Désertion fiscale : François-Henri Pinault pris la main dans le sac

jeudi 18 avril 2019.
 

Il est très rare de voir un patron du CAC 40 s’impliquer personnellement dans une opération d’évasion fiscale. C’est pourtant ce qu’a fait François-Henri Pinault, PDG et héritier de Kering (ex-Pinault Printemps Redoute), fondé par son père François.

Exilés fiscaux : liste d’enfoirés (Jacques Serieys)

Le géant français du luxe Kering, propriété de la famille Pinault, a évadé 2,5 milliards d’euros d’impôts selon les informations de Mediapart. C’est la plus grosse affaire d’évasion fiscale présumée mise au jour pour une entreprise française.

Il est très rare de voir un patron du CAC 40 s’impliquer personnellement dans une opération d’évasion fiscale. C’est pourtant ce qu’a fait François-Henri Pinault, PDG et héritier de Kering (ex-Pinault Printemps Redoute), fondé par son père François. On l’imaginait concentré sur les enjeux stratégiques du groupe, désormais recentré sur la mode et le luxe (Yves Saint Laurent, Puma, Bottega Veneta…). Mais lorsqu’il a fallu rémunérer grassement le patron de Gucci, Marco Bizzarri, en payant le moins d’impôts possible, François-Henri Pinault n’a pas hésité à plonger les mains dans le cambouis.

L’histoire commence en 2010. Embauché cinq ans plus tôt chez Kering comme patron de la marque londonienne Stella McCartney, Bizzarri rentre au pays, où il vient d’être promu à la tête du maroquinier Bottega Veneta. Son bureau est à Milan. Mais il signe, le 29 juin 2010, un premier contrat de travail très exotique à 2,5 millions d’euros par an. Net, bien sûr.

Première curiosité : Bizzarri est employé par Castera, une filiale offshore de Kering immatriculée au Luxembourg. Cette société boîte aux lettres, sans locaux ni salariés, est dirigée par des hommes de paille, accompagnés depuis 2011 par les directeurs des ressources humaines successifs de Kering. Signe qu’il s’agit bien d’une structure mise en place par le groupe pour rémunérer certains dirigeants. Il faut dire que c’est rentable : au Luxembourg, Kering ne paye quasiment pas de cotisations sociales.

Le système Pinault : une évasion à 2,5 milliards d’euros

Selon nos informations, le numéro 2 mondial du luxe a évadé environ 2,5 milliards d’euros d’impôts depuis 2002, pour l’essentiel au préjudice de l’Italie, mais aussi de la France et du Royaume-Uni. C’est la plus grosse affaire d’évasion fiscale présumée mise au jour pour une entreprise française, et l’une des plus importantes au niveau européen.

À la suite du rachat de Gucci en 2000, Kering a étendu le système conçu par le groupe italien à toutes ses marques de luxe (hors joaillerie), dont les françaises Balenciaga et Yves Saint Laurent. La maison Saint Laurent a éludé à elle seule le paiement d’environ 180 millions d’euros d’impôts en France.

Nos révélations posent la question de la responsabilité des hommes clés de la famille Pinault, cinquième fortune de France avec 19 milliards d’euros de patrimoine : le père et fondateur François Pinault et son fils François-Henri, qui lui a succédé en 2005 à la tête du groupe Pinault-Printemps-Redoute, rebaptisé Kering, et qui va prochainement achever son recentrage sur le luxe en se séparant de l’équipementier sportif Puma.

Le montage est d’autant plus choquant que Yves Saint Laurent et Gucci enregistrent depuis trois ans une croissance insolente, parmi les meilleures du luxe mondial. Avec ses 15,5 milliards de recettes et un profit opérationnel record de 2,9 milliards l’an dernier, Kering aurait largement les moyens de payer ses impôts.

S’il n’est pas visé personnellement à ce stade par l’enquête judiciaire italienne, François-Henri Pinault ne semble plus très à l’aise avec le système qui lui a tant rapporté. À partir d’octobre 2016, le PDG de Kering et ses deux principaux collaborateurs, Jean-François Palus et Patricia Barbizet, ont discrètement démissionné de leurs fonctions au sein des sociétés offshore qui opèrent le montage.

Au sommet, on trouve deux sociétés boîtes aux lettres : Kering Holland et sa filiale Kering Luxembourg. Cette dernière possède deux établissements et quatre sociétés en Suisse, dans le canton italophone du Tessin. Ces sociétés officiellement distinctes forment en fait une entité unique. Une tirelire remplie à milliards, conçue pour évader l’impôt.

Les dirigeants de Gucci mis en examen dans une (énorme) affaire de fraude fiscale

Source : https://blogs.mediapart.fr/daurac/b...

Le groupe de luxe italien a fait l’objet d’intenses perquisitions dans une affaire où il est reproché à Gucci d’avoir occulté 1 milliard et 300 millions d’euros au fisc. Alors qu’un ancien cadre a dévoilé aux enquêteurs les dispositifs occultes mis en œuvre, deux dirigeants ont été mis en examen. La pression monte sur la maison mère Kering et son patron, François Pinault.

Gucci dans la tourmente. La griffe italienne, fleuron du groupe français de luxe Kering, est dans le collimateur des autorités fiscales transalpines. Fin novembre, le géant du luxe italien, accessoirement premier foyer de profit de l’empire dirigé par François Pinault, a vu ses bureaux de Milan et Florence perquisitionnés par les inspecteurs de police locaux. La justice italienne soupçonne Gucci d’avoir mis sur pied un ingénieux et massif système d’évasion fiscale.

Selon le parquet de Milan, Gucci aurait déclaré en Suisse des activités menées en Italie pendant plusieurs années. Bilan de la manœuvre : 1,3 milliard d’euros, qui auraient ainsi échappé au fisc italien. Un montant record, justifiant la présence pendant trois jours des inspecteurs italiens dans les bureaux ultra-modernes du groupe de luxe à Milan.

Le top management de Kering directement impliqué

Chez Kering, contacté par l’agence de presse Reuters, on se réfugie dans un silence gêné. Et du côté de Gucci, on fait le gros dos : au pied du mur, désarçonnée par les révélations fracassantes de la presse italienne, la marque a affirmé « coopérer activement avec les autorités et (être) confiante dans la régularité et la transparence de ses opérations ». Elle pouvait difficilement faire moins.

Car les révélations qui ont mis la puce à l’oreille des agents du fisc italiens ne proviennent pas de n’importe qui. La justice transalpine fonde ses soupçons sur le récit, argumenté et documenté, d’un ancien cadre de Gucci, depuis licencié par l’entreprise. Et l’affaire, révélée début décembre, semble s’emballer. Sur Twitter, les hashtags #Guccigate et #Guccileaks ont fait leur apparition, et les sites boursiers scrutent un éventuel impact sur le cours de l’action.

Le document transmis aux autorités italiennes par l’ex-cadre de Gucci, dont on a depuis appris qu’il s’appelle Carmine Rotondaro et qu’il a quitté le groupe depuis deux ans, est en effet explosif. Manifestement très bien placé avant son licenciement par le groupe, l’informateur a joint à ses accusations une série de documents des plus embarrassants : documents bancaires, copies d’emails internes à Gucci, numéros de comptes détenus à Singapour ou en Suisse, etc. Du solide, donc.

Les enquêteurs ont ainsi appris que Patrizio Di Marco, l’un des anciens directeurs généraux de Gucci, aurait reçu en février 2015 une indemnité de départ de plus de 11 millions d’euros, directement placée sur un compte logé dans le paradis fiscal singapourien. Selon Carmine Rotondaro, cette opération était expressément autorisée par le top management de la maison-mère de Gucci, Kering. Au premier rang desquels un certain François Pinault, ainsi que ses plus proches collaborateurs.

Les révélations de l’ancien salarié ne s’arrêtent pas là. L’actuel PDG de la marque et membre du comité exécutif de Kering, Marco Bizzari, est aussi inquiété. 70% de son salaire annuel, fixé à quelque 8 millions d’euros, seraient ainsi délibérément versés par une société luxembourgeoise, sous forme de « jetons de présence ». Seuls 30% lui seraient versés par la société Guccio Gucci S.p.A. De quoi renforcer les soupçons d’évasion fiscale, la société Kering Luxembourg apparaissant, de plus, dans les révélations des Offshore Leaks et Panama Papers.

En tout, ce sont jusqu’à plusieurs milliards d’euros qui sont suspectés d’avoir échappé au fisc italien. Suffisamment pour que la justice transalpine décide de mettre en examen les deux derniers responsables de Gucci, Patrizio Di Marco et Marco Bizzari, qui vont maintenant devoir s’expliquer sur les douteuses pratiques du groupe auquel ils appartiennent.

Les GAFA rappelés à l’ordre

Si les enquêtes sur l’évasion fiscale des multinationales font parfois long feu, les dirigeants de Kering ne devraient pas prendre celle qui les concerne à la légère. Car la justice italienne n’en est pas à son coup d’essai. Peu impressionnée par la taille de ces groupes transnationaux, elle a même fait, depuis quelques années, de la chasse aux maxi-fraudeurs sa spécialité.

Dans sa ligne de mire, les GAFA – tous, ou presque, et dans l’ordre de l’acronyme. Google, pour commencer, sommé en 2015 de régler 306 millions d’euros. Apple Italia, accusé de n’avoir pas payé l’impôt sur les bénéfices des sociétés de 2008 à 2013, qui s’en sortira avec une transaction de 318 millions d’euros. Amazon, plus récemment, a signé un accord avec le fisc italien prévoyant le versement de 100 millions d’euros, après une enquête pour fraude fiscale, le groupe déclarant au Luxembourg ses profits réalisés en Italie.

La pression monte aussi au niveau européen : Facebook vient en effet d’annoncer son intention de déclarer ses revenus dans chacun des pays européens où il est présent, alors qu’il déclare actuellement la majorité de ses bénéfices en Irlande, où le taux d’imposition est l’un des plus bas en Europe. Airbnb se trouve également dans le viseur des autorités européennes, la plateforme de location en ligne étant accusée de favoriser l’évasion fiscale de ses propres clients grâce à un ingénieux système de carte de paiement, localisé à Gibraltar.

En Italie, le monde du luxe a d’ailleurs déjà été pris par la patrouille. L’autre navire amiral du luxe italien, Prada, a déjà dû s’acquitter, en 2013, d’un remboursement de 470 millions d’euros au fisc italien. Pendant dix ans, le groupe dirigé par Miuccia Prada avait déclaré à l’étranger des revenus réalisés dans la péninsule.


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