Combien d’exilés fiscaux ? Un lourd débat mais un impact économique marginal

mardi 15 janvier 2013.
 

Combien de personnes quittent la France pour des raisons fiscales ? Cette question agite régulièrement le débat fiscal. Des estimations plus ou moins fantaisistes circulent, souvent véhiculées par les pourfendeurs des impôts directs progressifs, dans le but manifeste d’attiser la peur de la paupérisation de la France dont serait responsable une fiscalité jugée « confiscatoire ». Les libéraux n’y vont pas avec le dos de la cuillère : tout départ à l’étranger serait potentiellement motivé par des raisons fiscales et entraînerait l’exil de la richesse de « l’exilé fiscal », mais aussi de son potentiel productif, de sa « matière grise »… La seule solution pour empêcher la France de se vider de ses riches talents serait d’abaisser les impôts progressifs, notamment l’impôt sur le revenu et les impôts sur le patrimoine (les droits de donation et de succession et l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF). Une « revendication » libérale traditionnelle…

Il y aurait beaucoup à dire pour répondre à ces arguments. Car tout départ n’est pas forcément lié à des raisons fiscales : tous les ans, des Français partent à l’étranger, pour travailler, rejoindre des proches, se former… Inversement, la France accueille des étrangers pour les mêmes raisons. De fait, l’immense majorité de ces « flux » s’expliquent par des raisons personnelles et professionnelles. En outre, tout départ à l’étranger ne se traduit pas forcément par une perte de richesse. Ce point concerne le débat fiscal.

Il existe peu de statistiques sur « l’exil fiscal ». Les seules données qui existent concernent les redevables de l’ISF. Elles montrent que, si le nombre de départs de redevables de l’ISF a augmenté au cours des années 2000 (de 384 en 2001 à 717 en 2010), il stagne depuis 2006 et représente au surplus une part infime et constante du nombre total de redevables de l’ISF (entre 0,12 et 0,14% depuis 2001) dont le nombre total est passé de 281.000 à près de 600.000 dans la même période. Le redevable ayant payé un jour l’ISF en France, s’étant exilé avant de revenir est rarement mesuré : il représente entre 30 et 40 % des départs. Mieux, le phénomène des « faux expatriés », c’est-à-dire de personnes déclarant ne plus résider en France mais continuant en réalité d’y vivre, est significatif. Tous les ans, les services de contrôle fiscal détectent et rectifient entre 150 et 200 cas de fraude à la domiciliation (dont une large part concerne des redevables à l’ISF).

Cette fraude n’est cependant pas totalement identifiée, ce qui veut dire qu’il y a encore de nombreux « faux expatriés » qui continuent de vivre sur le territoire national tout en ne payant pas l’impôt sur le revenu ou l’ISF… Enfin, même dans le cas de véritables départs, les redevables ne transfèrent pas toute leur richesse à l’étranger. Avant leur départ, la plupart de ces redevables détiennent déjà des placements à l’étranger. Après leur départ, ils continuent de détenir en France des biens immobiliers mais aussi une bonne part de leurs placements financiers. Certains non résidents, français ou étrangers, paient d’ailleurs l’ISF sur la valeur des biens qu’ils détiennent en France (ils sont 8.000) tandis que d’autres bénéficient d’une niche qui les exonère d’ISF sur certains placements financiers (ils sont 7.300 dans ce cas). Au-delà des discours alarmistes, la réalité est donc que, si le phénomène dit de « l’exil fiscal » est mal mesuré (il faudrait mieux évaluer les retours mais aussi comptabiliser les installations d’étrangers en France, ce qui n’a jamais été fait), son impact sur l’économie française apparaît marginal.

Par Vincent Drezet, Secrétaire général du syndicat Solidaires Finances Publiques.


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