Soutien scolaire  : un marché juteux qui mise sur l’individualisme

mardi 22 septembre 2015.
 

Le marché des cours particuliers est en plein essor. Porté par l’exacerbation de la compétition scolaire, ce phénomène participe au creusement des inégalités entre élèves des milieux riches et les autres.

Les cours particuliers n’ont jamais eu autant la cote. En 2010, un collégien sur cinq et un lycéen sur trois y ont eu recours. La France est devenue ainsi le premier marché de soutien scolaire privé dans l’Union européenne avec, en 2011, un volume d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Un business dont la croissance est estimée à 10 % par an, alors que l’activité au noir continue de représenter 80 % du secteur.

Comment expliquer un tel engouement  ? «  Avec la progression du chômage, les parents sont inquiets pour l’insertion professionnelle de leur enfant et veulent qu’il ait le meilleur diplôme possible  », constate Anne-Claudine Oller, sociologue de l’éducation. En facturant entre 30 et 50 euros l’heure de cours en moyenne, les entreprises privées ont très bien compris l’intérêt financier qu’elles pouvaient tirer de cette économie de l’angoisse. Mais l’école elle-même est aussi responsable de cette réalité, ajoute Eunice Mangado-Lunetta, directrice déléguée aux questions éducatives de l’Afev, une association de soutien scolaire bénévole  : «  La classe est devenue un lieu de compétition très fort, avec une logique d’individualisation exacerbée.  »

Dans ce contexte, le recours aux cours particuliers apparaît de plus en plus naturel. Avec, comme conséquence, de creuser toujours plus les inégalités entre élèves. «  Les jeunes issus de familles en difficulté économique peuvent accéder à du soutien scolaire gratuit donné par des associations. Mais ce sont évidemment ceux issus de classes plus favorisées qui font appel aux cours payants pour un coup de pouce ponctuel et stratégique  », analyse Erwan Lehoux, doctorant en sociologie, auteur de deux mémoires de recherche sur le sujet. «  Il y a clairement une opposition de classe, les parents qui ont recours à ce soutien privé sont souvent des managers ou des ingénieurs habitués à cette logique individualiste et à la concurrence, ou quelquefois des ouvriers à la position financière confortable. Il y a donc une reproduction sociale où les plus riches permettent à leurs enfants de réussir encore plus.  »

La culture du management 
et de la compétition

L’individualisation est poussée à l’extrême avec l’éclosion du «  coaching  » scolaire. Entre 50 et 150 euros la séance, avec un coach qui suit à l’année une dizaine d’élèves, là où les conseillers d’orientation des établissements publics, souvent débordés, doivent encadrer des centaines de jeunes. «  Le coaching vient du monde de l’entreprise, avec un public encore moins varié que pour le soutien scolaire payant  », décrit la sociologue Anne-Claudine Oller. Une manière de transmettre de parents à enfant la culture du management et de la compétition.

Pour Erwan Lehoux, cet essor du marché du soutien scolaire sonne comme un échec pour l’éducation nationale. «  Aujourd’hui, l’école est considérée sous le prisme de l’individualisme comme un marché de titres scolaires, et non plus comme un lieu de formation citoyenne et collective.  » Loin de freiner le phénomène, l’État encourage indirectement le soutien scolaire privé par le biais d’une exonération fiscale. Depuis les années 1990, 50 % du prix de ces cours peut être déduit des impôts. «  Cet argent de l’État profite aux familles les plus aisées, c’est injuste, relève Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU. Si les parents sont prêts à payer plus pour l’éducation de leurs enfants, il faudrait que l’argent aille plutôt à l’éducation nationale.  » Pour la syndicaliste, les difficultés scolaires «  doivent être traitées dans le collectif de la classe, pas de manière individuelle  ». Par le biais, par exemple, de nouvelles formes de pédagogie «  dans le cadre d’un travail en petit groupe  ». Faute de quoi, ce marché du soutien scolaire continuera d’attiser de nombreux appétits financiers.

Delphine Dauvergne, L’Humanité


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