Quelle bataille culturelle ?

dimanche 10 septembre 2006.
 

La bataille culturelle à mener a besoin d’armes. Le parti politique en est un. C’est ce qu’avaient vu Jaurès ou Gramsci. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Pascal Usseglio nous a entretenu d’une réflexion sur le parti comme éducateur politique.

Sa tâche a été de nous faire comprendre que la fonction incontournable d’un parti politique de gauche est d’être l’outil de la lutte contre l’idéologie dominante.

Cette séquence donne tout son sens à un cycle de réflexion sur la lutte contre l’idéologie dominante. Mais elle révèle tout autant le sens profond de la formation au sein d’une association de gauche à but politique telle que PRS. Nous avons touché du doigt ce pourquoi nous nous sommes associés.

Cette raison d’être se lit dans les mots de Marx et Engels, exergue inoxydable de notre premier cycle de formation :

« De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture. La culture dont il déplore la perte n’est pour l’immense majorité qu’un dressage qui en fait des machines. »

« Les communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation ; ils en changent seulement le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante. »

Manifeste du parti communiste. Karl Marx - Friedrich Engels

Pour arracher l’éducation à cette influence, il faut s’appuyer sur une conscience politique solide. Elle s’acquiert au sein d’une structure militante que seul un parti de gauche peut fournir.

C’est en cela que le parti est l’instrument de la bataille culturelle à mener contre l’idéologie dominante. Autrement dit, nous pensons que la bataille culturelle est essentiellement militante et que l’on ne peut pas transformer profondément la société sans parti pour élaborer et diffuser une critique agissante de l’ordre des choses.

L’hypothèse

La culture et la bataille pour la domination culturelle sont négligées voire délibérément écartées de l’action politique par les partis actuels. Or il n’est possible de construire un nouvel ordre social que si une majorité de la population rejette l’ordre actuel et tend activement vers une alternative pour y adhérer.

Dans ces conditions, le rôle d’éducateur politique d’un parti n’est pas un rôle mineur ou annexe, c’est la tâche centrale et obligatoire pour mener à bien toute action de transformation de la société.

Pour s’en convaincre

Thèse n°1 : Les visions mécanistes qui oublient la question culturelle conduisent à des impasses.

Pourquoi ?

Parce que l’existence de conditions matérielles partagées est une condition nécessaire mais pas suffisante à l’existence d’une conscience de classe et à la transformation de la société. Il ne peut y avoir d’action efficace pour transformer la société que celle qui combine la bataille contre la domination économique et la bataille contre la domination culturelle.

Toute stratégie qui se cantonnerait à la seule question de la bataille économique est vouée à l’échec. Celles qui ont été tentées ont entraîné la gauche dans des impasses.

Lesquelles ?

1) L’attente de l’effondrement inéluctable du capitalisme

C’est la théorie selon laquelle les révolutionnaires doivent se contenter de se préparer à exercer le pouvoir dès que le capitalisme s’effondrera sans avoir à mener un travail d’éducation politique de masse.

Ex. aujourd’hui, Lutte Ouvrière fondée sur le mythe de l’effondrement inéluctable du capitalisme sous le poids de « ses propres contradictions ». Cette vision a rencontré ses limites en 1848 notamment comme l’a montré Jaurès. Si les socialistes sont en effet arrivés au pouvoir à la faveur de cette crise, ils ne sont pas parvenus à transformer la société privée qu’ils étaient du soutien et de l’adhésion du plus grand nombre. La bataille culturelle n’avait pas eu lieu (où plus exactement, elle avait été remportée par la réaction).

« Ce sont les appels déclamatoires à la violence, c’est l’attente quasi mystique d’une catastrophe libératrice qui dispensent les hommes de préciser leur pensée, de déterminer leur idéal. » (Jaurès)

2) Le gauchisme, ne permet pas de comprendre l’importance de proposer une alternative à la culture de masse qui, elle, assure la stabilité du système.

La dénonciation radicale ne peut en effet constituer à elle seule une alternative aux « évidences » que véhiculent le système. En renonçant à construire une culture populaire de masse alternative, s’appuyant sur ce qui peut enraciner culturellement la contestation du capitalisme, le gauchisme se prive des moyens de gagner le plus grand nombre.

Ex. La LCR tient absolument à se réclamer de Trotski et de la Révolution russe tout en se démarquant de la tradition républicaine du mouvement ouvrier français, à partir de laquelle se construit pourtant le rejet des règles du jeu capitaliste si puissant dans notre pays. Une telle attitude conduit aussi à ne pas voir que les crises du système ne conduisent pas mécaniquement les esprits à se tourner vers les solutions socialistes. Le fascisme qui, lui, prend appui sur des représentations culturelles a alors le champ libre. Il bénéficie de l’incapacité du socialisme offrir une alternative culturelle. Dès lors, toute contestation n’est pas « bonne à prendre » indépendamment de son contenu (ex de la compromission de certains courants gauchistes avec les communautaristes et les intégristes).

3) Le réformisme gestionnaire

C’est aussi le résultat d’une pensée mécaniste.

Ex. La social-démocratie allemande qui est passée assez vite d’un mécanisme d’apparence marxiste qui faisait de la transformation de l’économie le seul but de l’action politique à la gestion loyale du système. Le développement du capitalisme était en effet censé préparer mécaniquement l’avènement du socialisme. Cet objectif final s’est ensuite perdu en route... Seule est restée la participation à la gestion du capitalisme. La pratique du pouvoir ne contribue plus alors à l’amélioration du rapport de force par la formation d’une conscience critique. Au contraire, les socialistes qui se comportent comme des gestionnaires loyaux et appliqués du système perdant de vue la finalité révolutionnaire de leur action n’utilisent pas l’outil de la pratique gouvernementale pour faire progresser les consciences. Ils finissent par alimenter l’idée que les règles du jeu du capitalisme sont les seules possibles. C’est aussi la dérive de la majorité du Parti socialiste français.

4) L’anarcho-syndicalisme

C’est le rejet du politique. Mais la somme des revendications syndicales est suffisante pour transformer la société.

Ex. Ce courant a longtemps dominé le syndicalisme français. Cela explique sa méfiance instinctive vis-à-vis de l’action politique. La lutte sur le terrain économico-syndical fera seule éclater le système. Cette attitude englobe des postures allant du refus des partis et du suffrage universel jusqu’à la réduction du combat politique à la collection des revendications syndicales.

Au nom de l’autonomie supérieure de la classe ouvrière à laquelle il fallait à tout prix refuser d’agréger d’autres couches sociales dont les combats pouvaient pourtant être compatibles, des dirigeants comme Jules Guesde se sont opposés à ce que les socialistes défendent le capitaine Dreyfus à la fin du 19e siècle. Le résultat est contraire à l’objectif recherché. La classe ouvrière ne peut être qu’une force d’appoint des groupes sociaux qui n’ont pas renoncé à porter des orientations politiques pour la société toute entière.

Le résultat est aussi le cloisonnement de l’action syndicale et de l’action politique. Or le syndicalisme, lorsqu’il ne se construit pas contre l’action politique, constitue une école de formation, d’éducation populaire et de prise de conscience irremplaçable.

5) Le spontanéisme

L’activité révolutionnaire doit procéder du mouvement spontané des masses beaucoup plus que du travail conscient des organisations politiques. Mais si l’on donne au contraire toute son importance à la conscience politique, l’organisation collective et le travail méthodique apparaissent comme des nécessités incontournables.

Point commun de ces visions du rôle de la gauche :

Aucune ne mène la bataille culturelle. Elles se retrouvent alors toutes dans une posture avant-gardiste, coupées du peuple qu’elles renoncent à convaincre et à rendre acteur et moteur de la transformation sociale.

Thèse n°2 : Combattre un système, c’est aussi construire une alternative.

Le but de l’activité politique à gauche : construire un rapport de force favorable aux salariés. Même si le rapport de force se construit à travers la lutte sociale concrète et quotidienne, seul le projet politique permet de rassembler des couches sociales et de porter une alternative effective à l’idéologie dominante par l’affirmation d’une nouvelle hégémonie culturelle. L’activité politique est donc une activité intellectuelle.

Les moyens de cette activité politique : Les partis politiques puis la conquête de l’État.

Les partis sont le résultat de l’action consciente des hommes et des femmes qui se regroupent pour changer le monde.

Qu’est-ce que construire et installer une alternative culturelle ?

à C’est proposer de « nouvelles croyances populaires » qui se substituent à celles que le système diffuse sans cesse. C’est « un nouveau sens commun, et par conséquent une nouvelle culture et une nouvelle philosophie qui prennent racine dans la conscience populaire avec la même force et le même caractère impératif que les croyances traditionnelles ». Cette thèse correspond à la théorie de l’hégémonie culturelle élaborée par Antonio Gramsci, dirigeant du parti communiste italien du début du 20e siècle.

à C’est clarifier la méthode en choisissant une logique républicaine, de « réformisme radical ».

Cette méthode est celle de « l’évolution révolutionnaire » définie par Jaurès dans Etudes socialistes.

Elle s’oppose à la logique du classe contre classe ; elle se veut républicaine et démocratique.

Elle s’appuie sur l’individu, « force distincte et déterminée » ; elle compte sur l’adhésion d’une majorité.

Lien direct avec Gramsci. « Une société n’entre dans une forme nouvelle que lorsque l’immense majorité des individus qui la compose réclame ou accepte un grand changement ».

Elle cherche à gagner ce que l’on peut aujourd’hui.

Elle élargit la question de l’unité.

Elle définit un horizon et un espoir ; elle suit un plan de transformation de la société clair et connu.

Résultat :

Elaborer une alternative à la culture dominante actuelle et mener la bataille pour l’hégémonie culturelle ne peut se faire que dans un cadre organisé.

Pour que l’action soit méthodique, il faut un outil de réflexion, de construction, d’éducation, de conviction et de transformation. Cet instrument est un parti politique.

Thèse n°3 : Le rôle du parti est d’être un intellectuel collectif agissant en prise avec la société

Les tenants de l’idéologie dominante l’enferment dans un rôle dévoyé qui fait de lui une association de candidats, un club de supporters, un simple appareil de prise du pouvoir.

Ce qu’un parti doit être :

Un intellectuel collectif (un cerveau collectif)

à le rôle d’un parti politique est de construire une hégémonie idéologique

Un mouvement d’éducation populaire et politique qui promeut une autre culture que celle du système. L’éducation populaire est le travail de la culture dans la transformation sociale et politique.

à le rôle d’un parti politique est donc de former des consciences : il commence par celles de ses militants

Le parti doit donner à la grande masse du peuple des outils pour penser et agir politiquement.

à le parti doit donc être un parti de masse, soucieux de développer la formation mais aussi l’action qui permet la prise de conscience.

C’est le moyen de changer la société une fois au pouvoir. Son efficacité dépend de l’état de mobilisation de la société.

à le parti est donc le moyen d’accéder au pouvoir, puis de l’exercer dans le cadre d’une société motivée et de transformer l’appareil d’Etat

Thèse n°4 : La république sociale est le projet global à qui manque un parti politique et qui manque à un parti politique.

Le rôle de PRS qui n’est ni un parti politique ni un réseau est de contribuer à l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation à gauche dont le but est la lutte pour l’éducation politique, l’autre nom de la bataille culturelle.

Le rôle de PRS est de faire ce travail politique et idéologique qui transforme la question sociale en question culturelle.

Le rôle de PRS est de s’appuyer sur le concept de république sociale pour amorcer ce travail d’élaboration d’une culture alternative.

Pourquoi la république sociale ?

Parce que le concept de république sociale est porteur de ce potentiel culturel alternatif :

1. il est dynamique parce que la république est un projet éternellement inachevé qui ne connaît pas d’âge d’or

à il est donc un potentiel

2. il plonge ses racines dans la culture traditionnelle populaire française

à il est donc une culture en soi et il fait référence commune

3. il s’affronte à des obstacles qui le déterminent, dont le plus coriace est le capitalisme parce qu’il est contraire à l’intérêt général, à toute identité collective

à il est donc alternatif par rapport à l’idéologie dominante

Comment concrètement ?

Le 29 mai est un exemple parmi d’autres qu’il faudra renouveler et dont il faut perpétuer la mémoire.

à Ce n’était pas une simple bataille électorale, mais une véritable campagne d’éducation populaire. Elle se situait exactement sur le terrain de la lutte contre l’hégémonie culturelle, une lutte frontale contre tout l’appareil médiatique et l’appareil d’Etat.

Texte à la main, nous avons parlé de 20 ans de construction européenne, de l’avenir de l’Europe et de la France, de la société dont on ne voulait pas et de la société dont on voudrait.

Nous avons convoqué toutes les références de l’histoire révolutionnaire française. Nous avons renvoyé à des éléments transmis ; c’est-à-dire à des traditions et donc à une culture commune.

à Avec la campagne contre le projet politique porté par le texte de la constitution européenne, nous avons touché à une hégémonie culturelle commune.

Un travail similaire doit pouvoir se faire à l’échelle d’un parti, car le parti est l’instrument pour accéder au pouvoir ce que l’association loi 1901 PRS n’est pas et de doit pas être. La mission actuelle de PRS est préparatoire.

Les questions

Elles ont tourné essentiellement autour d’un thème illustratif de la problématique :

La concurrence des réponses à la demande d’organisation politique.

Comment faire face à la perte de repères, la fragmentation de la société, la fuite du collectif, l’effritement de la laïcité encouragés par l’idéologie dominante ?

Corrélativement

1. Comment faire face à la montée de l’extrême-droite, des communautarismes, des intégrismes religieux qui eux apportent une réponse à ces symptômes ?

Faut-il lutter aussi contre ces idéologies qui se disent alternatives par rapport à la même idéologie dominante ? Faut-il interdire le FN ? Faut-il faire la chasse aux mollahs ou aux évêques ?

Comment réhabiliter la république et en particulier la république française dans un tel contexte ?

à Nous avons donc réalisé que la difficulté n’était pas seulement de répondre à la demande d’organisation politique. Elle était aussi de proposer celle qui s’imposera à toutes les autres : celle qui sera en effet hégémonique d’un point de vue culturel.

à Nous avons mesuré l’ampleur de la tâche qui consiste aussi à déconstruire les réponses soi-disant concurrentes de la réponse républicaine et sociale :

- Aucune de ces réponses ne sont républicaines car elles cartellisent la communauté nationale (le FN n’est pas une réponse républicaine ; les religions sont des communautarismes qui ne peuvent pas être républicains par définition).

- Aucune de ces réponses ne sont sociales car elles impliquent des traitements sociaux différents générateurs d’inégalités sociales irréparables.

2. Comment coexister avec les réponses altermondialistes ? Que faire des réponses intéressantes que fournissent certaines organisations « alter » et qui pourtant se disent apolitiques et le plus souvent hostiles aux partis ? Comment neutraliser ce qu’il y a de délétère du point de vue de l’action politique partisane dans les discours « alter » tout en conservant le potentiel créatif du point de vue de la pensée d’une alternative ? Comment réhabiliter le rôle du parti dans un contexte qui le rejette sans ambages ?

à Nous avons convenu de l’importance de puiser dans ce vivier d’idées alternatives.

à Nous avons donc relevé l’intérêt de combiner l’action politique partisane et l’action « alter » dans des structures type PRS qui reconnaissent la fonction partisane, cherchent à la transformer et à l’investir.


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