Sécurité, Oui ! Suspension de l’Etat de droit, Non !

lundi 30 novembre 2015.
 

- A) L’Etat de droit n’est pas l’Etat impuissant (Syndicat de la magistrature)

- B) La liberté est attaquée, il nous faut la préserver (Syndicat des Avocats de France)

- C) La liberté d’expression est notre meilleur rempart contre la barbarie ( SNJ - CGT)

- D) L’état d’urgence en permanence ? (Ligue des droits de l’Homme)

- E) État d’urgence, marches interdites, escalade militaire : la démocratie menacée (ATTAC

A) L’Etat de droit n’est pas l’Etat impuissant (Syndicat de la magistrature)

Vendredi soir, des attentats meurtriers ont touché la France en plein cœur, faisant plus de cent vingt morts et plusieurs centaines de blessés dans une salle de concert, des bars ou dans la rue.

Le Syndicat de la magistrature apporte son entier soutien et exprime toute sa solidarité aux victimes et à leurs proches, ainsi qu’aux nombreux professionnels mobilisés, chacun dans leur domaine, après ces attentats.

Ces actes criminels d’une brutalité absolue appellent évidemment la réunion de moyens d’envergure pour en rechercher et punir les auteurs et, autant qu’il est possible, anticiper et prévenir leur commission.

Mais les mesures tant judiciaires qu’administratives qui seront prises ne feront qu’ajouter le mal au mal si elles s’écartent de nos principes démocratiques. C’est pourquoi le discours martial repris par l’exécutif et sa déclinaison juridique dans l’état d’urgence, décrété sur la base de la loi du 3 avril 1955, ne peuvent qu’inquiéter.

L’état d’urgence modifie dangereusement la nature et l’étendue des pouvoirs de police des autorités administratives. Des interdictions et des restrictions aux libertés individuelles et collectives habituellement encadrées, examinées et justifiées une à une deviennent possibles par principe, sans autre motivation que celle, générale, de l’état d’urgence. Des perquisitions peuvent être ordonnées par l’autorité préfectorale, sans établir de lien avec une infraction pénale et sans contrôle de l’autorité judiciaire, qui en sera seulement informée. Il en va de même des assignations à résidence décidées dans ce cadre flou du risque de trouble à l’ordre public. Quant au contrôle du juge administratif, il est réduit à peau de chagrin.

La France a tout à perdre à cette suspension – même temporaire - de l’Etat de droit.

Lutter contre le terrorisme, c’est d’abord protéger nos libertés et nos institutions démocratiques en refusant de céder à la peur et à la spirale guerrière. Et rappeler que l’Etat de droit n’est pas l’Etat impuissant.

B) La liberté est attaquée, il nous faut la préserver (Syndicat des Avocats de France)

C’est avec émotion que le Syndicat des avocats de France et l’ensemble de ses militants expriment leur soutien et toute leur solidarité aux victimes des attentats terroristes du 13 novembre dernier ainsi qu’à leurs proches.

Face à ces attaques inqualifiables et inédites, la France a le devoir de se défendre.

Mais elle doit s’interroger sur les mesures à prendre pour relever le défi démocratique de protéger dans un même temps la sécurité de tous ses habitants et leurs libertés.

Nous n’oublions pas que c’est au nom de la haine de l’autre et du rejet de ces libertés qui fondent notre espace commun de vie que des femmes et des hommes ont été abattus et blessés sans distinction de leur nationalité, de leurs convictions religieuses et de leurs origines.

Or l’Etat de droit, est un équilibre fragile entre respect des droits fondamentaux et sauvegarde de l’ordre public, équilibre protégé et contrôlé par des garanties juridictionnelles. L’état d’urgence lui, a pour objet d’autoriser ce que l’Etat de droit interdit.

Les lois successives sur la sécurité, le renseignement et l’anti-terrorisme qui n’ont pourtant pas permis d’éviter ces attaques ainsi que les propositions actuelles du Chef de l’Etat d’accroître dans l’urgence les pouvoirs de l’exécutif (Etat d’urgence et révision constitutionnelle) sont inquiétantes en ce qu’elles accentuent encore la dérive vers la constitution d’un Etat policier, sans contre-pouvoir effectif. Elles sont une menace pour les libertés fondamentales.

Dès lors, toute restriction des libertés ne doit concerner que les personnes sérieusement suspectées et ne peut se faire que dans un cadre strict de proportionnalité, décidée par un juge et permettant un exercice effectif du contradictoire et des droits de la défense. C’est pourquoi, la lutte contre le terrorisme doit être placée sous le contrôle du pouvoir juridictionnel et ne doit pas être laissée aux seuls représentants de l’Etat ou au Ministre de l’Intérieur.

Des moyens humains supplémentaires doivent être attribués aux services de justice et de police pour assurer leurs missions de lutte contre le terrorisme, dans le respect des libertés fondamentales. Les services de renseignement doivent se concentrer sur l’essentiel et les prérogatives qui leur ont été données en matière de contrôle économique et politique par la récente loi renseignement, sans rapport avec les risques encourus par les citoyens habitant en France, doivent être retirées.

Les contrôles aux frontières ne sauraient empêcher à ceux qui fuient aujourd’hui la guerre et le terrorisme dans leur pays de venir se réfugier en France.

En outre, les mesures qui accentuent les stigmatisations de certains français, telle la déchéance de nationalité, sont sans effet et contreproductives.

Tous les moyens doivent également être mis en œuvre pour lutter contre tout extrémisme et toute stigmatisation au sein de la société, par des politiques sociales et éducatives, ambitieuses, protectrices et égalitaires.

Enfin, il est regrettable qu’aucun débat transparent ne soit aujourd’hui possible pour discuter des mesures de sécurité qui sont mises en œuvre par les pouvoirs publics. Dans ces situations exceptionnelles, il est essentiel que des institutions indépendantes (CNIL, CNCTR, CNCDH, Défenseur des droits, Contrôleur des lieux de privation de libertés, par exemple) puissent disposer des compétences, des moyens et de toutes informations nécessaires pour contrôler l’efficience des mesures de sécurité. Le secret défense ne devra plus leur être opposé.

Porter atteinte aux libertés pour lutter contre le terrorisme, c’est précisément faire le jeu du terrorisme. La Liberté est notre bien le plus précieux, c’est elle qui est attaquée et qu’il nous faut préserver.

C) La liberté d’expression est notre meilleur rempart contre la barbarie ( SNJ - CGT)

Des attentats commis en plein centre de Paris, à quelques pas du massacre des « Charlie », par une poignée de fanatiques barbares, ont frappé avant tout la jeunesse, un lieu de concert, un stade et des restaurants. Le SNJ-CGT s’incline devant les 129 morts et les 352 blessés et assure leurs familles et leurs proches de toute sa solidarité.

Devant le Congrès, le président de la République a annoncé, lundi 16 novembre, de graves mesures attentatoires aux libertés : prolongation pendant trois mois de l’état d’urgence et inscription dans la Constitution de mesures d’exception. Les réponses sécuritaires chères à la droite et à l’extrême droite ont pourtant tragiq uement échoué depuis 2001. La loi sur le renseignement, votée cet été, était déjà un nouveau pas dans la surveillance généralisé des citoyens et des journalistes.

Comme le souligne le Syndicat des avocats de France, « porter atteinte aux libertés pour lutter contre le terrorisme, c’est précisément faire le jeu des terroristes ». Il n’est pas besoin de lois nouvelles pour lutter contre les extrémismes mais de moyens humains, que les politiques d’austérité ont laminés .

Dans ces circonstances dramatiques, le r ôle des journalistes est de provoquer et d’animer des débats pluralistes. Rien ne doit les empêcher d’interpeller, de questionner sur :

 Les conséquences des interventions militaires de la France dans le monde

 La vente d’armes, notamment aux dictatures mili taires ou religieuses du Proche et Moyen- Orient

 Les alliances tournantes de la diplomatie française

 Les relations commerciales avec des États qui financent Daesh et dont l’idéologie constitue le terreau du terrorisme et de l’obscurantisme.

Les journalistes ne doivent pas être au service d’une propagande guerrière mais au contraire être les défenseurs du vivre ensemble. Le SNJ- CGT les appelle à défendre au quotidien les valeurs de solidarité, de paix et de fraternité, valeurs essentielles de la démocratie.

Plus que jamais, le SNJ- CGT poursuivra ses combats pour l’indépendance des rédactions, pour la protection des sources et pour les droits des journalistes.

D) L’état d’urgence en permanence ? (Ligue des droits de l’Homme)

On ne peut qu’être inquiet des projets du président de la République. La logique de guerre qu’il a mise en avant conduit à modifier en profondeur plusieurs aspects de l’Etat de droit : qu’il s’agisse de la Constitution, de la procédure pénale ou des règles de la nationalité, ou d’autres encore.

Ces mesures, loin d’être limitées dans le temps, vont s’inscrire dans la durée comme l’actuel état d’urgence qui va être prorogé pour trois mois, soit au moins jusqu’au mois de février 2016, sans qu’on en comprenne la raison.

Le peu de précisions apportées par le président de la République quant au contenu exact des réformes envisagées et la rapidité avec laquelle le Parlement est sommé de les entériner atteste que le pouvoir exécutif entend imposer sa vision d’une démocratie où ce dernier l’emporte sur les autres pouvoirs et sur les libertés individuelles.

Cette démarche est d’autant plus inquiétante que le président de la République a observé un silence total sur les causes profondes de la situation actuelle, les échecs observés et ne présente qu’une seule alternative : un pouvoir fort ou le terrorisme, sans se préoccuper d’assurer la cohésion sociale et l’égalité des droits.

La LDH exprime son inquiétude face à des projets délibérés sur injonction, dans la précipitation et usant de l’émotion provoquée par les attentats commis.

D’ores et déjà, elle désapprouve la prorogation de l’état d’urgence et souhaite que les pouvoirs publics ne se contentent pas de faire référence au respect de l’Etat de droit mais qu’ils le respectent effectivement.

E) État d’urgence, marches interdites, escalade militaire : la démocratie menacée (ATTAC)

Ni le deuil suite aux effroyables attentats, que nous partageons toutes et tous, ni les menaces réelles qui pèsent encore, ne peuvent justifier l’interdiction de toutes les manifestations. L’interdiction de la marche pour le climat du 29 novembre et des manifestations du 12 décembre à la fin de la COP 21, renforce le sentiment de dépossession et la confusion entre sécurité et ordre sécuritaire. Ces manifestations, préparées de très longue date, sont le moment d’une parole et d’une expérience citoyenne internationales pour faire advenir des sociétés justes et soutenables, moment historique pour l’avenir de la planète et de l’humanité.

L’état d’urgence est prolongé de trois mois, sans aucune perspective de sortie. Or, la pire des politiques est bien de mettre la démocratie en veilleuse et de basculer dans un régime d’exception permanent. La sécurité est indissociable des libertés publiques, c’est une société consciente, active et mobilisée qui assurera la pérennité de la vie démocratique et de la vie tout court.

Les attentats du 13 novembre justifient évidemment une forte réaction policière et un renforcement des mesures de sécurité tant que les auteurs n’ont pas tous été arrêtés. Cela ne justifie en rien une dérive sécuritaire qui prive les sociétés des moyens de se défendre face à ce qui les menace. Ces attaques ont été aveugles et elles créent aujourd’hui un sentiment d’insécurité fort dans la population. Raison de plus pour occuper pacifiquement l’espace public, comme cela s’est réalisé spontanément pendant les derniers jours, sur les terrasses, sur les places publiques.

Concernant la COP 21, nous connaissons les conséquences dramatiques, y compris en termes de sécurité, d’un réchauffement climatique non contenu. Aucune armée ou escadron de police ne pourra résoudre cette question là. Seule une société inventive, éprise de justice et de démocratie, pourra faire face à ces enjeux. Les mobilisations pour le climat sont aussi notre réponse aux terroristes : vous rêvez de tuer et de mourir, nous voulons la justice sociale et préserver la vie sur cette Terre que nous avons en partage.

Attac appelle les organisations de la société civile à prendre des initiatives communes en défense des libertés démocratiques, à commencer par la liberté de rassemblement et de manifestation. Lors de la COP 21 nous trouverons ensemble les moyens de signifier au monde entier les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité entre les hommes et avec la nature.

Nous appelons à renforcer toutes les initiatives décentralisées prévues pour les 28 et 29 novembre, à participer au Sommet citoyen pour le climat les 5 et 6 décembre à Montreuil, à s’inscrire dans les activités de la Zone action climat (ZAC) au « 104 » et enfin à préparer et discuter collectivement des manifestations du 12 décembre à Paris.

Attac France


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