Islamophobie : un débat délicat

vendredi 27 mars 2015.
 

Le débat sur l’islamophobie est délicat. Il se déroule sur une ligne de crête. Car il y a incontestablement une montée, en France, d’une discrimination spécifique envers la religion musulmane, ses lieux de culte comme ses croyants. Comment refuser l’un tout en répliquant sans faiblesse à l’autre  ? Voilà toute la question qui nous est posée. Il ne s’agit pas là d’un débat sémantique  : il revient en fait à ne jamais céder sur le droit à la critique libre des religions, blasphème inclus, à ne jamais tomber dans le piège du choc des civilisations, tout en luttant contre tout racisme, y compris quand il se dissimule dans un rejet systématique et particulier d’une religion qui, dès lors, peut devenir une atteinte à la liberté de conscience, celle de croire, comme de ne pas croire. Or, le problème avec la notion d’islamophobie, c’est qu’elle permet aisément de passer de l’un, l’expression d’un antiracisme, à l’autre, faire passer la critique d’une religion du registre de la liberté d’opinion à celle d’un délit, au moins moral, donc condamnable. Les mots ont une histoire. On ne peut les en extraire sous peine d’en perdre le dessein. L’origine moderne de l’islamophobie remonte à la fin des années 1970, quand, dans le tout nouveau régime des mollahs en Iran, on traite d’«  islamophobes  » les femmes qui refusent de porter le voile. L’intention est claire, elle tient en réalité à transformer des «  dissidents  » en malades mentaux atteints d’une phobie. Plus tard, les Versets sataniques de Salman Rushdie se verront accusés du même mal. Le terme islamophobie est donc incontestablement lié à la montée d’un islam politique. En France, il entre dans le débat public au moment de la loi sur les signes distinctifs à l’école, dont, principalement, le voile. Ce débat fait rage à gauche. J’ai appuyé cette loi, considérant qu’il fallait refuser toute tentative de «  communautariser l’école  », c’est-à-dire donner la priorité à l’appartenance à une communauté sur l’universalisme républicain. Mais ce débat se double rapidement d’un autre  : la France a-t-elle le droit de s’en prendre aux pratiques religieuses d’une population déjà discriminée socialement après l’avoir été colonialement  ? Ce déplacement du racisme sur le champ religieux, même s’il a des fondements objectifs, est incontestablement un effet et une victoire idéologique de la théorie du choc des civilisations. Celle-ci fait mine de donner un fondement religieux aux conflits géopolitiques, économiques et sociaux. Conçue par l’administration Bush, largement alimentée par les États religieux qui, après l’Iran, se sont revendiqués d’un islam politique, la théorie voit également aujourd’hui un Benyamin Netanyahou vouloir légiférer sur la transformation d’Israël en «  État-nation des juifs  ». Elle cache non seulement d’autres ressorts – conflits de classes, conflits géopolitiques, politiques impérialistes –, mais aussi engendre les pires fanatismes. La France en a longtemps été prémunie. Cette théorie est-elle aujourd’hui un danger pour la République  ? Oui, comme tout ce qui a pour objet d’atomiser, de diviser, d’opposer le peuple. C’est le même objectif que poursuit justement le FN en poussant à la xénophobie et la haine. L’antidote  ? Tout d’abord, ne laisser passer aucune de ces formes de racisme, que ce soit l’antisémitisme ou le racisme antimusulman, sans réagir. Ce qui ne doit pas pour autant nous conduire, comme le proposait le meeting du 6 mars, à signer des appels avec des organisations à mille lieues de nos valeurs. Ne rien céder également sur laïcité, qui est le mode opératoire du vivre-ensemble, et donc également la meilleure protection pour chacun de pouvoir vivre librement sa foi dans la sphère privée. Enfin, si on veut que la République ne soit pas seulement un mot vide de sens face au repli communautaire, rappeler qu’il n’est pas étonnant que des populations ne se reconnaissent plus en ses valeurs lorsque, sous les coups du libéralisme, elle abandonne l’objectif d’égalité sociale.


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