Hamon-Mélenchon : un cas d’école médiatique

lundi 18 septembre 2017.
 

C’est un cas d’école ! Ce jeudi-ci, le journal La Provence publie un ample entretien avec moi. On y fait le tour de la situation actuelle, et je suis invité à analyser la posture du président de la République, à faire un bilan de l’élection présidentielle, et à parler de Marseille. Le titre de l’entretien est : « Mon objectif, c’est la conquête du pouvoir national ». Le défi est là, l’esprit conquérant se montre, c’est trop pour le système Macroniste.

Donc, aussitôt, de toutes les informations que je donne dans ce document, l’AFP (Agence France Presse), une agence publique, ne retient qu’une chose : « Hamon Premier ministre, Mélenchon président : le leader des insoumis refait le match ». On notera le crépuscule de la pensée de tels observateurs « politiques » quand une analyse sur un résultat électoral est résumée par la formule : « refait le match ». Quand je pense au jour où Paul Amar, journaliste alors en vue, avait proposé des gants de boxe à Le Pen et Tapie pour leur débat ! À l’époque, toute la profession s’était indigné du procédé ! Dorénavant, le goût pour le steak saignant est devenu la norme. D’ailleurs, la machine à buzz s’en est aussitôt saisi, tel quel. Quel tableau ! D’un côté une agence publique qui ne rend pas compte de ce dont elle parle et répand de propos délibéré une version manipulée du contenu d’un entretien, de l’autre des dizaines de « professionnels » qui ne vérifient rien, ne lisent rien, mais se contentent de recopier une dépêche en l’assaisonnant de leurs propres sarcasmes. Tel est le paysage médiatique constant actuel. Sensationnalisme, panurgisme, course éperdue aux « clics ». Mais dans le cas présent, comme il s’agit de l’AFP, une agence gouvernementale qui n’en est pas à son coup d’essai dans ce registre, il faut aller au-delà du diagnostic sur l’état de santé morale et professionnel pitoyable de ces médias. Il faut comprendre le but politique qui est visé.

Les neuf milliardaires qui possèdent 90 % des médias de notre pays, et toute la machinerie des relais d’opinion de la Macronie, sont en état de mobilisation totale contre le rassemblement des forces qui s’opère face au « coup d’État social » du début du quinquennat. Ils avaient tous prévus un isolement de l’opposition réduite aux seuls visages de « Martinez et Mélenchon ». Tout l’enjeu alors, contre vents et marées, aura été d’essayer de nous opposer pour démoraliser et diviser la base sociale de la lutte. En vain. Le 12 septembre a plutôt fonctionné comme le résultat d’un appel commun ainsi que le montrait la forte participation des cortèges de « la France insoumise » au défilé dans les capitales régionales et départementales, mais aussi par l’accueil chaleureux que nous avons reçu partout.

Mais un autre paramètre a également bougé et non des moindres. La lutte entraîne dorénavant toutes sortes de secteurs qui étaient réputés acquis au « coup d’État social » ou résignés à celle-ci. Non seulement de nombreuses unions départementales et fédérations de Force Ouvrière se sont joints à la mobilisation du 12 septembre mais parfois aussi des éléments de la CFDT et même de la CFTC ! De plus, des mots d’ordre de grève et de manifestations sont annoncées pour le 25 et le 28 septembre, laissant apercevoir combien le mouvement ne fait que commencer.

De même, la marche du 23 septembre dont la France insoumise a pris l’initiative rallie également de tous côtés, tant syndical que politique, chacun s’appropriant un événement devenu dorénavant propriété commune. Quand Benoît Hamon a décidé d’appeler lui-même à cette marche il a posé un acte courageux et tous les porte-parole de la France insoumise l’en ont félicité. Un élargissement du front politique dans l’action est le pire pour le système. Si quand « La France insoumise » mobilise toutes ses forces, les autres se joignent à elle plutôt que de se perdre en querelles secondaires, tout un ordre des choses vacille. Car alors les prémices d’une conflagration générale peuvent se réunir. Le pouvoir sait mieux que personne, dans son discrédit actuel, qu’au bout de la rue des immenses cortèges sociaux, il y a parfois l’embranchement des élections anticipées. C’est ce qui s’est produit sous Jacques Chirac.

De ce point de vue, cinq mois après l’élection présidentielle, trois mois après les élections législatives, jamais un nouveau pouvoir n’aura été si faible et si instable. Ce pouvoir ne dispose d’aucune base sociale pour sa politique d’affrontement. Il ne trouve en lui-même, dans ses députés, dans ses militants, aucun point d’appui de masse. Tous sont aux abonnés absents et ceux qui se risquent à aller sur le terrain en reviennent en courant. Ses alliés politiques du MoDem, des Constructifs, du PS ne bougent pas le petit doigt. Mais le pourraient-il, tant est grand déjà le discrédit du pouvoir ? Dès lors, il ne lui reste plus que l’action du « parti médiatique ». Celui-ci monte en ligne de tous côtés. Il en vient à s’exposer d’une façon qui contribue puissamment à le discréditer aux yeux des millions de gens dont toute l’attention est désormais concentrée sur les développements de la situation.

Cette offensive du parti médiatique se déploie dans deux directions. D’un côté la diabolisation de l’opposition. C’est le plus médiocre, le plus inefficace, même le plus contre-performant. Nous traiter à titre collectif ou individuel de « fainéants », et ainsi de suite, aura surtout galvanisé la colère de ceux qui se sont sentis visés. Mais cette diabolisation vise particulièrement « La France insoumise » comme on s’en doute. Après avoir traité les insoumis « d’abrutis » et de « gueulards », d’aucuns ont surenchéri sur mon compte : « ogre et vampire ». Il ne faut pas croire que cette méthode de l’outrance contre nous soit totalement sans résultat. Elle vise à nous rendre clivants pour tâcher de nous séparer du grand nombre. Ce genre de campagne a son efficacité sondagière car elle augmente le nombre des gens d’opinion incertaine qui sont ainsi poussés à se mettre à distance de nous.

L’autre cible de l’offensive du parti médiatique, c’est évidemment de répandre à la fois de la démoralisation et de la division. Le 12 septembre, contrairement à l’opinion de tous les observateurs de terrain, y compris parmi les journalistes, tous les médiacrates sur les plateaux de télé et de radio, qui n’avaient rien observé eux-mêmes, en partant des dépêches dépressives de l’AFP commentaient à longueur de « débats » le résultat « mitigé », « médiocre » de la mobilisation sociale. Je prends le pari que le 21 septembre, dès notre arrivée dans les cortèges, nous serons interrogés selon la coutume : « vous y croyez encore ? », « que pensez-vous de l’essoufflement de la mobilisation ? » et ainsi de suite. De même, je pronostique que pour les médiacrates, quel que soit notre niveau de mobilisation le 23, celui-ci sera déprécié sous toutes les formes.

L’autre angle d’affrontement du parti médiatique c’est évidemment de chercher à diviser, à opposer. Ainsi, pour répliquer à l’impact de la décision de Benoît Hamon de participer à la marche du 23, l’AFP, dirigée par d’autres membres du PS, a choisi de mettre en épingle le « retour au match » de la présidentielle. Aucun macroniste médiatique ne cessera ce petit jeu jusqu’au 23. Car tous connaissent l’enjeu de notre mobilisation. Le mouvement social a fait céder Juppé en 1995. S’il fait céder Macron cette année, cela peut vouloir dire qu’enfin on en finisse avec les politiques libérales dans notre pays. C’est un danger personnel terrible pour les neuf milliardaires qui possèdent les 90 % des médias de notre pays. Tous les prétextes seront utilisés et toutes les méthodes, jusqu’aux plus viles, auront leur place. Tous les détails – fusse le plus dérisoire – seront mis à contribution pour obtenir de la division, des paroles amères et leurs répliques. Quiconque veut en prononcer est certain d’avoir immédiatement une ample couverture médiatique. D’ici au 23, je suis certain que ces méthodes vont se déchaîner contre le mouvement social, contre les mobilisations et aussi contre chacun des porte-paroles du mouvement et moi en particulier.

Contre cela, nous ne pouvons absolument rien. Comme vous le savez, on ne peut ni discuter, ni contredire, ni avoir droit de réponse. Cependant il existe un bon usage pour nous de la boue médiatique. C’est de la mettre sous les yeux de nos amis en la dénonçant, de la mettre en scène de manière humoristique sur les réseaux sociaux, de la commenter sur les sites concernés. Le choc avec le parti médiatique est une école de formation pour construire des consciences émancipées. La baisse des ventes, le mépris et le discrédit de ceux qui ont recours à ces méthodes du bashing médiatique contre la résistance populaire sera notre récompense et notre victoire sur ce terrain. À l’inverse, il faut observer finement et savoir reconnaître ceux qui nous respectent, rendent compte de ce qui se passe réellement, de ce qui se dit vraiment. Ceux-la doivent être encouragés. Notre nombre fait de nous une puissance commerciale. Leur fameux « marché », leur « audimat », c’est nous aussi. Lâchons les émissions des uns, suivons celle des autres. N’achetons plus les journaux des uns mais plutôt ceux des autres. Et ainsi de suite. Car nous sommes un public nombreux, et souvent nous sommes les plus motivés, curieux, prompts à réagir collectivement. Usons de ce pouvoir ! Nous ne sollicitons pas le soutien ni l’apologie dans les médias. Nous voulons juste de l’information et du respect. Au plan personnel, ne vous laissez pas aigrir, mes chers lecteurs. Soignez-vous à la politique. Pour chacune des injures que nous recevons, pour chaque manipulation dont nous faisons l’objet, il faut se ressourcer en pensant à ces millions de personnes qui sacrifient des journées de salaire, s’entraident pour aller manifester, et refusent de voir leur vie saccagée par la cupidité sans bornes des riches et de leurs griots.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message