La lutte contre l’antisémitisme ne saurait se confondre en un soutien bêlant à la politique des autorités israéliennes

samedi 6 août 2016.
 

Entendez les cris d’orfraie du Premier ministre israélien : l’Union européenne daigne enfin appliquer des règles normales en contraignant Israël à indiquer si les marchandises exportées en Europe proviennent des territoires occupés, y compris Jérusalem-Est et le Golan, et voici qu’il crie au scandale en accusant l’Europe de remettre au goût du jour les pratiques de l’Allemagne nazie.

Le temps des supplétifs

Venant d’un homme qui réécrit l’histoire du génocide des juifs d’Europe, l’argument ne surprendra pas. A défaut de pouvoir justifier la légitimité de sa politique de colonisation, il ne lui reste qu’à instrumentaliser, une fois encore, l’assassinat des juifs européens pour tenter de conserver à Israël son statut d’impunité.

Ce qui préoccupe, en réalité, les autorités israéliennes ce n’est pas tant cet étiquetage des produits issus des colonies que, d’une part, la symbolique de cette mesure, l’annexion de fait ou de droit n’est toujours pas reconnue, et le fait que, peu ou prou, ceci conduit à s’interroger sur nos rapports avec l’Etat d’Israël.

Depuis des décennies, ce dernier occupe de manière sans cesse croissante des territoires qui ne lui appartiennent pas, soumettant le peuple palestinien au joug de l’occupation, sans que la communauté internationale ne réagisse si ce n’est avec quelques vocalises larmoyantes. Et ce alors même que les conséquences de cette situation débordent sur la région, l’Europe et le monde entier.

Que face à cela s’élèvent des voix citoyennes pour réclamer de mettre un terme à cette impunité est plutôt réconfortant quant à la capacité d’indignation de l’opinion publique mondiale.

On peut ensuite discuter des modalités d’expression de cette indignation. Boycott, désinvestissement et sanctions, comme le souhaite le mouvement qui s’est engagé dans cette voie ? Action juridique et politique plus ciblée comme d’autres s’y sont engagés, comme la LDH ? Le choix se résume en termes d’efficacité, notamment en Europe, mais certes pas en termes d’interdit pénal.

Aucune de ces deux démarches ne constitue une provocation à la haine raciale. Le récent et détestable arrêt de la Cour de cassation cumule à la fois de confondre une démarche citoyenne contre la politique d’un Etat avec une manifestation de racisme et de constituer une atteinte à la liberté d’expression. Nous verrons ce qu’en dira la CEDH.

Il est vrai que les pressions se sont accumulées pour aller dans ce sens. D’une circulaire d’une précédente garde des Sceaux, non abrogée à ce jour, aux interdictions de manifestation abusives, ordonnées par Manuel Valls, en passant par les pressions du Crif et autres appendices qui se disent représentatifs de la communauté juive de France, tout est fait pour présenter la campagne contre l’impunité de l’Etat d’Israël comme des manifestations d’antisémitismes.

L’antisémitisme est une réalité, y compris lorsqu’il se pare des oripeaux d’un « antisionisme » de façade. D’où qu’il vienne et quel qu’en soit les auteurs, il n’est en aucun cas tolérable. Il doit être combattu et sanctionné, au même titre que toute autre forme de racisme. Nous n’oublions pas qu’il est à nouveau possible de tuer, en France, aujourd’hui, des juifs parce que juifs.

La LDH n’a pas attendu les organisations communautaires juives pour s’en saisir, y compris lorsqu’il s’agit de rappeler, pénalement, à des individus les limites infranchissables de leurs propos. Et de rappeler aussi sans cesse que le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit entre l’islam et le judaïsme mais un conflit entre une nation qui occupe et une nation occupée.

Mais la lutte contre l’antisémitisme ne suppose pas de se transformer en supplétifs de la politique des autorités israéliennes.

C’est pourtant ce que sont devenus le Crif et ses satellites qui, non seulement, poursuivent de leur haine les hommes et les femmes qui se prononcent en faveur d’un boycott d’Israël mais tentent aussi d’interdire ou de faire interdire, toujours au nom de la lutte contre l’antisémitisme, toute remise en cause de la politique des autorités israéliennes.

Certes, la rhétorique employée autorise la critique de cette politique mais dès que celle-ci est effective, pleuvent les accusations de « diabolisation » pour culminer dans celles « d’antisémitisme » ; Un débat sur l’eau à la mairie du XIVe devient une manifestation d’antisémitisme qu’il faut interdire, un autre à l’Ecole des hautes études en sciences sociales est effectivement annulé à la suite des injonctions des censeurs. Et bien sûr, lorsqu’il s’agit de dire qu’Israël exploite des colonies où travaillent, entre autres, des Palestiniens, les mêmes crient de plus fort à la haine des juifs !

Se rendent-ils compte qu’en assimilant la lutte contre l’antisémitisme au soutien à la politique des autorités israéliennes, ils induisent une communautarisation du débat et importe en France le conflit dans les termes les pires qui soient : juifs contre arabes et vice-versa ?

Il est vrai que ce glissement s’inscrit dans une démarche ancienne. C’est dès 2010 que l’actuel président du Crif, dans une chronique sur Judaïque FM, s’inquiétait du taux de fécondité des femmes musulmanes et, c’est un peu plus tard, qu’il délivre au Front national une sorte de brevet de bonne conduite à rebours de l’inconduite antisémite imputée aux jeunes musulmans des banlieues. Sans compter le silence assourdissant du même lorsqu’il s’agit de condamner les violences de la LDJ, bien présente dans le service d’ordre des manifestations.

Encore un fois la lutte contre l’antisémitisme ne saurait se confondre en un soutien bêlant à la politique des autorités israéliennes et les autorités de la République, pas plus que l’Union européenne, n’ont à céder au chantage permanent à l’antisémitisme.

Qu’il me soit permis d’en terminer par une citation. Elle émane de Bernard Lazare, le défenseur infatigable de Dreyfus, le pourfendeur de toute manifestation d’antisémitisme. Invité au congrès sioniste de Bâle en 1902, il refuse de s’y rendre et s’en explique auprès des congressistes :

« Les représentants du plus vieux des peuples persécutés, ceux dont on ne peut écrire l’histoire qu’avec du sang, envoient leur salut au pire des assassins et dans cette assemblée il ne se trouve personne pour dire "vous n’avez pas le droit de déshonorer votre peuple". »

Ainsi s’exprimait Bernard Lazare, s’adressant au congrès sioniste de Bâle qui avait rendu un hommage public au sultan Abdülhamid II, responsable des premiers massacres d’Arméniens de ce siècle-là mais protecteur des juifs.

Déjà en 1902, un homme, juif, affirmait avec force que lutter contre l’antisémitisme ne supportait pas de cautionner l’asservissement d’un autre peuple. Rêvons un instant que Bernard Lazare soit président du Crif…


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