Juillet 2016 : Le monde change de peau

dimanche 14 août 2016.
 

Loin de toute pause estivale, ce mois de juillet aura été un condensé de la période.

Il aura, comme les trois mois précédents, été celui de la mobilisation sociale contre la loi El Khomri. Une loi contre laquelle les syndicats ne désarment pas, puisqu’ils appellent à une prochaine journée d’action le 15 septembre pour dire non à son application.

Il aura confirmé à quel point un gouvernement peut s’en prendre aux libertés les plus élémentaires pour imposer une loi illégitime : manifestations transformées en « militant zone », utilisation disproportionnée de la répression policière, généralisation de gardes à vue de syndicalistes et militant-e-s pourchassé-e-s ensuite par un parquet vengeur. Répressive dans la rue, cette politique austéritaire - un néologisme qui n’aura jamais autant mérité son nom - a aussi imposé par deux fois en quinze jours le 49al3 à l’Assemblée nationale, faute de majorité pour adopter la loi.

Il aura été la démonstration de l’hypocrisie de la COP21. Sa déclaration finale n’engage en rien les Etats signataires de ce sommet pour le climat et l’environnement. A commencer par le pays hôte. Notre-Dame-des-Landes en est la preuve et le symbole. Ce gouvernement aura finalement trouvé une qualité à ces départements dont par ailleurs il dénie le rôle : celle de donner le résultat attendu au référendum sur le projet d’aéroport. Il n’est cependant pas parvenu à affaiblir ses opposant-e-s. Ces derniers ont organisé les 9 et 10 juillet leur plus belle mobilisation depuis le début du mouvement. De l’autre côté de la France, le 21 juillet, le Premier ministre a inauguré le chantier de reconnaissance d’un autre projet inutile et nuisible pour l’environnement, celui du tunnel du Lyon-Turin, malgré, là aussi, une mobilisation citoyenne grandissante. Mobilisation à laquelle, comme pour la loi El Khomri, le gouvernement n’a jamais hésité à opposer une force toujours plus liberticide. Il aura même tristement innové à Bure (55), en déléguant à une milice privée le soin de réprimer les opposant-e-s au Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), voté en catimini dans la nuit du lundi 11 juillet. Il est vrai que le lobby nucléaire peut se croire tout permis depuis que les promesses de fermeture de centrales ont été revues encore à la baisse : de 24, comme le prévoyait le programme de François Hollande, à « 2 à 6 réacteurs » à l’horizon 2025, si l’on en croit les propos de Ségolène Royal en juillet. Sans d’ailleurs qu’un seul arrêt volontaire ait eu lieu pendant le quinquennat de François Hollande, puisqu’au final, si le réacteur numéro 2 de Fessenheim (Haut-Rhin) est pour le moment hors d’usage, c’est en raison d’une irrégularité de fabrication dans le générateur de vapeur de la centrale nucléaire.

Ce mois de juillet aura aussi confirmé que l’Union Européenne n’a rien à voir avec un espace de coopération entre les peuples, mais tout d’un « machin » au service de la finance et de l’ordolibéralisme de la puissance capitaliste dominante : l’Allemagne de Mme Merkel. Un an après le diktat imposé par la Troïka à la Grèce, deux semaines après le Brexit, les eurobéats auront ainsi pu constater que Bruxelles n’a rien retenu du cri des peuples : le 12 juillet, le processus pour des sanctions à l’encontre de l’Espagne et du Portugal était adopté par le conseil des ministres de la zone Euro, sur exigences maintes fois répétées de M. Schaüble. On reprend donc les mêmes qu’en juillet 2015, lorsque, déjà, le sinistre ministre allemand menaçait la Grèce de Grexit. Les dirigeants français ? Eux aussi jouent le même rôle : le commissaire européen, Pierre Moscovici et le ministre des finances, Michel Sapin, ont tenté de rassurer Madrid et Lisbonne en promettant qu’il n’y aurait pas de pénalité effective. Que coûte leur parole, puisque c’est en définitive Mme Merkel et M. Juncker qui décideront ? Or pour ces derniers, l’adhésion des peuples au projet européen vaut moins que le respect du carcan budgétaire. Ce 23 juillet, Jyrki Katainen, le vice-président de la Commission européenne a donc fait savoir que les menaces vis-à-vis de l’Espagne et du Portugal pour dérapages budgétaires n’avaient pas été faites en l’air. Dans une lettre adressée au président du parlement européen, Martin Schulz, il explique que la Commission européenne va faire une proposition de suspension de fonds structurels pour les deux « mauvais élèves ». A cette suspension des fonds s’ajoutera une amende, dont le montant pourrait être de 0,2% du produit intérieur brut. La double peine, en quelque sorte, à l’encontre d’économies déjà exsangues. Un message également envoyé aux autres économies dont les budgets dépassent les déficits admis, dont l’Italie, la Belgique et la France - cette dernière ayant pourtant essayé de gagner la mansuétude de Berlin en s’imposant ces saignées structurelles exigées que sont les lois Macron et El Khomri. Avec l’UE, le pire est décidément toujours sûr.

Le mois de juillet aura également été celui du terrorisme de masse avec l’abominable attentat de Nice. Son ampleur, sa brutalité auront largement effacé les autres événements. Rarement une question aura succédé à une autre aussi rapidement. Il était justement nécessaire de les rappeler. Chacun d’entre eux (auxquels il conviendrait d’ajouter les événements en Turquie), chassant l’autre, on risquerait en effet de rajouter à leur dureté spécifique, le risque de n’y comprendre plus rien, et du coup de renforcer le sentiment d’impuissance pour les résoudre. Ils ont pourtant en commun d’illustrer les dangers que la crise structurelle du capitalisme fait courir à la civilisation. Les inégalités sociales, un productivisme aveugle, les dérives autoritaires, une mise en concurrence des peuples entre eux et un dumping institutionnalisé sur fond d’austérité dans l’Union européenne, le terrorisme et la guerre, enfin, toujours plus proche : ce mois de juillet n’aura laissé aucun répit.

Les réponses apportées par les libéraux, quelle que soit leur « obédience », sont celles d’une fuite en avant. Passage en force pour imposer des législations antisociales ou de grands projets nuisibles, propagande lénifiante et hors sol pour forcer les peuples à avaler le brouet toujours plus infâme de l’Union européenne : ils ne diffèrent en rien, si ce n’est parfois dans la glose qui accompagne les politiques identiques qu’ils mettent en oeuvre. Quant aux mesures prises pour faire face au terrorisme djihadiste, elles sont au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour nos libertés. Il s’agit au final d’un point donné à ceux qui espèrent que, pour leur faire face, nos démocraties renieront leurs principes. Après Nice, l’illusion sécuritaire et le marketing politicien en vue de 2017 se sont ainsi donnés rendez-vous au PS comme chez les Républicains, pour rendre permanent l’état d’urgence et prolonger une opération Sentinelle aussi inutile que couteuse en matériel et en hommes.

L’unique dessein de ces politiques de gribouille est de gagner du temps pour sauver le système. Ce sont elles qui, depuis des années, lézardent notre République et alimentent le terreau identitaire, que ce soit celui du FN ou de l’intégrisme religieux.

Car c’est bien le système qui vacille en menaçant de nous emporter. Le système néolibéral, celui d’un capitalisme absolutiste qu’un historien, au début de son essor dans les années 80, imaginait comme la fin de l’histoire, accélère au contraire celle-ci. Son moteur est celui de la concurrence effrénée, économique comme géopolitique, de la souveraineté des marchés sur les peuples, du profit comme seule valeur désormais de référence dans un monde globalisé qui rend, du coup, toujours plus dangereux ses moindres soubresauts. Ce 3ème âge du capitalisme mondialisé n’est pas la seule cause des conflits dans le monde, mais il les exacerbe et les rend toujours plus incontrôlables. En imposant son court-termisme au service des profits, de la possession des matières premières et d’espaces économiques à conquérir, il se fait aussi dangereux pour la paix que pour la préservation de l’environnement.

Oui, juillet nous aura confirmé que le monde change de peau. « Sera-t-il laid ou bien beau ? », s’interroge une chanson prémonitoire. Les peuples peuvent encore en décider. Pour peu qu’on en éclaire le sens sans pour autant négliger d’en soigner les effets concrets et immédiats. Prenons la question du terrorisme : pour s’en prendre aux causes, la France doit revenir à une vision indépendantiste en matière de politique étrangère, rompant ainsi avec le suivisme des USA et de l’OTAN de Sarkozy et Hollande. Elle doit la mettre au service d’une résolution des conflits au Proche-Orient sous l’égide du droit international et en impliquant tous les acteurs concernés de la région. Mais cette nécessité prendra du temps. Elle ne peut donc être entendue que si, dans le même temps, nous proposons un plan de réorganisation et de réengagement financier de l’Etat, en matière de renseignement et de justice anti-terrorisme par exemple. Sur une autre question, celle de l’Europe libérale, une construction s’appuyant sur la coopération entre les Etats sur la seule base d’un progrès pour tous, ne vaut que si l’on donne les moyens de rompre avec les actuels traités. D’où notre proposition de plan A/plan B.

Ce mois de juillet aura aussi rappelé que les candidat-e-s aux prochaines échéances électorales de 2017 ne pourront occulter aucune de ces questions. Pour battre les partisans du système, il sera essentiel d’éclaire la situation en donnant des clefs pour comprendre la mue en cours, un programme pour en soigner le plus vite les effets néfastes, et un dessein pour montrer quelle autre voie ce monde pourrait prendre. C’est pourquoi, dès la rentrée, notre engagement au service la candidature écosocialiste de Jean-Luc Mélenchon prendra une importance encore accrue. Les échéances de 2017 dans les deux principaux pays européens - la France, puis l’Allemagne - constitueront en effet un tournant à ne pas rater pour toutes celles et tous ceux qui ne désespèrent pas de voir le monde plus beau qu’il ne l’est et, surtout, qu’il ne menace de l’être.

Eric Coquerel Co-coordinateur politique du Parti de Gauche


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