La Première Guerre mondiale et ses lendemains : quatre idées fausses sur 1918

mercredi 14 novembre 2018.
 

En quelle année se termine réellement le conflit de 14-18 ? Les révolutionnaires ont-ils empêché l’armée allemande de gagner la guerre ? Quel fut le rôle de l’armée américaine ? Quid du traité de Versailles ? Retour sur quatre idées erronées ou exagérées, mais restées dans la mémoire collective.

1. Le 11 novembre 1918 marque la fin des hostilités

FAUX

Si la mémoire collective a longtemps retenu que l’armistice marque une rupture entre la guerre et la paix, l’historiographie des quinze dernières années insiste sur la notion de « sortie de guerre » pour montrer que les violences, militaires et civiles, se poursuivent jusqu’au milieu des années 1920.

« La première guerre mondiale ne se termine pas le 11 novembre 1918 : en Afrique, les troupes allemandes de Paul von Lettow-Vorbeck ne se rendent que le 23 novembre ; des unités de l’armée française d’Orient restent engagées en Russie en 1919 », souligne Bruno Cabanes, professeur d’histoire de la guerre moderne à Ohio State University.

D’autres conflits prennent bientôt ou ont déjà pris le relais. Entre 1917 et 1923, on ne recense pas moins de 27 conflits en Europe. « Des guerres civiles éclatent comme en Russie (1917-1923), en Allemagne (1918-1919) ou en Irlande (1922-1923), où interviennent des anciens combattants de 14-18 avec des armes et des tactiques héritées du conflit mondial, indique Bruno Cabanes. Il y a également des conflits interétatiques comme la guerre soviéto-polonaise (1919-1921) et la guerre gréco-turque (1919-1922). Sans compter les révoltes coloniales en Inde, en Egypte et en Chine liées aux promesses du wilsonisme [partisans d’une promotion de la démocratie et des valeurs américaines à travers le monde] et à la déception qu’apporte le traité de Versailles [traité de paix signé en 1919 entre l’Allemagne et les Alliés]. »

2. En 1918, les Américains ont joué un rôle central d’un point de vue militaire

EXAGÉRÉ

En 1931, le général américain John Pershing affirme dans ses mémoires intitulées Mes expériences de la guerre mondiale que, sous son commandement, les forces expéditionnaires américaines (AEF) sont devenues une force d’élite qui a permis aux Alliés de gagner la guerre. Depuis, les historiens ont réévalué les performances de l’armée américaine en 1918.

« En 1917, lorsque les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne, leur armée est mal équipée, mal entraînée et peu nombreuse : elle compte 130 000 hommes, soit l’équivalent de l’armée belge en 1914, explique Bruno Cabanes, professeur d’histoire de la guerre moderne à Ohio State University. Ce n’est qu’en juin 1918 qu’a lieu leur premier engagement massif, au Bois Belleau dans l’Aisne. Avec l’arrivée de troupes fraîches – ils sont 500 000 en août – , de nouvelles opérations américaines d’envergure sont lancées : lors de la bataille de Saint-Mihiel en Lorraine, en septembre, et lors de l’offensive de Meuse-Argonne, en octobre- novembre 1918. Formée en grande partie par les Français, l’AEF était assez inexpérimentée d’un point de vue militaire ».

« Toutefois, poursuit-il, sa contribution ne doit pas être sous-estimée : près de 53 000 soldats américains sont morts en 1917-1918 - c’est plus que pendant la guerre de Corée (33 000) et presque autant que pendant la guerre du Vietnam (58 000). Les Etats-Unis ont joué un rôle déterminant en approvisionnant les Alliés en troupes nouvelles et en matériel. Leur impact a surtout été psychologique : sachant que 4 millions de soldats américains allaient, à termes, les épauler, les Alliés savaient qu’ils remporteraient la guerre ».

3. En 1918, la révolution a empêché l’armée allemande de gagner la guerre

FAUX

En mars 1918, l’armée allemande, sur le point de passer à l’offensive à l’ouest, pensait pouvoir gagner la guerre. « Pour les Allemands, la défaite neuf mois plus tard est inexplicable : après quatre ans de guerre, l’armée allemande occupe toujours une bonne partie de l’Europe, explique l’historien allemand Arndt Weinrich, chercheur à La Sorbonne. La défaite militaire ne fait pourtant pas de doute : après avoir perdu 900 000 hommes entre mars et juillet, l’armée, à bout de souffle, est frappée par une “grève militaire larvée”. Un million de soldats traîne à l’arrière, refusant de remonter au front. »

L’état-major allemand demande alors l’armistice, avant d’accuser les révolutionnaires de novembre d’avoir balayé le régime impérial et précipiter la défaite. Cette légende du « coup de poignard dans le dos » va gagner en crédibilité, tout comme l’idée que l’armée allemande reste invincible. « Non pas une légende, mais une panoplie de légendes va se propager, dont la plus extrémiste portée par la droite radicale, reprise ensuite par les nazis, selon laquelle le poignard a été planté dans le dos de l’armée victorieuse, précise Arndt Weinrich. Si aucune de ces légendes ne fait consensus, ces accusations fausses vont peser sur les épaules de la République de Weimar. »

4. Le traité de Versailles était voué à l’échec

FAUX

L’annonce des clauses du traité de Versailles, le 28 juin 1919, provoque partout une immense déception. « Diktat » pour les Allemands, pas assez dur pour l’Action française, il sera accusé d’être responsable de la montée du nazisme et de la seconde guerre mondiale.

« C’est le type d’idée fausse déterministe, précise Serge Berstein, auteur d’Ils ont fait la paix (Les Arènes, 410 p., 20 euros). C’est oublier qu’il y a des événements inattendus qui peuvent changer le cours de l’histoire. Si la sortie de guerre est extrêmement troublée, la période entre 1924 et 1929 laisse entrevoir un espoir de stabilité : il semble que les conflits puissent se régler, soit par la SDN [Société des nations, créée en 1920, au lendemain de la première guerre mondiale] – comme pour les “incidents” de Corfou [crise diplomatique survenue en 1923 entre la Grèce et l’Italie] et Pétritch [différend gréco-bulgare en 1925] –, soit par les Etats entre eux – un effort est consenti à partir de 1924 pour diminuer les réparations allemandes. Ce qui relance les tensions en Europe, c’est la crise de 1929. Hitler va profiter de la crise pour raviver la colère que les Allemands avaient ressentie à l’annonce du traité de Versailles. »

Antoine Flandrin


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