2015, «  l’année du Macron  »

samedi 7 novembre 2015.
 

L’astrologie chinoise ne retient pas cette dénomination mais, en France, l’année du Macron vient de s’achever. Il faut reconnaître le grand talent dont le ministre, nommé il y a un an, en septembre 2014, pour succéder à Arnaud Montebourg, a fait preuve pour se placer au centre de l’action gouvernementale, avec un projet de loi «  Macron  » qui a occupé le Parlement un semestre, comme au centre du jeu politique, par un festival de déclarations fracassantes sur les 35 heures, le droit du travail ou le statut de la fonction publique. Je retiens cinq éléments de cette année du Macron.

1. Renoncement à gauche en Europe. Accepter sans discuter le cadre européen, c’est renoncer à la croissance. Emmanuel Macron était à l’Élysée de 2012 à 2014, il était donc aux premières loges de la scène initiale du quinquennat lorsque François Hollande a renoncé à toute renégociation du traité TSCG par la France. À l’été 2012, la France s’est coulée dans la discipline européenne et a ratifié le traité Merkel-Sarkozy. Logiquement, la France a alors entamé une politique d’ajustement budgétaire qui, s’ajoutant aux hausses d’impôts décidées par François Fillon, a littéralement tué la reprise économique qui s’amorçait.

2. Keynes en autocar. De 2011 à 2013, notre politique budgétaire a mis le pays au bord de la récession et transformé 2 % de croissance potentielle en croissance zéro (chiffres de l’OFCE). La purge inspirée par Bercy, Bruxelles et Berlin nous a cassés économiquement et politiquement. Il faut partir de là pour comprendre que désormais, avec la loi Macron, le gouvernement recherche la croissance par le développement des autocars ou l’ouverture des commerces le dimanche. Privé de politique monétaire et de politique budgétaire, la gauche Macron invente le keynésianisme en autocar. Là où le néolibéralisme orthodoxe, celui qu’on applique à la Grèce depuis 2010 par exemple, réclame des réformes structurelles, la gauche Macron privilégie les réformettes structurelles qui sont autant de coups d’épingle, de preuves de réformisme envoyés à Bruxelles et de victoires idéologiques sur la vieille gauche.

3. L’État spectateur. Depuis les années 1970, la deuxième gauche nous a habitués à critiquer le rôle de l’État dans l’économie et à miser sur la société. Plus de trente ans après le tournant de la rigueur et la conversion de la gauche au «  réalisme  », il ne reste plus grand-chose de l’État dans l’économie. Même l’État stratège n’est plus qu’un slogan. Alstom, Alcatel, ces deux grands groupes symbolisent l’absence de toute politique industrielle. Le groupe Areva a vu une démission complète de l’État actionnaire qui a laissé prospérer des conflits intestins d’une supposée «  équipe de France du nucléaire  ». Ce que le nouvel État fait en matière de politique d’attractivité et d’innovation est essentiel mais il ne doit pas faire oublier ce que l’État ne fait plus  : le pilotage stratégique de ces grandes entreprises. Actionnaire passif, stratège verbal… l’État conduit une politique industrielle hôtelière.

4. Le mépris du politique. Au rejet de l’État en économie, Emmanuel Macron ajoute le mépris du politique. Un de ses éphémères prédécesseurs, Francis Mer, avait déjà abusé du «  Vous, les politiques  » alors qu’il était… ministre de l’Économie. Haut fonctionnaire du Trésor puis banquier d’affaires, Emmanuel Macron a fait le choix de renouer avec l’intérêt général et servir son pays. C’est un choix louable. Malheureusement, il cultive un mépris de la démocratie et de ses contraintes. L’examen de la loi Macron a été un épisode très ambivalent  : un long débat de fond et une absence de vote. Homme de conviction et d’argumentation, le ministre a pris le temps du débat parlementaire pour finalement échouer à convaincre et voir le gouvernement avoir recours à la procédure du «  49.3  ». Cette absence de vote final a totalement floué les parlementaires. Depuis le traité de Lisbonne adopté en violation du référendum de 2005, nous n’avons plus d’illusion sur la rigueur démocratique des élites européistes. En Italie, on a vu un Mario Monti, «  réformer  » l’Italie avec un gouvernement de technocrates avant de fuir le suffrage universel. En Grèce, après la victoire de Syriza aux législatives du mois de janvier, les Européens ont traité indifféremment avec le gouvernement et l’opposition. Dans la nouvelle gouvernance européenne, la démocratie n’a plus une place assurée  : «  On ne gouverne pas contre les traités  » (Jean-Claude Juncker).

5. Trop d’économie. La fonction de ministre de l’Économie le pousse dans ce sens mais Emmanuel Macron fait preuve d’un économisme constant qui pense que tous les problèmes peuvent se régler à l’aune du marché, de l’offre et de la demande. La crise des réfugiés  ? «  Une chance pour l’économie.  » Les agents de l’État  ? Des salariés comme les autres. Dans une France qui vient de connaître deux années de croissance zéro, où les statistiques recensent 3 millions de chômeurs et où la réalité du sous-emploi est bien plus vaste, on comprend que les problèmes économiques viennent d’abord. Mais la politique ne peut pas se réduire à une ingénierie économique et sociale où l’on ajusterait taux de chômage et produit intérieur. L’école de la République doit former des citoyens éclairés et des individus libres, et pas seulement veiller à l’employabilité des futurs salariés. La loi qui protège, la frontière qui distingue, l’État qui organise, voilà trois piliers politiques qui échappent à la loi du marché, au jeu de l’offre et de la demande, et que le ministre, tout à son économisme, ne semble pas comprendre. Y aura-t-il un An 2 pour la gauche Macron  ? Difficile à dire, à quelques semaines des élections régionales de décembre qui sont la dernière élection intermédiaire du quinquennat et s’annoncent extrêmement difficiles pour l’ensemble de la gauche. Le soutien apparent de l’opinion au personnage Macron sera de bien peu de poids face à la froide réalité électorale de décembre. Comme la loi Macron était minoritaire dans l’Hémicycle au mois de février dernier, la gauche Macron est minoritaire dans le pays. Au lendemain des régionales, le choix sera entre l’accélération ou la réorientation. Il faudra trancher le sort de ce réformisme intransitif qui est indifféremment de gauche ou de droite. On imagine facilement Emmanuel Macron en premier ministre d’Alain Juppé, comme son mentor Jean-Pierre Jouyet l’a été de Nicolas Sarkozy en 2007. Ce réformisme social-libéral conduit la gauche dans l’impasse et condamne le pays au déclin. Si la gauche ne veut pas mourir en 2017, elle doit relever le défi que lui lance Emmanuel Macron ou être condamnée à être une force d’appoint de la droite.


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