Lundi 15 avril 2019, Disclose a publié des documents classés “confidentiel défense”. Le dossier embarrasse l’État français, impliqué dans la vente d’armes ayant servi à tuer des civils au Yémen. Des médias étrangers s’en font l’écho.

“Je n’ai pas connaissance du fait que des armes [françaises] soient utilisées directement au Yémen”, affirmait la ministre des Armées Florence Parly le 20 janvier 2019 sur France Inter. “Mais le rapport montre que l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ont utilisé beaucoup plus d’armes françaises que ce qu’a admis le gouvernement français”, souligne The Intercept.

Le site américain fait référence au dossier de quinze pages, nommé “Yémen : situation sécuritaire”, qui a été publié par Disclose, un média français d’investigation à but non lucratif. Ces documents proviennent de la direction française du renseignement militaire. Datés du 25 septembre 2018, ils étaient destinés à informer Emmanuel Macron, la ministre des Armées, Florence Parly, et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors d’une réunion sur la guerre au Yémen au mois d’octobre.

Chars, canons, navires, avions de chasse…

La coalition menée par les Saoudiens, qui soutient le président Abd Rabbo Mansour Hadi face aux rebelles houthistes (appuyés par l’Iran), a utilisé des chars et véhicules blindés français, des canons français capables de toucher des civils au nord du Yémen, des avions de combat français ou équipés d’une technologie laser française et des navires français participant au blocus imposé au pays, résume The Intercept.

Pour le journal britannique The Daily Star,ce rapport “démontre que des Yémenites vivent sous la menace des armes fabriquées en France”. The Washnington Postsignale qu’en réaction au rapport, “Amnesty International a exhorté la France à suspendre immédiatement tous les transferts d’armes pouvant être utilisés par l’une des parties belligérantes dans le conflit au Yémen”. Depuis le 26 mars 2015, plus de 8 300 civils ont été tués dans cette guerre.

L’Allemagne, elle, a imposé un embargo sur les exportations d’armes en Arabie Saoudite après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et les inquiètudes suscitées par le rôle de Riyad dans la guerre du Yémen. La chaîne d’information turque TRT World compare cette décision à celle du gouvernement français :

“La France, troisième plus grand exportateur d’armes au monde, considère l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis comme des clients fidèles au Moyen-Orient et a résisté aux pressions en faveur de l’arrêt du commerce des armes, contrairement à l’Allemagne, qui a suspendu ses ventes.”

Le cabinet du Premier ministre a indiqué dans une réponse officielle que la France prenait en compte les risques pour les civils et que les armes vendues à la coalition saoudienne étaient utilisées “pour l’essentiel en position défensive”.

Le gouvernement français dans l’embarras

Reuters Africa estime de son côté que “les révélations contenues dans ce rapport vont être embarrassantes pour le président Emmanuel Macron”. The Daily Star est du même avis : “le rapport divulgué sera délicat pour le gouvernement, qui a déclaré que les armes fabriquées en France et vendues à l’Arabie saoudite sont utilisées uniquement à des fins défensives à la frontière”.

Au-delà du constat que ce rapport militaire établit en montrant les incidences de la vente d’armes françaises aux Saoudiens et aux Émiratis, les documents éclaboussent de nombreux pays dans le monde. S’appuyant sur une annexe du rapport, The Intercept énumère :

"Les frappes aériennes sur le nord du Yémen, qui sont dirigées par l’Arabie Saoudite, sont menées principalement avec trois types d’avions : des F-15 américains, des EF-2000 Typhoon anglais et des Tornado européens. Les Saoudiens envoient également des hélicoptères américains Apache et Black Hawk ainsi que des Cougar AS-532 français depuis des bases militaires situées sur leur territoire.”

Les États-Unis également impliqués

Des chars français et américains, des canons occidentaux, des navires de guerre français, américains et allemands sont aussi mobilisés dans le conflit et le blocus, précise le site américain.

The Intercept choisit ainsi de titrer sur le “large usage des armes américaines au Yémen”, que révèle le rapport mis en ligne par Disclose. Le site de gauche s’interroge notamment sur le rôle joué par des drones des États-Unis dans le conflit. Le rapport “laisse à penser que les Américains pourraient aider les Saoudiens dans le ciblage des frappes, au-delà de ce qui a été reconnu auparavant.”

“Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne sont pas les seuls pays pointés du doigt, ajoute The Intercept : le rapport mentionne également la présence de radars et systèmes de détection suédois, de drones Camcopter autrichiens, de missiles de croisière navals sud-coréens, de navires de guerre italiens et même des lance-roquettes multiples brésiliens.”

Mathilde Francou