Elections municipales en Turquie : Camouflet pour Erdogan

mardi 16 avril 2019.
 

Dans un contexte de saignement de l’économie, de purges, de fuite de l’investissement, la politique antisociale et répressive de l’AKP et du MHP au pouvoir en Turquie a été lourdement sanctionnée.

Le 31 mars 2019 se déroulaient les élections locales en Turquie. Il s’agissait de renouveler les maires, conseils municipaux, conseils départementaux, délégués de quartiers et de village (muhtar) du pays moins d’un an après les élections législative et présidentielle de juin 2018. Ce scrutin a été un camouflet pour le président Erdogan et la coalition qui le soutient composée de son parti l’AKP (Parti de la Justice Développement capitaliste-nationaliste-réactionnaire) et son allié ultranationaliste du MHP (Parti de l’Action Nationale).

Après un moment de flottement, la réaction ne s’est pas fait attendre de la part du gouvernement et de la presse à ses ordres : l’AKP multiplie les annonces sur des soit disant irrégularités pouvant avoir un « impact sur les résultats » et fait des objections devant le Haut Conseil Electoral. S’agit-il de réactions de désarroi ou des prémices d’une grande manœuvre qui serait néanmoins très risquée ? N’oublions pas que ce régime n’avait pas hésité à laisser le pays se couvrir de sang en 2015 afin d’obtenir une majorité absolue au Parlement, après l’avoir perdue pour quelques mois.

L’élection s’est déroulée dans un contexte de fuite en avant du régime autoritaire ces dernières années avec les arrestations de plusieurs députés et militants kurdes et de gauche. Dans ce cadre répressif, la quasi totalité des maires du BDP (Parti de la Paix et de la Démocratie, parti du mouvement national kurde en Turquie et composante du HDP, Parti Démocratique des Peuples, parti regroupant mouvement national kurde et secteurs de gauche et démocratique non kurdes) ont été destitués et leurs communes ont été placées sous tutelle. De nombreuses localités kurdes ont été partiellement ou totalement détruites ces dernières années. Cette pratique directement coloniale est allée de pair avec l’incarcération de la plupart des maires destitués.

La dernière manifestation en date de cette dérive autoritaire a été l’arrestation de plus d’une centaine de membres du HDP à Istanbul la veille du vote. En outre, plusieurs scrutins récents avaient été marqués par des irrégularités significatives le jour du scrutin (référendum constitutionnel d’avril 2017, municipales de 2014) dans le contexte global de répression.

Cette dérive autoritaire est d’autant plus virulente que la Turquie s’enfonce dans la crise économique, présente depuis plusieurs années, mais qui s’accentue et qui se traduit même par une contraction de l’économie depuis le début de 2019. Face à cela, Erdogan, a eu recours aux expédients les plus grossiers, allant jusqu’à proposer de transformer Sainte-Sophie en mosquée pour tenter de jouer sur la fibre la plus confessionnelle de sa base à Istanbul…

Or, les élections locales constituent un enjeu majeur en Turquie, particulièrement pour l’AKP qui s’est beaucoup construite par son implantation municipale. Avant même la constitution de l’AKP, Recep Tayyip Erdogan était devenu une figure politique nationale en gagnant les municipales d’Istanbul en 1994. En outre, les élections locales sont généralement plus favorables à l’AKP comme parti au pouvoir capable de mobiliser des leviers clientélistes.

Si plusieurs collectivités sont renouvelées, l’attention politique se concentre généralement en Turquie sur les chefs lieux de préfecture (pour les 30 métropoles du pays, le cadre municipal et départemental sont confondus). Enfin, le mode de scrutin a un impact : il s’agit d’une élection à un tour (similaire à ce qui existe au Royaume-Uni) rendant plus difficile la situation des listes qui n’apparaissent pas susceptibles de gagner. C’est principalement pour cette raison que le HDP a décidé de ne pas présenter de candidat dans la plupart des mairies hors Kurdistan. Cela a également poussé l’AKP et le MHP à présenter des listes communes dans les plus grandes métropoles. Le principal parti d’opposition parlementaire, le CHP (Parti de la République et du Peuple, centre-gauche nationaliste) a procédé de la même manière avec le Iyi Parti (le Bon Parti, nationaliste, scission du MHP).

Malgré tous les éléments mobilisés en sa faveur, la coalition AKP-MHP a perdu Ankara, la capitale, et Istanbul, la ville la plus importante du pays. En outre, parmi les 10 plus grandes métropoles du pays, l’AKP-MHP a également perdu Adana, Antalya et Mersin. Au final, l’AKP ne conserve 4 des 10 plus grandes villes (Antep, Konya, Kayseri, Bursa) dont seulement 1 des 5 plus grandes villes du pays (Bursa, et de justesse). L’AKP ne dirige plus aucune préfecture sur le pourtour méditerranéen et égéen.

De manière plus détaillée, les résultats pour les 10 plus grandes villes du pays peuvent être abordées en les comparant aux dernières élections locales de 2014 et, à titre indicatif, les élections législatives de 2018 (dont le mode de scrutin est proportionnel avec un barrage national de 10 % est plus favorable au HDP). Afin de mener cette comparaison, pour 2014 les scores de l’AKP et du MHP (alors dans l’opposition) sont cumulés. En effet, les commentaires oublient souvent que, depuis 2018, l’AKP maintient sa majorité électorale grâce à son allié ultranationaliste.

Ainsi, la coalition AKP-MHP recule dans toutes les plus grandes villes du pays et l’affirmation d’Erdogan selon laquelle l’AKP conforte sa position est un subterfuge consistant à compter au profit de l’AKP les listes communes avec le MHP. Si la défaite de l’AKP à Istanbul est particulièrement importante politiquement et a été obtenue de justesse, c’est dans cette métropole que le déclin de la coalition gouvernementale est le moins fort parmi les 10 plus grandes métropoles de Turquie avec -3,4 points. Les baisses sont particulièrement spectaculaires à Adana (-23 points) perdu et son bastion de Kayseri qu’il parvient néanmoins à regagner.

Les victoires du CHP dans ces villes tiennent au recul du vote pour la coalition AKP-MHP, mais également au vote en bloc de l’électorat HDP (principalement kurde mais également de secteurs de gauche et démocrate conséquents) contre les maires sortants. En particulier, la victoire de justesse à Istanbul où le HDP avait obtenu 12,5 % aux législatives de 2018 et 4,8 % aux municipales de 2014 (révélant le noyau de son électorat). Le même phénomène est également observable pour Antalya, Mersin et, dans une moindre mesure, Ankara.

Malgré un contexte de répression globale, le mouvement national kurde est parvenu à récupérer ce qui lui revient à Amed. Le HDP a du céder les préfectures où ses victoires étaient obtenues avec peu de marge devant l’AKP (Agri et Bitlis) ainsi que Dersim (au bénéfice du Parti communiste de Turquie). En sens inverse, le HDP a pris la mairie de Kars des mains du MHP. Enfin, la défaite du HDP dans son bastion de Sirnak au bénéfice de l’AKP, ville sous tutelle de l’Etat et occupation militaire, laisse d’importants soupçons au regard des mouvements erratiques des résultats (- 25 points pour le HDP et +32 points pour l’AKP).

Au final, ce scrutin constitue un camouflet pour Erdogan. Pour la première fois depuis 25 ans, le parti dont Erdogan est un cadre ou un dirigeant ne dirige pas Istanbul et Ankara. Est-ce que cela signifie pour autant que c’est la fin de l’erdoganisme en Turquie ? Il s’agit d’être prudent sur ce point.

Les manœuvres brutales pour annuler les scrutins d’Istanbul et Ankara peuvent aboutir. En outre, le personnel CHP qui a été élu à la tête des mairies ne mérite qu’une confiance extrêmement limitée. Ainsi, Mansur Yavas le nouveau maire d’Ankara, sous l’étiquette CHP, était membre du MHP jusqu’en 2013. De plus, l’incapacité du CHP a s’appuyer sur les mobilisations populaires pour défendre les droits démocratiques et, surtout, son soutien régulier à la politique anti-kurde du gouvernement incite également à ne pas compter que très modérément sur ces nouveaux grands élus.

Toutefois, dans l’immédiat, la perte des principales métropoles du pays constitue un coup rude pour le régime d’Erdogan. Il est crucial de s’assurer que les résultats du scrutin soient respectés et que l’AKP ne franchisse pas un nouveau cap dans sa fuite en avant : l’annulation d’élections qu’il a perdues, qui serait annonciateur de nouvelles violences contre la société et l’accentuation de la répression des forces kurdes, démocratiques et de gauche.

Ümit Kalfa

Source : https://www.ensemble-fdg.org/conten...

Elections municipales en Turquie : Le HDP résiste et reste un élément central de l’alternative démocratique

Source : https://www.lepartidegauche.fr/le-h...

Le HDP ( Parti démocratique des peuples) a été le parti clé des élections municipales en Turquie car il a doublement pris ses responsabilités.

Tout d’abord, son soutien aux candidats de l’opposition à Istanbul, Ankara, Izmir, Adana, Mersin, Antalya a été déterminant pour battre l’AKP dans ces villes, avec le vote de millions d’électeurs kurdes et de démocrates réprimés qui ont voté en masse contre la coalition islamiste et fasciste au pouvoir.

Ensuite, le HDP a résisté malgré l’importante répression qui le frappe.Il a gagné et reconquis une cinquantaine de municipalités destituées par Erdogan dont huit très grandes villes( dont Diyarbakir, Van et Mardin) et 46 districts.

Le HDP a sauvé l’honneur de l’opposition démocratique en Turquie par son attitude exemplaire ; l’exemplarité de ses candidats et de ses élus se traduit aussi par le fait que le HDP est le seul parti à avoir 70 femmes et 70 hommes qui dirigeront en binôme paritaire les municipalités.

Le Parti de Gauche a envoyé une importante délégation de six dirigeants nationaux pour observer les élections à l’appel du HDP, témoignant des conditions antidémocratiques du déroulement du scrutin avec la militarisation des villes et des bureaux de vote.( Le HDP conteste d’ailleurs de nombreux résultats )

Elections municipales en Turquie : un souffle d’espoir pour l’opposition

Tout d’abord, il est permis de dire que les élections locales du 31 mars en Turquie marquent un déclin du pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP- le parti d’Erdogan au pouvoir) au pouvoir et une augmentation du soutien au Parti républicain du peuple (CHP).

Source : https://npa2009.org/actualite/inter...

Dans le cadre du nouveau système électoral en Turquie, l’AKP a poursuivi son alliance avec le parti d’extrême droite du Mouvement nationaliste (MHP) et le CHP s’est allié avec le Bon Parti, parti nouvellement créé par des membres du MHP qui s’en sont séparés. A l’appel de son chef, Selahattin Demirtaş, l’un des nombreux hommes politiques kurdes emprisonnés, le Parti démocratique du peuple (HDP- Kurdes et gauche) a également apporté son soutien à l’alliance dirigée par le CHP dans de nombreuses villes, alors qu’il se présentait également en tant que HDP dans des villes kurdes.

Ainsi, le CHP a remporté les quatre plus grandes villes de Turquie, à savoir Istanbul, Ankara, Izmir et Adana, bien que les résultats d’Istanbul n’aient été annoncés que le lendemain des élections. La nuit a été longue pour 16 millions d’habitants d’Istanbul puisque l’Anatolian News Agency (AA), une entreprise publique, a cessé d’envoyer les résultats du vote aux médias après 23h00. Et le Conseil suprême des élections a également attendu jusqu’au lendemain matin pour annoncer les résultats pour Istanbul. Ce n’est pas la première fois que l’agence d’information officielle AA utilise cette stratégie consistant à diffuser de bonne heure les votes favorables l’AKP puis à faire à attendre les résultats pendant un certain temps. Il s’agit d’une tactique de manipulation et d’une tentative pour briser la volonté des millions de responsables du scrutin qui, tout au long de la nuit, tentent d’assurer la sécurité des votes pour l’opposition.

Dans les villes où AKP et MHP sont entrés aux élections séparément, le MHP les a presque toutes remportées ; ainsi, il est également prudent de dire que des votes de droite ont été transférés de l’AKP au MHP dans un certain nombre de villes. Donc, clairement, une partie de l’échec de l’AKP ne signifie pas que les électeurs deviennent de moins en moins réactionnaires, mais marque surtout un transfert des votes entre les partis de droite.

Le HDP de gauche issu du mouvement kurde a cependant réussi a reconquérir six des dix villes placées sous tutelle de l’Etat (villes où les maires ont été limogés et remplacés par un administrateur du gouvernement). Toutefois Sırnak, l’une plus fortes forteresses du HDP, a été largement gagnée par l’AKP ; ce qui ne peut pas s’expliquer seulement par l’augmentation du nombre des forces de sécurité et des responsables gouvernementaux installés dans la ville.

Cependant, il convient de mentionner clairement que l’ensemble du processus électoral était totalement injuste pour toute opposition, mais encore plus injuste pour le HDP, étant donné que presque tous les médias (à l’exception de quelques chaînes indépendantes) sont détenus et / ou contrôlés par le gouvernement et que les dirigeants de l’opposition n’y avaient pas leur place, sans compter que le HDP est constamment criminalisé par le gouvernement.

Il convient également de mentionner quelques points saillants : le HDP est redevenu le parti qui compte le plus grand nombre de femmes élues lors des élections du 31 mars avec 54 femmes élues ; ce qui n’est pas une surprise puisque le système de co-maire (une femme, un homme) est un principe de parti pour le HDP. Un autre résultat frappant est venu de Dersim (est de la Turquie), où le candidat du Parti communiste turc, Fatih Mehmet Macoglu, a gagné (il était auparavant maire du district d’Ovacık de Dersim).

En résumé, les élections peuvent être considérées comme une victoire à la fois pour le CHP et le MHP, et ont également démontré la capacité de résistance du HDP. L’AKP a perdu les villes les plus importantes en plus de la démoralisation dans ses rangs. Et malgré la diminution de son nombre de voix, le camp du CHP pour l’avenir doit absolument garder à l’esprit le soutien du HDP, en particulier dans des villes comme Istanbul, Ankara et Adana, en ce qui concerne son attitude à l’égard de la question kurde.

S. Ozturk


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message