Capitalisme carné : la modernité de l’ancien régime à l’ère du libéralisme

samedi 1er août 2020.
 

La viande et le corps.

Émission de France Culture : "Les pieds sur terre" (14 h – 14h30) du 28/04/2016

Les conditions de travail ouvrières dans la plus grosse usine à viande de France.

Mieux qu’un long texte, ce reportage de 30 minutes décrit ce qu’est le capitalisme carné.

Du journalisme haut de gamme, ça existe mais c’est trop rare.

Des usines à viande  : cliquez icipour écouter cette émission

Page d’accueil de l’émission : http://www.franceculture.fr/emissio... .

Écoute déconseillée pour les âmes sensibles.

Hervé Debonrivage

Production et consommation des viandes : comment le capitalisme conquiert notre alimentation ?

Dossier réalisé par la commissions écologie et agriculture des Alternatifs en 2010)

Source : http://www.alternatifs.org/spip/pro...

Introduction :

Alors que la production et la consommation des viandes, et plus globalement des produits animaux, continuent de croître dans le cadre du système capitaliste libéral mondialisé, diverses critiques et pratiques alternatives se développent.

Lancées par divers mouvements d’opposition à la consommation de viande et à la maltraitance des animaux, elles prennent actuellement de l’ampleur dans le cadre des préoccupations pour une alimentation moins carnée au nord pour des raisons sanitaires, écologiques et altermondialistes. Ces oppositions se renforcent mutuellement autour de la remise en cause d’une des facettes particulièrement active et significative du capitalisme actuel et par la mise en oeuvre de nouvelles résistances et initiatives.

Ce document tente de réunir ces différents aspects pour leur donner plus de force par une meilleure compréhension critique du phénomène et par la proposition d’alternatives. Mais l’objectif est ambitieux car il exige de prendre en compte l’ensemble du système et de ses conséquences aux différentes échelles et le maintien ou le développement de diverses façons de produire et de consommer, une des bases de construction des alternatives. Nous tentons ainsi de préciser ce que nous entendons par alterdéveloppement sur une question concrète qui du local au global concerne les volets social (inégalités, culture, santé…) et écologique (effet de serre, pollutions, biodiversité) alors que les nécessaires réponses impliquent la remise en cause du capitalisme.

1. Un système puissant et dynamique

1.1 La dynamique du système

Sa mise en place, débutée entre les deux guerres s’internationalise après la seconde guerre mondiale en Europe (grâce notamment au plan Marshall mais aussi, très vite aux choix de politiques en France) et au Japon autour des innovations en génétique animale et végétale et de l’extension, suite à la reconversion des usines de guerre, de la mécanisation et de la « chimisation » de l’agriculture et de l’industrie.

Ces évolutions, favorisées par le besoin de réponse rapide aux déficits alimentaires, induisent un premier développement de l’élevage "industriel", par exemple en Bretagne à la fin des années 50.

Parallèlement, se développent les échanges de grains des USA, notamment vers le Japon pour la production de poulets (consommés de plus en plus à la place du poisson) puis des protéagineux et oléo protéagineux vers l’Europe suite à l’accord de 1962 (Blair House) entre les USA et l’Europe qui contraint l’Europe à importer ces produits contre le droit d’exporter des céréales.

A partir des années 70-80 on assiste à la fois à la mondialisation du système suite à l’évolution de la demande en viande et de la production de grains et d’animaux. En Chine, la consommation de viande par habitant a cru de 58 % en dix ans entre 1995 et 2005 dans une évolution très rapide et ancienne de la consommation totale de viande, multipliée par 4 au cours des 30 dernières années.

Le Brésil a au cours des dix dernières années multiplié par 5 ses exportations de viande de poulet, par 8 celles de porc et par 10 celles de boeuf ; entre 1995 et 2006 il a fait passer ses exportations nettes de produits de l’élevage de 435 M de $ à 7 280, soit une multiplication par 16.

Cette mondialisation du système s’accompagne d’un changement de nature autour de deux moteurs (illimitation et marchandisation) et de deux processus (industrialisation et concentration) du capitalisme actuel. Leur combinaison permet toujours plus de produits et d’échanges, facteurs de profit et de pouvoir, notamment pour les firmes multinationales, dans le contexte favorable de la mondialisation libérale.

Cette augmentation, tirée par la demande sous le double effet de l’accroissement des revenus et de l’extension du modèle de consommation occidental, a été permise et s’est faite de concert avec l’industrialisation, la spécialisation, la concentration et la mainmise des entreprises de la sélection de l’alimentation animale et de la transformation sur le secteur productif et commercial, largement au détriment des agriculteurs et des circuits antérieurs. Ce processus est largement interconnecté au sein des filières avicoles et porcine et à l’échelle mondiale.

Les changements technologiques tout au long des filières : génétique animale et végétale, modes d’élevage, transports et logistique, plats cuisinés … constituent aussi un facteur très influent de changements dans les volumes produits et échangés mais aussi de répartition des parts de marché entre pays, firmes, type de produits (hausse beaucoup plus rapide de la viande de volaille que celle de porc, de boeuf surtout). Par exemple, le développement des OGM centré sur les produits destinés à l’alimentation animale (maïs, soja et à un degré moindre colza) ont renforcé un temps la compétitivité des grandes exploitations et de façon durable celle des firmes des USA et d’Amérique du Sud au détriment des autres formes.

Ces évolutions sont également favorisées par celles de règles internationales : Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 (accord sur l’agriculture et autres) qui contraignent les Etats faibles et libèrent les firmes et les grands pays ou ensembles régionaux. Divers lobbys et certains organismes oeuvrent aussi pour la promotion des viandes aux divers stades des filières, de la génétique à la consommation.

En bref, les innovations en technologie, en organisation, en markéting, aidées par les financements et la recherche publics et portées par la hausse de la demande, notamment en produits transformés, débouchent sur plus de salariat, plus de valeur captée, plus de profit, permettant de nouvelles concentrations, de nouveaux marchés…

1.2 Ces évolutions entraînent une forte dégradation des conditions de travail et des rapports à l’animal.

La quête de profit maximal conduit les acteurs de ce système à penser très rationnellement, en élevage industriel, des modes d’élevage et des pratiques (voir encadré n° 2) qui conduisent à nier toute sensibilité aux animaux, dans des approches purement économiques fondées sur le seul bilan coût/bénéfice.


Le traitement des animaux en élevages industriels

- Les conséquences de ce système, ce sont tout d’abord des animaux confinés dans des « batteries » (chaque poule dispose d’un espace égal à celui d’une feuille A4), avec toutes les conséquences que cela implique : blessures ; infections ; paralysies ; cannibalisme ; stress ; maladies, mortalité élevée… et augmentation d’utilisation d’antibiotiques pour éviter la multiplication des infections.

- Ces animaux sont sélectionnés génétiquement afin que leur croissance soit accélérée, au risque que des organes, tel le coeur, les pattes, ne suivent pas cette croissance.

- Ils sont le plus souvent nourris avec une alimentation « enrichie » avec abus d’antibiotiques, recourt fréquent à des OGM … ;

- Transportés dans des conditions très difficiles (les directives européennes en vigueur étant souvent ignorées), ils sont abattus à la chaîne, avec des contraintes de rythme qui conduisent les bovins engourdis et suspendus par une patte à se réveiller avant qu’on leur tranche la gorge…

Ces animaux adoptent des comportements pathologiques, à l’image des truies reproductrices, dans des stalles métalliques minuscules, qui mordent inlassablement les barreaux qui les contiennent, ou bien des poulets de batterie, qui blessent leurs congénères avec leur bec. Plutôt que de repenser le système de l’élevage, on l’aménage dans la marge, avec des pratiques qui sont souvent source de souffrance renouvelée pour les animaux, comme le débecquage des poulets, pratiqué sans anesthésie.

De telles pratiques sont-elles compatibles avec une société d’émancipation et de justice ?


Cette artificialisation des conditions d’élevage a débouché sur des préoccupations d’ordre à la fois éthique (respect des animaux et de la nature en réaction aux mutilations, aux conditions industrielles d’élevage et d’abattage) et technique sous l’angle de la productivité et de la qualité des animaux ainsi produits (stress, risque sanitaire conduisant à une forte pression médicamenteuse, déformations osseuses ...). Notamment en productions avicoles et porcine la sélection et les modes d’élevage font des animaux des moyens, hyper fonctionnels et spécialisés de production industrielle.

Plus rarement évoquées, les conséquences du développement de ces formes capitalistes hyper productivistes sur les conditions de travail des paysans et des salariés de l’industrie ou de l’encadrement sont également, voire davantage encore, à remettre en cause. Les travailleurs-éleveurs sont souvent confrontés à une "violence institutionnalisée" envers les animaux, violence liée à l’organisation industrielle du travail en porc et en volaille.

Cette violence sur les animaux est source de souffrance pour les éleveurs qui, de plus travaillent, dans un contexte de remise en cause de leur travail et de leur revenu par les processus de concentration et de prix très variables et généralement insuffisants.

Pour les salariés de l’industrie, la majorité des tâches sur les animaux : production industrielle de poussins dans les grands couvoirs, abattage, … s’inscrit dans un contexte de travail difficile, très parcellisé et avec de fortes contraintes de productivité.

En réponse très partielle aux réactions d’ordre éthique et technique, plusieurs actions institutionnelles sont engagées : règles de l’UE en faveur du "bien-être animal", travaux de recherche (en France notamment) pour mieux mesurer les douleurs imposées aux animaux et, si possible, pour les atténuer ou mieux les supprimer.

Sans être négligeables, ces réponses restent très insuffisantes car elles :

- sont fondées, non sur la notion de souffrance animale mais sur celle de "bien-être animal", à portée beaucoup plus limitée ;

- négligent la question des conditions de travail ;

- ne remettent pas en cause l’origine de ces situations très majoritairement dépendantes des règles capitalistes dominantes aussi bien en élevage qu’en industrie.

1.3 Qu’est-ce qui résiste à une telle dynamique ?

Globalement, peu de zones de production ou de consommation échappent totalement à l’emprise du système dominant. Toutefois, des pays à très forte population dont une très grande part est pauvre ou très pauvre comme l’Inde ou la Chine échappent encore en partie à ce système mais la dynamique du système dominant fait craindre la poursuite des évolutions actuelles.

La main mise des formes capitalistes est en fait différente selon les types de viande, comme l’indiquent deux critères : part de l’élevage industriel et évolution de la production.

Ainsi la production de viande de volaille qui connait la plus forte croissance est celle la plus "industrielle", c’est-à dire la plus dépendante d’achats à l’extérieur de l’exploitation et de la région de production, donc des entreprises de fabrication d’aliments et de commerce. La viande porcine est elle en situation intermédiaire sur ces deux critères. A l’opposé, la viande bovine est à la fois en très faible croissance et très peu industrialisée, ce qui n’exclut pas une part croissante des grands élevages comme au Brésil. Les systèmes pastoraux qui fournissent 24 % de la production sont indépendants de ces systèmes industriels mais subissent le contre coup de la concurrence par les prix, par les importations et par les acquisitions de terres.

Les systèmes de types industriels et capitalistes ont également une influence par les normes sanitaires, les règles commerciales et par le poids dans les représentations des modèles alimentaires occidentaux qui entraînent des modifications des comportements alimentaires y compris dans les pays pauvres induisant des importations de produits pour l’élevage ou des produits alimentaires.

La situation en France illustre la forte intégration des productions porcine et avicole au système alors que la production de viande bovine y échappe en très grande partie en production de viande à l’herbe, comme en production de viande issue des troupeaux laitiers. La difficulté d’échapper au système dominant est partiellement illustrée par les faibles niveaux atteints (moins de 1 % pour le poulet et le porc par ex) par la production en agriculture biologique. Heureusement, en production comme en consommation, existent de nombreuses pratiques autonomes ou alternatives (agriculture paysanne, circuits courts …). Cependant la consommation de produits standards se maintient, voire se développe.

En conclusion :

- le système viande est au coeur de la construction du système agro-alimentaire capitaliste mondialisé,

- ce système est fortement dominant et difficile à ébranler.

- Des zones ou secteurs, autonomes ou alternatifs existent encore et tendent à se développer.

2. Les conséquences du système actuel et les éléments de changement

Pour les différentes facettes de ces trois domaines : environnement, alimentation, impact économique, il s’agit d’approcher par "questions/réponses" les conséquences des formes dominantes du système et les possibilités offertes par d’autres formes de production, d’échange et de consommation.

2.1 Quels sont les impacts environnementaux du système et comment en changer ?

La production de viande a de lourdes conséquences en matière de climat et de ressources écologiques, conséquences qui peuvent être partiellement atténuées avec d’autres modes de production et structures de consommation

L’impact climatique, globalement important avec 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), varie beaucoup selon le type de viande et les modes de production : par ex en France, alors que la production de boeuf (cycle long) produit en moyenne l’équivalent de 16 kg de CO2 par kg de carcasse, la volaille en produit 2 et le porc 4,5. De plus, pour chaque type de viande,l’émission varie du simple au double, voire plus selon les modes de production : en bovin le minimum est atteint avec un troupeau principalement nourri à l’herbe de prairies naturelles avec stockage du carbone, le maximum est atteint avec des taurillons élevés avec du maïs irrigué complété par du soja importé d’Amérique du Sud et cultivé suite à une déforestation.

L’impact sur les ressources écologiques résulte en grande partie de la dissociation, au sein des exploitations et des régions, entre la production d’aliments pour animaux et les élevages avicoles et porcins. Cette dissociation a, par exemple en France, plusieurs conséquences graves, en plus des transports, d’un côté (Bretagne) concentration d’effluents excédentaires et très polluants, de l’autre (Bassin parisien), spécialisation céréalière avec forte baisse de biodiversité, dégradation des sols et destruction des paysages. Avec les importations d’aliments du bétail, les dégâts environnementaux et sociaux atteignent des sommets lors de déforestation et chasse des populations natives pour produire du soja OGM ou de l’huile de palme (Amérique du Sud, Asie du Sud-est).

Avec des systèmes combinant, à l’échelle de l’exploitation et ou de la région, productions végétale et animale, fondées au maximum sur des ressources locales, notamment herbagères chaque fois que possible pour l’élevage bovin, il est envisageable de réduire le niveau d’émission de GES et de restaurer la biodiversité, la qualité de l’eau … et d’obtenir, y compris en volaille et en porc, des viandes de qualité et … de créer des emplois et de la valeur ajoutée locale. De plus, un tel schéma permet de réduire considérablement le recours à l’industrie chimique des engrais et des pesticides par la production locale de légumineuses et la valorisation des effluents, comme par la diversification des cultures.

2.2 L’abus des antibiotiques en élevage industriel : un fort impact négatif pour l’environnement et pour la santé.

Cet abus est particulièrement fort dans les élevages industriels de porc et de volaille. Il entraîne des conséquences à deux niveaux très différents en gravité mais liés entre eux :

Les conséquences modérées liées à la présence fréquente d’antibiotiques dans les produits de consommation et dans les effluents, résultent d’un usage abusif en cas de pathologie déclarée et du recours, dans beaucoup d’élevage, aux antibiotiques en traitements préventifs systématiques et comme accélérateurs de croissance. Ces conséquences contribuent à la longue à l’acquisition par les bactéries d’une résistance aux antibiotiques, appelée antibiorésistance.

Ce développement des résistances constitue une "préoccupation majeure" par les instances européennes et mondiales tant pour la santé animale que pour la santé humaine. Cette situation inquiète de nombreux chercheurs et médecins en raison de la perte d’efficacité de plusieurs traitements et de la hausse de la morbidité.

Cela devrait conduire à rendre impossibles certaines pratiques d’élevage dans lesquelles, y compris à l’insu de l’éleveur et contrairement aux règlements, les antibiotiques sont utilisés en traitements préventifs systématiques et comme accélérateurs de croissance. Cela conduirait aussi à revoir certaines bases actuelles de l’élevage industriel.

2.3 Face aux impacts négatifs actuels comment satisfaire des objectifs corrects en termes d’alimentation et de santé ?

Cette question recouvre plusieurs aspects complémentaires de la même question centrale "comment l’humanité peut-elle se nourrir correctement en respectant la planète et tous les hommes ?"

2.31 Quel est le niveau de la concurrence entre alimentation humaine et animale et ses conséquences ?

Nourrir des animaux consommés par les humains avec des produits végétaux utilisables directement en alimentation humaine contribue ou peut contribuer à un accroissement des déficits alimentaires, actuellement et à moyen terme. Cette question se pose d’autant plus que les bilans énergétique et protéique de la production de viande sont très défavorables, alors que la production de viande se développe rapidement, les déficits alimentaires aussi ! Mais la réponse est complexe.

Il est vrai que la production animale mobilise une part très importante de la production de céréales : près de 40 %, soit l’équivalent des 2/3 de la consommation humaine directe (riz surtout non consommé par les animaux). La concurrence entre usage animal et humain est surtout vive dans les pays riches puisque ce sont surtout les élevages de ces pays qui consomment ces céréales. Ces céréales étant déjà exportées en trop grande quantité vers les pays déficitaires (Afrique notamment), il ne faut donc pas que la baisse de l’utilisation de céréales en alimentation animale conduise à davantage d’exportation.

Les protéagineux, sont concurrents au même titre que les céréales mais de façon réduite et indirecte via la mobilisation de surfaces. Par contre, pour les oléo protéagineux, dont les tourteaux utilisés en élevage sont un coproduit de la production d’huile, la concurrence est nulle.

Le niveau réel de concurrence dépend donc du produit et de la disponibilité totale en grains face aux besoins, donc en grande partie de surface totale disponible et des rendements. La question de la concurrence sur les grains ne peut donc être traitée globalement.

Par exemple, l’Argentine, d’autosuffisante et exportatrice en produits animaux est devenue déficitaire pour ces même produits suite au développement très excessif de la production de soja pour l’exportation (de plus OGM, au détriment des populations locales par l’accaparement de leurs terres, par les intoxications avec les pesticides …).

Par ailleurs, les bilans énergétiques et protéiques comme les ressources utilisées sont très différents selon le type d’animal : si les bilans sont plus favorables pour les monogastriques que pour les polygastriques, ces derniers consomment une grande part de fourrages grossiers, qui lorsqu’ils proviennent de zones peu favorables à la production de grains ne sont pas en concurrence avec l’alimentation humaine. De plus dans ce cas, la production bovine a des avantages écologiques (fertilisation, biodiversité …°) et sociaux importants (maintien d’emplois et de revenu, facilité d’alimentation protéique).

Ainsi, la question du bon équilibre entre usage animal et humain des produits végétaux à double fin ne peut recevoir une réponse simple et univoque de type normatif soit au niveau global soit même au niveau d’un pays. Chaque pays peut donc choisir sa réponse en matière de quantité et de modalité de production de viande, en visant bien évidemment en priorité, la satisfaction équilibrée des besoins alimentaires, si besoin par une forte utilisation de produits végétaux (dont légumineuses), si c’est nécessaire et possible.

2. 32 Quels sont les bons niveaux de consommation de viande et de quelles viandes ?

Là aussi la bonne réponse normative n’existe pas d’emblée ; elle est à construire à l’intérieur de ces deux recommandations :

- en finir avec le modèle occidental de surconsommation de viande dont le niveau moyen est, en France et dans beaucoup de pays occidentaux, trop élevé selon les critères de nutrition préventive ; quant aux consommations individuelles supérieures à ce niveau moyen dans ces pays elles relèvent majoritairement du gaspillage.

- permettre à chacun de disposer d’un niveau protéique satisfaisant alors que la malnutrition protéique est très répandue pour des raisons sociales (pauvreté rendant impossible d’aller au delà de la couverture des besoins en calories avec des produits variés et de qualité) ou de monotonie des ressources locales (alimentation à base de mil, fonio ou manioc). Dans la majorité des situations, ce niveau protéique souhaitable peut nécessiter de faire appel à un minimum de produits animaux, l’équilibre alimentaire étant difficile à obtenir avec les seuls végétaux riches en protéines déficitaires en certains nutriments (risque de déficit en fer, en vitamine B …).

Ceci n’exclut pas que les protéines végétales peuvent à elles seules répondre aux besoins nutritionnels si une alimentation végétale est consommée et que les besoins en énergie sont correctement satisfaits.

Ainsi l’enjeu est double : manger éventuellement moins de viande mais de la viande de bonne qualité (éviter les produits d’animaux trop jeunes, éviter les préparations industrielles à impact nutritionnel négatif, source d’obésité…) au sein de ressources variées (protéines d’origine végétale …) Par là même développer son autonomie et restreindre la part des produits élaborés par les firmes de l’agroalimentaires.

En conclusion : par ses facteurs de dynamisme et par ses conséquences, le système viande est, sous tous les angles, une partie du tout capitaliste très conforme au tout ; il joue un rôle très important dans la construction du système agro-alimentaire capitaliste. C’est sur ces bases qu’il faut examiner les solutions possibles en prenant en compte les situations d’autonomie, de résistance et d’alternatives.

3. Améliorer l’état de la planète et affaiblir le capitalisme en développant les alternatives

Pour les viandes comme pour les autres produits alimentaires, la question centrale est celle de l’accès de tous à une alimentation de qualité, dans le respect de l’environnement, c’est-à-dire en mettant progressivement en place une société plus égalitaire et non capitaliste.

Cet objectif de long terme nécessite plusieurs étapes et plusieurs niveaux et types d’intervention dans la construction d’une autre situation agricole et alimentaire à l’échelle mondiale et des différentes régions du globe.

A un niveau global, une tout autre politique, fondée sur une écologie sociale, répondant à la fois aux urgences environnementales et sociales devrait viser la réduction de la consommation de viande dans les pays sur consommateurs et favoriser sa consommation là où elle est insuffisante. Il s’agit d’adapter la production de chaque région du monde à la satisfaction des besoins vitaux de ses habitants, avec une alimentation satisfaisante pour tous en quantité et en qualité, y compris culturelle et un bon usage des ressources. Cela passe par :

- assurer l’autonomie des producteurs et des consommateurs dans le choix des modes de production et de consommation, grâce notamment à une réglementation restrictive vis-à-vis des firmes ;

- favoriser les systèmes de production les moins destructeurs de l’environnement et favorables à la qualité des produits comme à la santé des consommateurs ;

- réduire des échanges internationaux aux stricts besoins de compléments, chroniques et conjoncturels, régis par des accords égalitaires dans le cadre de la souveraineté alimentaire.

Il devrait en résulter une relocalisation d’une part importante de la production agricole, une réduction de l’emprise de l’industrie et des firmes multinationales, une réduction de la consommation de viande dans les pays sur consommateurs et un ralentissement de la hausse de la consommation dans de nombreux pays et le développement d’autres modes de production.

A notre échelle de citoyens de pays riches, tout en conservant cet objectif mondial, il s’agit de réduire la prégnance du système dominant sur la production de notre alimentation et ses conséquences écologiques et sociales. Il s’agit de développer à la fois des actions individuelles et collectives.

La réduction ou l’arrêt de consommation de viande par un nombre conséquent de citoyens sont sources de prise de conscience, de construction d’autonomie et, dans un contexte idéologique favorable, d’impacts favorisant les actions collectives et en amplifiant l’effet. Bien qu’importants ces comportements ne peuvent à eux seuls affaiblir significativement le système dont la capacité de réaction est très forte comme on peut le voir en agriculture biologique et en commerce équitable.

Il s’agit donc de mener collectivement une bataille à la fois idéologique et pratique en matière de formes économiques et de comportements.

Cette bataille doit être unificatrice des différentes forces alternatives ou contestatrices, porteuses d’une remise en cause de l’actuel système viande sur chacun des quatre volets de cette critique : écologie/climat, agriculture /alimentation, gestion des ressources, rapports entre pays. La construction de ce consensus peut se réaliser autour du fait que l’ampleur des dégâts sur chaque volet et sur leur ensemble est le fruit des formes dominantes du développement actuel du "système viande" capitaliste. Ce consensus pourrait être complété et conforté par les critiques spécifiques propres aux divers courants ou situations.

Cette bataille idéologique peut aussi comprendre un travail d’information et de dénonciation de propos de certaines firmes, des lobbys "pro viande", comme de promotion des pratiques alternatives …

Cette bataille doit aussi, pour être unificatrice, prendre en compte la diversité des impacts des différentes façons de produire. Par exemple, certains systèmes herbivores peuvent apporter des contributions écologiques à la conservation des sols et de la biodiversité, y compris sous nos climats. En production de volaille et de porc des alternatives technico-économiques sont également possibles dans le cadre de l’agriculture paysanne ou de formes proches respectant les critères de durabilité écologique, sociale et économique. La prise en compte de ces éléments est essentielle pour associer un nombre croissant de producteurs.

Cette bataille est à mener en lien avec la construction d’alternatives et avec les luttes. Parmi les initiatives existantes on peut noter celles de l’agriculture paysanne, voire durable, certains circuits courts, la mise en place de nouvelles pratiques collectives d’alimentation.

Les Régions et autres collectivités où la gauche de transformation sociale et écologique est active peuvent être des acteurs efficaces sous divers angles, notamment en liant information alimentaire et aide à l’organisation de nouveaux circuits, à la relocalisation des productions, au changement des techniques d’élevage.

Les initiatives peuvent concerner une zone restreinte mais aussi mettre en relation des zones éloignées et complémentaires, par exemple, pour l’alimentation animale ou pour les échanges de produits alimentaires …Les récentes campagnes sur le soja impliquant des forces d’Amérique latine et d’Europe, sur les exportations de bas morceaux de volaille en Afrique… comme la lutte anti OGM, participent de cette nécessaire dimension internationale.

Ainsi, la prise en compte dans le champ politique de l’ensemble des questions liées à la production et à la consommation de viande doit être emblématique d’une lutte anticapitaliste mêlant étroitement les enjeux sociaux et écologiques dans une approche articulant le local et le global. Dans ce cadre, les différents mouvements de contestation du système viande peuvent contribuer à l’évolution que nous souhaitons.

Parmi les sources utilisées :

- FAO, la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, Rome, janvier 2010 (avec un point développé sur l’élevage) ;

- REMESY Ch., Que mangerons-nous demain ? Odile Jacob, Paris 2005 ;

- Porcher J., Contagion de la souffrance entre travailleurs et animaux en production porcine industrielle, Courrier de l’environnement de l’INRA n° 58, mars 2010

- Institut de l’élevage (pour le Centre d’information des viandes), Analyse des indicateurs et arguments utilisés contre l’élevage …. Juillet 2009

- Institut de l’élevage, nouveaux compromis techniques pour concilier efficacité économique et environnementale en élevage herbivore. Revue fourrages (2009) n°198


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