En Papouasie occidentale, la colère des étudiants face aux injures des forces de l’ordre

lundi 26 août 2019.
 

Révoltés par les injures racistes de la police indonésienne, les étudiants de Papouasie occidentale ont manifesté le 19 août, incendiant le Parlement local et détériorant l’aéroport.

Lundi 19 août, en Papouasie occidentale – province indonésienne – des centaines d’étudiants papous ont manifesté, incendiant le Parlement local de Manokwari et brisant les vitres du terminal de l’aéroport de Sorong, considéré comme la porte d’entrée de Raja Ampat, joyau du tourisme indonésien.

Ils ont brandi des pancartes : “Nous ne sommes pas des singes, nous sommes des humains ! Stop au racisme !” rapporte Kompas.

Cette vague de manifestations estudiantines a été provoquée par un incident qui s’est produit deux jours plus tôt, à plus de 2 300 km à l’ouest, dans la grande ville portuaire de Surabaya sur l’île de Java.

Des militants d’organisations nationalistes et religieuses fanatiques avaient encerclé la résidence des étudiants originaires de Papouasie occidentale, les accusant violemment d’avoir dégradé le drapeau national.

Les forces de l’ordre ont alors pris d’assaut la résidence des étudiants en utilisant notamment du gaz lacrymogène.

Insultes policières

Le Jakarta Post cite le rapport de l’Institut d’aide légale de Surabaya selon lequel des policiers auraient insulté les étudiants en les traitant de “singes”, avant d’arrêter 43 d’entre eux.

Lundi soir, face à la situation qui s’enflammait en Papouasie, la gouverneure de la province de Java-est, Khofifah Indar Parawansa, a présenté ses excuses au cours d’une réunion de pardon et de réconciliation, en présence d’étudiants papous :

“Au nom de tous les citoyens de Java-est, je suis venue ici pour m’excuser. Ce qui s’est passé ne représente pas la voix de la population de notre province.”

Un chant pour s’excuser

Tempo en ligne ajoute que l’ancienne ministre des Affaires sociales a même été jusqu’à entonner une des chansons les plus populaires de Papouasie, célébrant la fierté d’être papou, Aku Papua (Je suis papou) :

“Peau noire, cheveux crépus/Je suis papou /Et même si le ciel se fend/ Je suis papou”

Ces excuses, auxquelles s’est associée la maire de Surabaya, Tri Rismaharini, semblent avoir calmé la situation.

Mais selon Kompas, “200 membres de la brigade mobile de police de la région de Célèbes-sud viennent de débarquer à Sorong et 600 autres vont être appelés des provinces les plus proches en renfort.”

Les injustices nourrissent la colère

L’éditorial du Koran Tempo du 20 août souligne que ce n’est pas le premier incident à Surabaya. Un rapport du Comité pour les personnes disparues et victimes de violence (Kontras) comptabilise, entre 2018 et 2019, huit expulsions d’étudiants papous par la police locale.

Elles ont été caractérisées par des menaces, des saisies, des passages à tabac et des arrestations forcées.

“La question de la Papouasie est de plus en plus compliquée, car le gouvernement la ramène à un simple problème de sécurité ou de trahison, sans prendre en compte le contexte plus large, à savoir les injustices subies par les Papous depuis des années” dénonce Koran Tempo.

“C’est cette approche qui fait que le conflit perdure. Il est indéniable qu’à ce jour, les ressources naturelles de la Papouasie - forêts, pétrole, cuivre, or – sont exploitées sans apporter beaucoup d’avantages aux populations locales.”

En Papouasie, le cycle sans fin des violences

Kompas - July 23, 2019

La construction d’une route à travers la Papouasie indonésienne continue d’attiser les foudres des indépendantistes. Les violences se multiplient, poussant des civils à fuir et à se réfugier dans la jungle. Des dizaines d’entre eux seraient morts de faim.

Le conflit entre l’armée indonésienne et les indépendantistes dans la région de Nduga, en Papouasie, continue à faire des victimes, indique le quotidien Kompas. Outre l’assassinat de nombreux civils, soldats, policiers et ouvriers travaillant à la construction de la route Trans-Papua depuis décembre 2018, le bruit court depuis quelques jours que des dizaines d’habitants réfugiés dans la forêt pour fuir les violences seraient morts de faim et de malnutrition.

“Il y a beaucoup d’informations qui circulent. Le nombre de morts varie entre 50 et 177”, affirme John Jonga, prêtre catholique papou et militant des droits de l’homme. Il encourage le président Joko Widodo à dépêcher de toute urgence une équipe placée sous la tutelle du ministère des Affaires sociales afin de recenser le nombre de personnes ayant fui.

Le 20 juillet, un nouveau soldat indonésien a été tué sur le chantier de la Trans-Papoua par des membres du groupe indépendantiste commandé par Egianus Kogoya. En mai, 600 militaires ont été déployés pour construire les 30 ponts sur un tronçon de 284 kilomètres entre Wamena et Mamugu, le tracé total s’étendant sur 4 600 kilomètres.

Contacté par Kompas, un porte-parole de l’Organisation de la Papouasie libre (OPM), Sebby Sambon, a affirmé que son mouvement poursuivra ses attaques à Nduga contre l’armée indonésienne tant que les travaux se poursuivront : “Nous n’avons pas besoin de Trans-Papoua mais d’un référendum. L’OPM n’empruntera pas la voie de la diplomatie”, a-t-il déclaré au quotidien. En Papouasie occidentale, l’armée indonésienne traque les rebelles indépendantistes

Tempo - June 21, 2019

Reportage sur la ligne de front dans une région sous tension, enjeu majeur pour le second mandat du président indonésien Joko Widodo.

Le district de Yigi est comme mort. Ce 31 mars, il n’y a pas un signe de vie dans cette région au nord du canton de Nduga, en Papouasie. Les honai [huttes traditionnelles papoues] sont à l’abandon, les champs déserts. Pas un habitant en vue. Ni même un cochon ou une poule.

Yigi se situe sur la ligne de front entre les forces de l’armée et de la police indonésiennes et les rebelles de l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale (TPNPB), commandés par Egianus Kogeya.

Sur la colline qui garde l’accès à Yigi, des dizaines de militaires indonésiens occupent quatre baraques appartenant à l’entreprise publique PT Istaka Karya qui construit le pont de la Trans-Papua à Nduga. Au sommet flotte un drapeau rouge et blanc [aux couleurs de l’Indonésie].

Sur cette hauteur, ils peuvent surveiller pratiquement toute la région de Yigi.

“Cela fait longtemps que les habitants ont quitté ce district”, affirme le lieutenant Deddy Santoso, commandant du poste.

Le 1er décembre 2018, le groupe armé d’Egianus a enlevé des ouvriers du chantier de la compagnie Istaka Karya. Le lendemain, les combattants indépendantistes les emmenaient sur le mont Tabo, à environ trois kilomètres de Yigi, et abattaient dix-sept d’entre eux.

Le massacre aurait été commis parce que les travailleurs n’avaient pas obéi à la sommation lancée par les rebelles. Ils leur avaient demandé de quitter la région une semaine avant la commémoration du jour de l’indépendance de la Papouasie par le TPNPB, le 1er décembre.

Des combattants du TPNPB ont également pourchassé quatre ouvriers qui avaient réussi à se réfugier dans le poste de l’armée indonésienne dans le district de Mbua, à environ deux kilomètres du mont Tabo. Le 3 décembre, les belligérants ont échangé des tirs du matin au soir.

Le coordinateur des Églises de l’Évangile de Papouasie (Kingmi) de la région de Nduga, le révérend Nathaniel Tabuni, raconte qu’il s’était, alors, précipité au milieu du champ de bataille.

Agitant un drapeau de l’Église, il espérait que le groupe d’Egianus et la TNI [l’armée nationale indonésienne] cesseraient les hostilités. Il regrette :

“En réponse, j’ai reçu une lance.”

Durant ces affrontements, un militaire indonésien est mort. Le lendemain, les forces de l’armée et de la police indonésiennes sont entrées à Mbua pour évacuer les corps et traquer les hommes d’Egianus jusqu’à ce que ceux-ci se replient en direction de Yigi.

Sur la route qui descend du mont Tabo et traverse la forêt, on peut encore voir les grands troncs d’arbres abattus utilisés par les combattants indépendantistes pour barrer le passage aux véhicules de l’armée indonésienne.

En cette fin mars 2019, le district de Yigi n’est pas entièrement sous le contrôle des forces indonésiennes. Le lieutenant Deddy Santoso montre la direction d’une hutte à deux kilomètres de son poste et ranconte :

“La semaine dernière, il y avait quatre ou cinq hommes armés là-bas.”

Non loin de cette hutte, on aperçoit le camp de l’entreprise PT Istaka Karya. Les engins lourds y sont immobilisés au milieu des herbes sauvages. Les armatures en fer rouillent, les câbles pourrissent dans des conteneurs. Des blocs de béton s’entassent au bord de la route.

Depuis que le conflit a éclaté en décembre 2018, la construction des infrastructures dans cette région s’est arrêtée [en particulier l’autoroute Trans-Papua, qui doit rallier l’est à l’ouest de la province, un des projets phares du président Joko Widodo].

En fait, depuis fin juin 2018, l’armée traque les hommes d’Egianus Kogeya. Ils sont accusés par la police d’avoir pris en otage plusieurs instituteurs et agents de santé à Mapenduma au début du mois d’octobre 2018 et d’avoir violé une institutrice. Une accusation réfutée par le cousin d’Egianus, Raga Kogeya. Il affirme que l’auteur du viol n’est pas un membre du groupe armé de son parent.

Après l’attaque des hommes d’Egianus à Nduga, les forces de l’armée et de la police ont mené des opérations conjointes pour reprendre le contrôle du district, et des soldats ont été envoyés en renfort.

Le commandant du bataillon de Nduga, le major Deri Indrawan, explique que le mont Tabo est devenu le sanctuaire d’Egianus et de ses hommes. De là, ils peuvent passer d’une région à l’autre. Cette montagne, souvent cachée dans le brouillard, culmine à 2 800 mètres. Elle relie Yigi et Mbua. Le major Indrawan précise :

“Nous contrôlons désormais Tabo, mais nous n’avons pas encore établi de poste là-bas.”

Selon le colonel Binsar, chef du commando opérationnel, les forces de l’armée et de la police cherchent à réduire l’espace et les mouvements des hommes d’Egianus, y compris en leur coupant l’accès à la logistique et aux munitions qui proviendraient de la ville de Wamena.

À Napu, près de Wamena, l’armée contrôle tous les véhicules qui prennent la direction de Mbua et de Yigi. Dans les districts de Mapenduma et de Mugi, les forces de l’ordre sont sur leurs gardes. Début mars, trois soldats du commando des forces spéciales ont été tués dans une échauffourée avec les hommes d’Egianus.

Le porte-parole du TPNPB, Sebby Sambom, a affirmé que son groupe avait réussi à tuer cinq membres de l’armée indonésienne et à s’emparer de quatre fusils. Et mi-mars, un autre soldat de la brigade mobile a été tué sur l’aéroport de Mugi au moment où il surveillait le débarquement de matériel logistique.

Pour le colonel Binsar, l’arrestation d’Egianus est imminente, parce que son groupe ne pourrait plus s’approvisionner dans les champs des villageois, étant donné que l’armée et la police ont pris le contrôle de la région.

Mais le cousin d’Egianus, Raga Kogeya, doute que son parent puisse être vaincu. Selon lui, les hommes d’Egianus ne comptent pas sur la logistique de Wamena ni sur les champs des villageois. Ils peuvent se nourrir avec les plantes de la forêt. Raga ironise :

“Cela fait plus de trois mois qu’il est pourchassé, mais Egianus n’a pas encore été attrapé.”

En dépit de ce conflit entre les forces de l’ordre et les hommes d’Egianus, les deux camps communiquent parfois par radio. Le lieutenant Deddy Santoso relate ainsi une conversation qui s’est déroulée entre le groupe d’Egianus et ses soldats.

Selon Deddy, un des combattants a expliqué à un militaire les raisons pour lesquelles ils voulaient que la Papouasie soit indépendante. Puis le militaire lui a dit : “Allez, Egianus, descends donc, qu’on boive un café ensemble.” Alors la voix à l’autre bout de l’onde radio a répondu : “Ah… J’ai la flemme…”

À la différence du district de Yigi, celui de Mbua commence à revenir à la normale. Tempo a été témoin du retour des habitants dans leur village, même si certains vivent encore, réfugiés, dans diverses régions.

Le lundi 1er avril, une mamie faisait brouter ses cochons près de la piste d’atterrissage. Ce même jour, six élèves du collège protestant Firdaus ont participé aux examens nationaux. “Ici, c’est redevenu sûr”, affirme le directeur de l’établissement, Ut Lokbere.

Natalia Lokbere, la fille d’Ut, qui s’était réfugiée à Wamena, reconnaît qu’elle souffre encore de traumatisme. Parmi les trois habitants qui ont été tués dans les affrontements entre l’armée et le TPNPB, deux étaient des élèves de son collège. Le colonel Binsar confirme que des civils ont été tués lors de l’assaut du 4 décembre 2018. Il affirme qu’ils faisaient partie du groupe qui a attaqué le poste de l’armée. Le colonel précise :

“Des villageois de Mbua ont participé à l’attaque. Si on porte une arme et qu’on passe à l’attaque, légalement, on peut vous tirer dessus.”

L’armée est parfois appréciée. Début avril, une grand-mère qui ne parlait pas indonésien est arrivée au poste de l’armée attaquée en décembre 2018 par les hommes d’Egianus. Elle apportait quelques bottes de légumes. Elle est entrée dans le poste et a dévoré la nourriture des militaires. Elle en est ressortie avec une boîte de biscuits. Le commandant de la compagnie, le capitaine Hafid raconte :

“À présent, les habitants échangent souvent les produits de leurs champs contre des aliments de l’armée.”

Les militaires s’efforcent de se rapprocher de la population locale. Le colonel Binsar, par exemple, se rend souvent à Mbua. Par deux fois, il a organisé une cérémonie des “pierres grillées” – la cuisson traditionnelle papoue des tubercules, des légumes, du poulet et du cochon qu’on enterre sous des pierres ardentes – avec le pasteur Nathaniel Tabuni. Mais ce dernier demande tout de même que l’armée quitte sa région. Selon lui, même si la situation s’est calmée, une grande partie des habitants a peur de la présence des forces de l’armée et de la police. Le pasteur assure aussi que les hommes d’Egianus ne sont plus les bienvenus à Mbua :

“Je ne veux plus voir de sang couler à Nduga.”


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