Education Sélection au bonheur du privé

vendredi 7 septembre 2018.
 

La seconde rentrée du quinquennat Macron est la première véritablement préparée par le nouveau pouvoir. On y lit ainsi l’orientation profonde de la politique éducative macronienne. Quelques mois après son lancement, l’opération Parcoursup montre à tous son vrai visage : un redoutable plan de marchandisation, ainsi que nous l’analysions dès le premier jour (1).

Fin août, plus de 60 000 bachelier.e.s demeuraient sans aucune affectation dans le supérieur. Plus de 110 000 avaient reçu une réponse mais ne l’avaient pas accepté car sans rapport avec leurs souhaits. Un fiasco, plus marqué encore en comparaison avec le précédent système, APB, dont l’incapacité supposée fut systématiquement convoquée par la majorité pour justifier sa politique (2).

Si Parcoursup est un désastre, aggravé comme le montrent les récits de lycéen.ne.s automatiquement désinscrit.e.s au cœur de l’été, pour les partisan.ne.s de la privatisation de l’éducation, les effets de la plateforme gouvernementale représentent une véritable aubaine. En effet, en introduisant le principe de sélection à l’entrée de l’université, plutôt qu’en investissant pour ouvrir les places nécessaires au nombre grandissant de lycéen.ne.s, le gouvernement a ouvert aux appétits marchands un marché considérable. Début août, 18,9% des bachelier.e.s, soit 153 000 jeunes, avaient fait le choix de se désinscrire de Parcoursup. Sous-dimensionnée, opaque, lente et au final angoissante pour les élèves et leurs familles. Une manne pour un secteur privé qui connaît une croissance spectaculaire depuis déjà plusieurs années. Entre 1998 et 2016, l’augmentation des inscrit.e.s dans l’enseignement supérieur privé fut de 87,9% contre 13,9% dans le public. Le nouvel apport engendré par Parcoursup gavera encore davantage les actionnaires des établissements du « privé lucratif »(3) et des banques, acteurs du florissant marché de l’endettement étudiant.

Cette rentrée marque ainsi l’accélération de la politique de marchandisation de l’éducation. Au lycée, nous assisterons à la première étape de la mise en œuvre de la contre-réforme Blanquer. Elle doit aboutir, en 2021, à la destruction du baccalauréat agrémentée d’un système à la carte aggravant les inégalités et réduisant l’offre d’études dans un contexte de spécialisation et de mise en concurrence des établissements scolaires. Quand la valeur du diplôme dépendra de la réputation du lycée dans lequel il sera passé, nous verrons des familles se saigner pour mettre leurs enfants dans des établissements privés plus « réputés ». Le rapport CAP22 de juin dernier veut en tout cas les y encourager. Il préconise notamment une agence d’évaluation des établissements scolaires (4) qui, à coup sûr va renforcer les hiérarchies entre établissements et la ségrégation scolaire.

La rentrée marque également une étape de plus dans la marginalisation des 660 000 lycéen.ne.s de la voie professionnelle. Leur accès au supérieur était déjà difficile, il est désormais quasi impossible avec l’introduction des « pré-requis » à l’entrée de l’université. Quant aux BTS et aux IUT, les places continueront de manquer. La relégation des bacs pro apparaît d’autant plus manifeste qu’Édouard Philippe, Muriel Pénicaud et Jean Michel Blanquer ont fait du développement de l’apprentissage leur priorité et décidé de confier aux branches professionnelles, c’est à dire au patronat, la haute main sur les Centres de formation des apprentis (CFA). La privatisation de l’éducation est bien la boussole de ce gouvernement.

Ses réalisations pratiques peuvent cependant être vues comme autant de victoires à la Pyrrhus. Pour le pays d’abord, car l’enjeu d’une élévation du niveau général de qualification est premier à l’heure de la transition écologique de notre économie. Pour les gens ensuite, car le dégoût s’est accumulé ces derniers mois. Celui des lycéens, privés du droit de choisir leurs études pour choisir leurs vies ; matraqués – au lycée Arago et ailleurs – lorsqu’ils manifestaient leur opposition. Celui de leurs familles, plongées dans l’inquiétude et poussées, pour celles qui en ont les moyens, à payer pour assurer le devenir universitaire de leurs enfants. Certes les organisations lycéennes et étudiantes ne sont pas parvenues à bloquer la politique gouvernementale. Notons qu’à cette rentrée plusieurs d’entre elles n’ont pas renoncé à la lutte : une nouvelle génération militante a émergé de ces mois de combats. Mais ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont enregistré leur première défaite sur le terrain idéologique.

En cette rentrée, l’amertume, la colère, cherchent leur expression politique. Cela prend du temps. Mais ce temps est accéléré par le rythme même des contre-réformes gouvernementales. Si bien que nous pourrions parvenir plus vite qu’espéré à coaguler les oppositions contre cette politique. Comment réagiront les enseignant.e.s du premier degré au moment de mettre en œuvre de nouveaux programmes imposés au cœur de l’été contre l’avis de la totalité de leurs organisations syndicales ? Comment réagiront les familles qui subiront à la rentrée les conséquences de la fermeture de plusieurs centaines de classes dans les quartiers et les campagnes, ainsi que la hausse des tarifs du périscolaire, de la cantine, des transports scolaires ? Comment réagiront les lycéen.ne.s préparant leurs bacs dans des classes surchargées alors que 2 600 postes d’enseignants du secondaire sont supprimés ? Dans les établissements REP + (réseau d’éducation prioritaire), à quoi conduira le dédoublement des CE1, sans moyens, sans locaux supplémentaires, quand déjà, le dédoublement des CP a entraîné la hausse des effectifs par classe en maternelle et aux autres niveaux de l’élémentaire ? À n’en pas douter, les ressources pour le combat ne sont pas épuisées en cette rentrée.

Paul Vannier


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