Le carburant de la colère

vendredi 16 novembre 2018.
 

La journée du 17 novembre contre la hausse du prix des carburants a vite été cataloguée comme une « colère ». Pour les éditocrates, c’est une manière de dénigrer. Mais le dictionnaire est clair. Colère : sentiment d’irritation contre ce qui nous blesse. « Cachez donc cette colère » entend-on si souvent. Mais en réalité, c’est la blessure qu’il faudrait cacher ! Des ouvriers en légitime défense sociale contre des licenciements ? Un président de groupe parlementaire d’opposition s’offusquant de perquisitions menées par un procureur soumis au gouvernement ? Des automobilistes voyant leur salaire disparaître de plus en plus dans leur plein d’essence ? Et ils voudraient qu’il n’y ait pas de colère ou qu’on ne le dise pas ? Qui aurait à y gagner ?

Les plus illustres ne s’y sont pas trompés. Ni Gramsci disant « je hais les indifférents ». Ni Hugo disant « J’effaroucherai le bourgeois peut-être, qu’importe si je réveille le peuple ». Ni Jaurès défendant les ouvriers : « Ah le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer son action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! ».

Dans l’affaire des carburants, il y a beaucoup à dire. Oui la sortie des énergies carbonées est vitale face au changement climatique. Oui, la lutte contre les pollutions du diesel est un impératif majeur de santé publique. Mais le carburant de la colère est surtout dans l’absurdité de la situation. Le plein d’essence coûte plus cher pour qui prend sa voiture mais son salaire n’augmente pas. On lui reproche de se déplacer mais on ferme les services publics comme la maternité du Blanc. Comment aller chez l’ophtalmo quand il faut faire 200 km ? Faut-il y aller en TGV hors de prix ? Et s’il n’y a plus de TER ? Comment reprocher aux petites gens d’utiliser leur bagnole tout en laissant les périphéries des villes devenir des centres commerciaux à ciel ouvert ? Comment comprendre la hausse des taxes pour les particuliers mais pas pour le kérosène des compagnies aériennes ? Où est la politique de mobilité durable quand l’Union européenne encourage le dumping social le plus féroce sur le transport routier et la privatisation du rail ? A quoi sert donc l’euro s’il ne permet pas de se passer du dollar pour contrer les sanctions de Trump contre l’Iran ?

Le principal carburant de cette colère, c’est l’injustice. Et en l’occurrence l’injustice fiscale du président des riches. L’injustice de la suppression de l’impôt sur la fortune et de l’évasion fiscale des multinationales. Les riches se gavent pendant que le peuple en bave. C’est cette colère qu’il s’agit de voir. Pour l’accompagner, la structurer, et en faire non une jacquerie réactionnaire mais un mouvement social et politique. C’est le propre des moments destituants que d’emprunter des chemins tortueux. Rien n’empêche qu’ils finissent à bon port. Encore faut-il le vouloir.

Matthias Tavel


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