le centre de l’île a été de nouveau bloqué sur plusieurs kilomètres pendant environ huit heures par des flots incessants de manifestants. Mais le 16 juin, l’ambiance était grave, les Hongkongais silencieux. Ce n’est que lorsqu’ils se sont aperçus de l’importance historique de leur marche qu’ils ont laissé éclater leur joie.

Rien de tel ce dimanche. Dès le début du rassemblement, un cri puissant s’est élevé au-dessus d’une mer de parapluies : « Libérer Hongkong, révolution de notre temps. » Le slogan d’un mouvement qui se bat désormais pour le retrait total du projet de loi sur les extraditions vers la Chine, pour une enquête sur les violences policières, pour la libération des 700 manifestants arrêtés ces dernières semaines et plus globalement pour l’élection au suffrage universel des responsables politiques locaux, en grande partie nommés par Pékin.

Depuis une dizaine de jours, la propagande chinoise affirme que Hongkong vit sous la menace d’un petit groupe de « quasi-terroristes » qui veulent l’indépendance et ne représentent qu’eux-mêmes. Dimanche, les Hongkongais, de tous âges et de toutes conditions sociales, ont puissamment démontré le contraire. Ils ont clos de manière impressionnante un week-end qui avait démarré le vendredi soir de façon émouvante.

« Protégeons la génération suivante »

Des milliers de manifestants avaient notamment entendu par vidéo le jeune Brian Leung, aujourd’hui réfugié à l’étranger, leur expliquer pourquoi il faisait partie, le 1er juillet, de ceux qui avaient envahi le Parlement local, à visage découvert. « Une communauté ne peut émerger que si nous faisons nôtre la souffrance de chacun et si chaque sacrifice est fait pour nous tous », a notamment déclaré ce jeune homme charismatique écouté dans un silence religieux par une foule réunie dans Chater Garden, au pied des gratte-ciel de la finance.

C’est également là que, samedi, bravant eux aussi la pluie, des milliers d’enseignants, réunis sous le slogan « Protégeons la génération suivante, laissons notre conscience parler », avaient apporté leur soutien aux étudiants.

Mais le territoire semi-autonome est divisé. « Dans chaque famille, il y a ceux qui soutiennent les étudiants et ceux qui sont contre », témoigne une jeune manifestante. D’ailleurs, dans le jardin qui jouxte le Parlement, samedi après-midi, des dizaines de milliers de manifestants – 108 000 selon la police, plus de 476 000 selon le quotidien chinois Global Times – ont, eux, dénoncé la violence et apporté leur soutien aux forces de l’ordre.

Un rassemblement qu’il serait facile de caricaturer – avec d’innombrables policiers en civil qui prennent les journalistes en photo durant les interviews et une bonne partie des participants dont l’accent trahit qu’ils n’habitent pas Hongkong. Mais les gros sabots de Pékin ne doivent pas faire oublier qu’il y a aussi des Hongkongais que les violences inquiètent réellement.

« Je ne suis pas contre les jeunes, mais ils sont en train de détruire le Hongkong que ma génération a construit. Ils doivent arrêter, ça devient ridicule », explique un homme âgé. « Ils croient qu’ils se battent pour leur avenir mais ils sont au contraire en train de le ruiner. Hongkong devient un fardeau pour Pékin. La Chine va nous abandonner. Bien sûr que le régime communiste a fait des erreurs dans le passé. Mais les démocraties aussi en font. Regardez le Brexit. Hongkong est devenu un champ de bataille entre les Etats-Unis et la Chine. C’est comme la Syrie, la guerre en moins. C’est malheureux à dire mais parfois je souhaite une intervention de l’armée chinoise pour que l’ordre revienne », déclare Annie Chan, une jeune retraitée du Crédit agricole de Hongkong, qui nous donne son nom sans la moindre hésitation.

En évitant cette fois de provoquer la police, les manifestants pro-démocratiques ont prouvé dimanche qu’ils ont entendu le message : la violence est contre-productive. Qu’en pense Pékin ? Ces dernières heures, plusieurs voix laissent entendre que « Hongkong ne sera pas Tiananmen » et donc que l’armée chinoise n’interviendra pas.

La réponse de la Chine sera plus subtile. Dimanche, durant la manifestation, les médias chinois annonçaient que le gouvernement avait un nouveau plan pour développer Shenzhen, la ville qui fait face à Hongkong. Cette mégapole va se voir doter de nouveaux privilèges juridiques – mais aussi politiques, paraît-il – pour attirer les investisseurs étrangers. Hongkong la rebelle doit savoir que, d’une façon ou d’une autre, elle sera punie.

Frédéric Lemaître (Hongkong, envoyé spécial)


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