Hongkong se mobilise en masse pour défendre ses libertés face à Pékin

samedi 15 juin 2019.
 

Plus d’un million de personnes ont défilé dimanche pour protester contre le projet de loi qui permettrait les extraditions vers la Chine continentale.

« 1,030 million de participants ! » ont annoncé dimanche 9 juin, en fin de journée, les organisateurs fous de joie à une foule calme et fatiguée qui croisait les poignets en l’air, mains tendues, en signe de « non » devant l’immeuble moderne du Parlement local, le Legco, avec le bras de mer du Port Victoria en décor de fond. Cette marche de protestation avait pour but de demander l’abandon d’un projet de loi qui facilitera l’extradition vers la Chine et que le gouvernement espère faire passer en force avant l’été.

« Non à l’extradition en Chine », en caractères noirs sur fond rouge était la pancarte la plus répandue dans l’interminable fleuve de tee-shirts blancs, code vestimentaire des manifestants. Hennessy Road, l’une des longues artères qui traversent le nord de l’île de Hongkong d’est en ouest, fut prise d’assaut par cette foule de marcheurs à la colère calme sur plusieurs kilomètres.

Le cortège a d’ailleurs dû démarrer une demi-heure plus tôt que prévu, à la demande de la police, au vu de la foule qui affluait de toutes parts. Le métro était saturé, et certaines sorties ont été momentanément fermées, par sécurité.

A la nuit tombée, les marcheurs arrivaient encore devant le Parlement, qui doit examiner le texte controversé mercredi 12 juin. Une dizaine de militants ont alors entrepris un sit-in devant le Parlement. Plus tard, vers minuit, alors que la permission de manifester expirait, des heurts violents ont eu lieu aux abords du Legco, quand quelques manifestants ont tenté de rentrer dans l’immeuble et ont lancé bouteilles et barres de fer. Ont suivi quelques heures d’échauffourées au cours desquelles la police a utilisé des gaz poivres et des bâtons. Plusieurs arrestations ont eu lieu.

« Personne ne veut aller en prison en Chine »

Mais pendant les très longues et chaudes heures de marche, la manifestation s’est passée de manière calme, un rassemblement éclectique de la population de Hongkong, tous âges et classes sociales confondus, des personnes âgées et de nombreux enfants également mobilisés par la cause du jour. « Personne ne veut aller en prison en Chine ! », affirme Toby, 10 ans qui ajoute « nous avons le droit d’être jugés à Hongkong si nous sommes des Hongkongais ». Sa mère, Mary Wong, institutrice, s’inquiète d’un futur régi par la Chine alors que Hongkong jouit depuis longtemps de la plupart des libertés civiles conformément à la déclaration universelle des droits de l’homme : « Pour nos enfants, on n’entrevoit aucun futur. On sait que l’on ne peut pas avoir confiance dans le gouvernement chinois. C’est pour cela que l’on s’oppose à cette nouvelle loi. »

La polémique autour de ce projet de loi, proposé il y a plusieurs mois, est longtemps restée limitée à des petits cercles, notamment les politiques, les milieux d’affaires, les diplomates et les journalistes. Mais plus le gouvernement a tenté d’expliquer ce projet, plus la population a commencé à le comprendre et à s’en inquiéter. Il a fini par toucher une corde sensible chez de très nombreux Hongkongais qui tiennent dur comme fer à « leurs libertés ». « La liberté vaut plus qu’un ticket de loto gagnant », nous affirme un vieil homme en fauteuil roulant.

Cheveux courts un peu hirsutes et haut bariolé, la dynamique retraitée Pansy Tsoi est venue pour protester des nouveaux territoires, la partie continentale de la région administrative spéciale de Hongkong, où, affirme-t-elle, tout le monde, dans son entourage de « gens de base », a compris que Hongkong était « en danger de mort ». « Moi, je ne risque rien, je suis vieille et pauvre et je n’ai jamais rien eu à faire avec la Chine continentale. Mais c’est pour Hongkong que je viens, ce n’est pas parce que je ne veux pas être extradée, c’est parce que je veux que Hongkong reste Hongkong ! »

« C’est la deuxième fois de notre vie que nous descendons dans la rue », nous affirme un père de famille qui travaille dans la finance, venu avec sa femme et leurs deux petites filles, tous en tenue de sport élégante, comme s’ils sortaient de l’un des clubs huppés de la ville. « La dernière fois c’était contre le projet d’éducation patriotique [en 2012]. Nous ne pouvons pas accepter que le futur des enfants soit ainsi mis en péril. » « On ne peut toujours pas voter mais on a encore le droit de marcher. C’est notre seule forme de démocratie. Autant en profiter ! », ajoute Kris, une étudiante en santé publique, venue avec un groupe d’amis.

Pékin donne les consignes aux gouvernants de Hongkong

Les manifestants avaient par ailleurs dans le collimateur trois responsables politiques dont ils réclamaient la démission : la chef de l’exécutif, Carrie Lam, en poste depuis 2017, qui s’est révélée très mauvaise stratège et a accumulé gaffes et erreurs à l’égard de la population, malgré ses compétences d’excellente bureaucrate ; la ministre de la justice, Teresa Cheng, très impopulaire en raison de divers scandales auxquels elle est associée, et le ministre de la sécurité, John Lee, dont dépendent théoriquement les questions d’extradition, même s’il est de plus en plus clair que sur un certain nombre de dossiers, c’est Pékin qui donne désormais les consignes aux gouvernants de Hongkong.

Face à la bouche de métro de Wan Chai, sur l’estrade du Parti démocratique, l’ancien évêque de Hongkong, l’infatigable pourfendeur du Parti communiste chinois, le vieux cardinal Zen et d’autres figures connues de la lutte démocratique à Hongkong encouragent les participants en les saluant amicalement. Lee Wing-tat, ancien président et cofondateur du Parti démocratique, estime que face à une telle mobilisation, le gouvernement devra au moins suspendre provisoirement la loi, faute de quoi, il craint de « gros problèmes » dans les semaines qui viennent : « Les Hongkongais ne vont pas accepter qu’une telle mobilisation ne change rien. »

Il s’agit en effet de la plus grande manifestation de Hongkong depuis la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en 1997. Jusqu’à présent, la plus forte mobilisation avait eu lieu en 2003 lorsque le cap du demi-million de participants avait été atteint. Cela avait abouti à l’abandon de « l’article 23 », une loi anti-sécession dont Pékin réclame d’ailleurs régulièrement l’adoption.

En 2012, plusieurs grandes marches avaient également obtenu l’abandon d’une loi visant à imposer un enseignement patriotique chinois dans les écoles. En 2014, en revanche, malgré 79 jours de manifestation continue, le gouvernement local n’avait rien cédé aux manifestants sur les réformes politiques, signe du durcissement chinois dont Hongkong paie le prix depuis quelques années.

Dimanche soir, le gouvernement de Hongkong a indiqué que le texte serait soumis comme prévu en session plénière du parlement mercredi, estimant que les critiques avaient déjà été prises en compte.

Florence de Changy (Hongkong, correspondance)


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