Les secrets de la popularité de Ségolène Royal (Le Figaro)

vendredi 26 mai 2006.
 

C’est la droite qui en parle le mieux. Nicolas Sarkozy dit d’elle : « c’est quelqu’un pour qui j’ai du respect depuis longtemps. » Philippe de Villiers la décrit, lyrique : « Une figurine de porcelaine au milieu d’un magasin d’éléphants. » Et c’est sous les sarcasmes de ses amis que Jean-Marie Le Pen prédit obstinément, depuis 2002, qu’elle sera portée sur le pavois socialiste en 2007. Il y a dans le regard que porte la droite sur Ségolène Royal quelque chose d’irrésistiblement favorable. Son nom peut-être, comme une nostalgie interdite. Son allure si bourgeoise. Son autoritarisme non dénuée de morgue. Ses positions « réactionnaires » sur la famille : cette femme de gauche est restée une maman de droite. C’est pourquoi les féministes la rejettent et les mouvements homosexuels la détestent. Pour eux, elle n’est que « la Boutin de gauche ». Ce décalage fut sa meilleure chance médiatique. Ségolène Royal n’a pas tardé à s’en apercevoir. Depuis le début de sa carrière, elle cultive son exposition médiatique avec un soin maniaque.

Si elle aime les médias, l’amour est partagé. Depuis quelques semaines, les unes à sa gloire de la présidente de la Région Poitou-Charentes se succèdent. Les grands journaux de gauche montrent la passion la plus brûlante. Elle est pour eux un « client » idéal. Soutenir une femme les réintroduit dans les grâces du progressisme bien-pensant, alors que leur campagne pour le oui au traité européen les avait marqués du stigmate « social-libéral ». C’est le miracle de la candidature Royal. Avec elle, le clivage essentiel à gauche, révélé par le référendum, est occulté au profit d’un clivage factice entre féminisme et machisme. Ce tour de passe-passe idéologique a été favorisé par le Congrès du Mans. Les partisans du oui au référendum se sont rendus compte le 29 mai dernier qu’ils n’avaient pas d’électeurs ; mais les thuriféraires du non se sont vite aperçus qu’ils n’avaient pas d’appareil. Devant cette impasse, les deux ligues rivales ont dû en passer par le compromis du Mans : les « ouiistes » ont signé une synthèse gauchisante ; les « nonistes » ont renoncé à scissionner le PS.

Ségolène Royal n’a rien dit au Mans ; elle a engrangé. Si le PS ne peut pas avoir de position claire sur les sujets qui fâchent, vive l’accessoire. Si on ne peut pas avoir d’idées crédibles, vive la posture. Son inexpérience tant vilipendée devient alors de la « fraîcheur ». La compétence de ses rivaux - de droite comme de gauche - n’a pas empêché la France de s’enliser dans le chômage de masse, l’endettement, l’explosion de la délinquance. Quand on les interroge, les sondés ne lui prêtent aucune idée ni compétence particulière, ils la créditent seulement d’un « souffle nouveau ». Personne n’est dupe.

« Ségolène » ne vend rien d’autre que sa « féminité » ; les sondés n’achètent rien d’autre. Longtemps, la femme fut rejetée pour son sexe du cénacle des présidentiables ; la France républicaine appliquait inconsciemment la vieille loi salique que nos rois de France furent les seuls en Europe à respecter. Désormais, la stigmatisation a changé de camp ; la femme est plébiscitée uniquement parce qu’elle est une femme. Ségolène Royal fait donc un tabac dans les jeunes générations, hommes et femmes confondus, alors que seuls les plus de soixante ans, les femmes surtout, restent attachés à la vieille règle judéo-chrétienne de l’incarnation mâle du pouvoir.

Ségolène Royal instrumentalise avec une rare efficacité cette inversion du paradigme. Sa féminité efface tout. Elle paraît neuve alors qu’elle est dans les sphères du pouvoir depuis plus de vingt ans ; elle joue à la provinciale alors qu’elle est parisienne ; son mépris du militant au sein du PS lui donne l’aura d’une « pure qui rejette les combines » des autres. Si elle prend le pas sur ses rivales de gauche comme de droite, c’est qu’elle incarne avec un rare bonheur une rupture de la société par rapport à l’héritage idéologique de Mai 68. Les nouvelles générations, et en particulier les jeunes femmes, veulent conserver l’émancipation sociale, mais rejettent le fumet libertaire qui allait alors avec. Son enfance catholique de droite permet à Ségolène de surfer sur ce courant néopuritain qui ne se fonde plus sur la vertu des filles et la morale de l’Eglise, mais sur la dignité de la femme et la protection des enfants.

L’instrumentalisation se fait dans les deux sens. Comme le fait remarquer le directeur politique de l’institut BVA, Jérôme Sainte Marie, Ségolène Royal est plébiscitée par les jeunes femmes actives « pour qui la parité a un sens, à qui la parité en politique permettrait de progresser personnellement dans leur entreprise ». « Ségolène » utilisée comme une arme de carrière. Ces nouvelles générations, diplômées, embourgeoisées, les fameux « bobos », ont assez d’influence dans la société pour faire passer leurs intérêts particuliers pour un intérêt général. Le combat pour la parité permet enfin à ces nouvelles générations - garçons et filles confondus - de se situer dans une vie politique française dominée jusque-là par les marqueurs idéologico-historiques de la lutte des classes et de la Révolution française auxquels ils ne comprennent goutte.

Face à elle, ses rivaux du PS paraissent pour l’instant désarmés. Ils ont bien compris que toute attaque se retournerait contre eux. Le couple sondages-médiatisation se conforte l’un l’autre. Michel Rocard, Edouard Balladur ont connu en leur temps des engouements similaires. Longtemps, les éléphants du PS ont cru, non sans raison, que François Hollande manipulait sa compagne Ségolène pour les affaiblir. Désormais, ils constatent que la créature a échappé à son créateur.


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