Elections en Turquie : le vent de l’espoir !

mercredi 27 juin 2018.
 

Le 24 juin, les électeurs et électrices de Turquie sont appelés au scrutin pour élire le prochain président de la République et les 600 député.e.s.

Il faut dire que les élections se déroulent dans un contexte d’état d’urgence, décrété après le coup d’état manqué du 14 et 15 juillet 2016. Depuis R.T Erdogan règne sans partage sur le pays. Il use de tous les moyens pour réprimer, museler voire emprisonner tous les opposants qu’ils soient journalistes, étudiants ou politiques... C’est dire si l’atmosphère est menaçante.

Erdogan veut instaurer un régime ultra-présidentiel

Erdogan a un objectif à court terme : instaurer rapidement un régime ultra présidentiel pour gouverner le pays d’une main de fer. Mais pour y parvenir entièrement il lui faut absolument gagner ces élections anticipées. Ce scrutin est donc crucial pour l’avenir de la Turquie. Le choix se porte soit pour la démocratie, soit pour un régime ultra présidentiel et autoritaire voulu par Erdogan.

Enjeux de la présidentielle

Le 24 juin, les électeurs et électrices auront deux bulletins de votes, l’un avec les candidats à la présidentielle, l’autre avec les partis ou les alliances pour les législatives. Pour la présidentielle 6 candidats s’affrontent. Mais, outre Erdogan, trois principaux candidats détermineront l’issue des élections.

Muharrem Ince, candidat du CHP, Parti Républicain du Peuple, fondé par Mustafa Kemal, le principal parti d’opposition social-démocrate à l’AKP d’Erdogan. C’est sans nul doute le seul candidat en mesure de battre Erdogan. Il est aussi celui qui mène la campagne la plus dynamique et unitaire. Parmi ses principales propositions il y a le retour à un régime parlementaire, la fin de l’état d’urgence, la séparation des pouvoirs, le processus de paix, le SMIC à 2 200 lira net, soit 410 € (contre 1 600 lira net actuellement, soit 297 €) et pas de retraite en dessous de 1 500 lira (278€).

Selahattin Demirtas, candidat du HDP, Parti Démocratique des Peuples, est emprisonné en Turquie depuis 2016 en raison de ses opinions. Il est la bête noire d’Erdogan. Il avait déjoué plusieurs fois les pronostics électoraux en faisant des scores supérieurs empêchant ainsi ce dernier d’asseoir sa domination. S. Demirtas est un tribun hors pair et unitaire, c’est la raison pour laquelle Erdogan fait tout pour le maintenir en prison car il le craint plus que tout autre candidat.

Et enfin, Méral Aksener, candidate du Parti du bien, Iyi parti, est la seule candidate féminine. C’est une dissidente du MHP, parti nationaliste allié à Erdogan. Son parti qui a moins d’un an n’a pu participer aux élections que grâce au CHP qui a demandé à 15 de ses député.e.s de créer un groupe parlementaire au nom du parti du bien pour contraindre le Haut Conseil Electoral, soumis à Erdogan, d’accepter la participation du parti aux élections. Cette candidate qui mène une campagne de centre droit peut attirer les conservateurs et les nationalistes déçus de l’AKP et du MHP.

Erdogan est incontestablement en difficulté. Il n’a pas de projet, ne donne pas d’espoir. Chacune de ses apparitions reflète sa fébrilité. Et ses erreurs de communication sautent aux yeux de tout le monde. Il suscite peu ou pas d’enthousiasme. Il subit aussi les contre coups de sa politique de « chasse aux sorcières » particulièrement le limogeage de milliers de fonctionnaires dans le cadre de l’affaire Gulen, ce prédicateur religieux ancien soutien d’Erdogan aujourd’hui accusé d’avoir fomenté le coup d’État manqué du 14 et 15 juillet 2015. Mais l’opposition accuse Erdogan d’avoir fomenté lui-même le coup d’État pour asseoir sa domination sur le pays. Les faits semblent donner raison à l’opposition.

Légilatives : Deux alliances et le HDP

Craignant de rater l’instauration de son régime ultra présidentiel, Erdogan a changé les règles électorales en vue de construire des alliances aux législatives et a décidé d’avancer les élections, normalement prévues dans deux ans.

Le parti qu’il dirige, l’AKP a noué l’ « alliance républicaine » avec les nationalistes du MHP, et se trouve en grande difficulté dans les sondages.

En face, s’est constituée l’ « alliance du peuple » composée du CHP, du parti du bien et du Saadet parti, parti du bonheur, une ramification du parti conservateur religieux de l’ancien premier ministre, Necmettin Erbakan.

Le HDP, parti de gauche proche de l’électorat kurde et des progressistes de Turquie, a reçu une fin de non-recevoir de la part de l’alliance du peuple, plus précisément de la candidate Méral Aksener

Pourtant, tous les commentateurs avertis disent que le HDP détient indéniablement la « clef » de ces élections. Ce n’est pas pour rien s’il fait l’objet d’attaques féroces de la part d’Erdogan : son candidat à la présidentielle, Selahatin Demirtas, 10 des 59 député-e.s, des centaines de maires, 5 000 cadres du parti sont actuellement emprisonnés par le régime autoritaire d’Erdogan.

Ce dernier, dans une vidéo prise par un téléphone portable, lors d’une réunion secrète, donne consigne à ses affidés de tout faire, même par la terreur, pour dissuader l’électorat kurde, acquis au HDP, de voter. Dans certaines localités du sud-est à majorité kurde, déjà des urnes ont été déplacées pour empêcher les électeurs proches du HDP de se rendre aux bureaux de vote. A cela s’ajoute la présence massive et dissuasive des forces de l’ordre dans les villages kurdes.

Erdogan n’a qu’un seul objectif immédiat : empêcher le HDP de franchir le seuil électoral des 10 % permettant d’entrer au parlement. Etant donné que l’AKP et le HDP sont les seuls partis ancrés dans le sud-est du pays à majorité kurdes. S’il y arrive, 70 à 100 député-e-s seraient récupérer par l’AKP qui pourrait obtenir la majorité absolue au parlement. L’enjeu est de taille !

Ces basses manœuvres et répressions témoignent aussi de l’appréhension qui anime Erdogan. Pour la première fois il sait qu’il peut perdre. Mais cette possibilité ne peut aboutir que si deux conditions se réunissent : Si Muharem Ince, seul candidat de gauche capable de battre Erdogan, obtient à minima 30% dès le premier tour de la présidentielle et si le HDP franchit la barre des 10 % lui permettant d’envoyer entre 70 à 100 députés au parlement. Ainsi, le vent d’espoir soufflera sur les peuples de Turquie.

Tuncay Cilgi


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