« Pékin doit construire son propre modèle » Chen Xin (Nouvelle gauche chinoise)

samedi 16 février 2013.
 

Quelles sont vos principales objections au plan d’urbanisation  ?

Chen Xin. Traditionnellement, la vie rurale en Chine s’est construite autour de la communauté. Depuis l’ouverture et la réforme entamée il y a trente ans, les terres qui restent propriété de la collectivité ont été allouées pour usage aux familles paysannes. Cette politique a conduit à une atomisation de la structure sociale. Beaucoup de chercheurs et de fonctionnaires sont persuadés que le délitement de la structure sociale rurale se résoudra par l’urbanisation et la modernisation censée en découler. Or, la modernisation d’une Chine, qui compte 1,3 milliard d’habitants, ne va pas de soi, surtout dans les campagnes, qui abritent encore plus de 800 millions de personnes, dont 600 millions en âge de travailler. Projeter une urbanisation du pays en construisant des villes et en incitant les paysans à s’y installer comporte des risques  : celui notamment d’introduire une plus grande part de pauvreté dans les centres urbains. C’est le cas en Inde ou au Brésil. Nous sommes dans l’antithèse d’un processus de modernisation.

En quel sens  ?

Chen Xin. La question de l’urbanisation chinoise – et de ses conséquences sur la production – engage l’ensemble du système international. 600 millions de ruraux chinois sont en âge de travailler, mais aussi 300 millions d’urbains sont des actifs. Les millions de paysans appelés à devenir citadins trouveront-ils tous du travail  ? Ils sont appelés à produire toujours plus des biens et des services qui aujourd’hui ne trouvent déjà plus autant de débouchés à l’exportation. Avec la crise économique, le monde ne peut plus absorber nos produits manufacturiers. Et l’ensemble du peuple américain comme les Européens sont persuadés que le développement de la Chine est une menace pour leurs propres productions. La crise persistant, les antagonismes seront plus forts. Par ailleurs, la Chine veut restructurer ses industries et se tourner vers plus de haute technologie. Cela signifie moins d’emplois non qualifiés. Ce sont donc les migrants, moins éduqués que les urbains, qui seront touchés par le chômage.

Pour contrer cette gigantesque urbanisation, vous proposez 
un programme de «  modernisation des campagnes  ». En quoi consiste-t-il  ?

Chen Xin. La Chine doit construire son propre modèle de modernisation. De très nombreux migrants ne veulent pas rester en ville. La reconstruction de la communauté rurale consiste à donner à chaque famille une parcelle de terrain cultivable. La privatisation de la terre est une aberration. Les paysans doivent en garder pleinement le droit d’usage, droit qu’ils peuvent louer ou laisser temporairement à leur famille s’ils sont partis travailler en ville. Le danger serait de laisser les paysans vendre leurs terres, les laissant sans source de revenus en cas de perte d’emploi en ville et de retour à la campagne. En 2009, le pays a pu digérer la fermeture de milliers d’usines dans le Guangdong à la suite de l’éclatement de la crise financière américaine parce que les quelque 20 millions de travailleurs migrants licenciés sont retournés dans leur village et ont retrouvé leur lopin.

Comment réduire les écarts 
de revenus entre urbains et ruraux  ?

Chen Xin. La modernisation passe par une élévation des prix agricoles. Les produits alimentaires sont trop bon marché, ce qui entraîne du gaspillage. Il faut résister aux sirènes des grandes firmes agroalimentaires et ne pas se laisser berner par l’introduction d’une agriculture industrielle comme aux États-Unis, au Brésil ou au Mexique. La hausse du niveau de vie des paysans doit s’appuyer sur une augmentation des retraites et de la couverture sociale, sur une éducation de qualité.

Ces deux grands projets 
pour la Chine de demain sont 
en débat et représentent des 
choix idéologiquement différents pour le développement du pays. 
Comment se recoupent-ils politiquement  ?

Chen Xin. Jusqu’en 2000, le débat sur l’urbanisation ne se posait pas. Nous sommes face à deux conceptions idéologiques de développement  : celle de la droite et de la gauche. Plus exactement d’une «  Nouvelle Gauche  » différente des idées néomaoïstes. Nous avons tiré des grandes leçons de divers événements de ces vingt dernières années. La montée du néolibéralisme dans les années 1980 dans les pays développés a conduit à la crise de 2008 et au rejet ferme des modèles occidentaux. Des pays émergents comme le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, qui ont voulu suivre le schéma américain, ont échoué et sont en fort déficit.

Notre propre expérience, en trente ans de réformes, nous a mis en garde sur les nuisances et les dangers du néolibéralisme  : un taux de croissance économique galopant mais des écarts sociaux insoutenables et des dégâts environnementaux qui hypothèquent le développement. Nous réfléchissons à trouver notre propre chemin  : la reconstruction et la modernisation des campagnes font partie de cette réflexion.

La gauche du PCC peut-elle 
se faire entendre  ?

Chen Xin. Malheureusement, aujourd’hui, nous constatons une aile droite dominante, aussi bien au sein du parti que dans les universités. La question du devenir des campagnes est grave et les pressions sont de plus en fortes. Ce plan d’urbanisation relève d’une vision néolibérale, les capitalistes occidentaux poussent à le réaliser dans le but de maintenir une réserve de main-d’œuvre bon marché.

Les firmes étrangères ont fixé les salaires des ouvriers et des paysans chinois. Elles menacent de délocaliser si des hausses interviennent. La production chinoise ne peut pas s’adapter aux impératifs de profit de ces grands groupes. Le quota sur les textiles chinois imposés par l’Union européenne a entraîné le licenciement de plus de 600 000 ouvriers chinois. D’un autre côté, les délocalisations de chantiers navals en Chine ont entraîné une forte réduction des emplois en Europe. Tout est lié et on ne peut rien les uns sans les autres.

Entretien réalisé par 
Dominique Bari et Lina Sankari, L’Humanité


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