Pauvreté à l’école. Derniers de cordée de l’Ecole Macron

lundi 18 décembre 2017.
 

Les pauvres sont de plus en plus pauvres. Telle est la conclusion du dernier rapport du Secours catholique sur l’état de la pauvreté en France. Dans un pays qui consacre l’essentiel de sa politique au bénéfice des « premiers de cordée », les plus démunis pâtissent durement de la hausse du chômage et de la précarité. Neuf millions de personnes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté c’est à dire avec moins de 1015 euros par mois. Parmi eux, 24,2% de ménages avec enfants, une proportion en hausse de deux points ces cinq dernières années.

L’Ecole accueille ainsi un grand nombre d’élèves pauvres. Un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) publié en 2015 estime leur nombre à 1,2 millions. Enfants et adolescents malnutris et parfois même sous-nutris, vêtus d’habits usés, à la santé abîmée par le manque de soin, fréquentent de plus en plus nombreux les bancs de l’Ecole. Si les personnels de l’éducation nationale prennent en charge comme ils le peuvent des situations parfois alarmantes, leurs moyens pour ce faire sont constamment diminués. Partout, les politiques d’austérité conduisent en effet à une dégradation des conditions d’accueil des élèves. Et les plus pauvres en sont les premières victimes.

La hausse des tarifs et la suppression par certaines collectivités locales des aides aux plus défavorisés conduit certaines familles à retirer leurs enfants de la cantine. En France en effet, seuls 22% des établissements scolaires proposent une grille tarifaire pouvant aller jusqu’à la gratuité et 40% écoles, collèges et lycées offrent des tarifs spécifiques pour les plus démunis. C’est bien trop peu quand pour de nombreuses familles le montant des bourses n’est pas suffisant pour faire face aux dépenses de cantine. Au collège, si 17% des élèves issus de familles très favorisées et 22% de ceux issus de familles favorisés ne mangent pas à la cantine, cette proportion grimpe à 40% chez les élèves issus de familles défavorisées. Pour ces derniers, le sandwich remplace souvent le repas quand ce n’est pas le jeune qui s’impose. En primaire, d’après une étude du Credoc de 2015, 3 élèves par classe se présentent à l’école le ventre vide. Un chiffre qui grimpe à 4,3 dans les écoles des Réseaux d’éducation prioritaire (REP, ex-ZEP) et à 5,2 en REP + (ultra-prioritaire). La faim qui tenaille rend bien évidemment indisponible aux apprentissages. Elle porte aussi atteinte à la santé des élèves.

Dans un rapport d’octobre 2017, l’Académie nationale de médecine alerte sur l’effondrement des effectifs de médecins scolaires. De 1 400 en 2006, leur nombre a chuté à 1 000 en 2016. En cause, une « attractivité pour la médecine scolaire médiocre en raison de sa faible reconnaissance professionnelle et des mauvaises conditions matérielles ». Selon les départements le taux de visites médicales pour les élèves de 6 ans varie ainsi de 90% à … 0% ! Certains départements n’ont en effet même plus de médecins scolaires. En Seine-Saint-Denis, avec 29 médecins pour 340 000 élèves, de nombreux problèmes de vue, d’audition où de handicaps ne peuvent être dépistés à temps et les difficultés d’apprentissage s’accumulent. Les territoires ruraux ne sont pas moins épargnés. Dans la Nièvre, deux médecins (contre cinq il y a 10 ans) se partagent le suivi de 28 484 élèves. L’Académie de médecine relève qu’« une telle carence pénalise les élèves issus de milieux défavorisés qui n’ont pas d’accès régulier à un médecin généraliste ou à un pédiatre ».

Alors qu’ils sont souvent les premiers sollicités par les familles les plus pauvres, les assistants sociaux de l’éducation nationale sont trop peu nombreux pour faire face à l’augmentation des besoins. On compte aujourd’hui une assistante sociale (le métier est féminisé à plus de 95%) pour 4 160 élèves de la maternelle à la terminale. Pourtant, comme le souligne une principale de collège cité dans le rapport de l’IGEN « l’école devient le seul lien pour les parents (les plus en difficulté) avec les services de l’Etat. » Une situation plus prononcée encore dans les déserts de services publics que sont les quartiers populaires et les territoires ruraux. Ce lien trop tenu entre l’institution et les familles conduit parfois ces dernières à ne pas recourir à leurs droits par manque d’information ou d’accompagnement. Dossiers de bourse non déposés ou déposés hors délais fragilisent alors des situations déjà précaires.

En l’absence d’une véritable gratuité scolaire*, la pauvreté est aussi source d’exclusion au sein même de l’Ecole. Les familles les plus démunies ne peuvent pas toujours financer la participation de leurs enfants à certaines initiatives pédagogiques : sorties scolaires, voyages à l’étranger, accueil de correspondants. Alors que les crédits pédagogiques sont constamment diminués, « les enfants ne partant jamais en vacances sont aussi ceux qui sont touchés par les restrictions budgétaires limitant les occasions de sortir de l’école, de son quartier ou de son village pour s’ouvrir au monde » souligne l’IGEN.

La satisfaction des critères de Maastricht et la sacro sainte règle d’or priment là encore sur l’intérêt éducatif des élèves. Ces dernières années, les Fonds sociaux collégiens et lycéens, destinés à faire face aux situations difficiles que peuvent connaître certains élèves ou leur famille pour assurer les dépenses de scolarité ou de vie scolaire, ont connus d’importantes baisses, passant de 73 millions d’euros en 2001 à 44,9 millions en 2016. Pourtant, durant cette période la population scolaire connaissait une augmentation de ses effectifs et la situation sociale du pays ne cessait de se dégrader…

On n’apprend pas le ventre vide. La tranquillité d’esprit nécessaire aux apprentissages, l’assiduité requise, l’engagement de chacun-e dans toutes les dimensions de sa scolarité supposent la réunion de conditions matérielles d’existence satisfaisantes. Par la mise en place d’une gratuité intégrale, l’ouverture de places supplémentaires en internats, le suivi individualisé des élèves par des personnels suffisamment nombreux et qualifiés, l’Ecole pourrait jouer rôle central dans la lutte contre la pauvreté et participer de l’émancipation individuelle et collective. A condition toutefois de déclarer vouloir le faire dans le cadre d’une politique de rupture avec le modèle économique et social contemporain, source d’insupportables inégalités.

Paul Vannier

Co-auteur du Manifeste pour l’Ecole de la Sixième République

*La France insoumise chiffre à 5,2 milliards d’euros par an le financement de la gratuité intégrale de l’Ecole (cantines, périscolaire, matériels, sorties scolaires, manuels).


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