Mondial Brésil... Sur le dos du peuple

mercredi 11 juin 2014.
 

A quelques jours du coup d’envoi officiel de la Coupe du Monde, le Brésil se presse pour finaliser les préparatifs alors que les protestations ne faiblissent pas.

Depuis l’annonce de la sélection en 2007, le pays a investi 25,6 milliards de réals (8,5 milliards d’euros), dont 30% pour construire ou rénover les stades des 12 villes-sièges, en plus de restructurations d’aéroports et autres infrastructures. Au Brésil, chaque capitale régionale dispose de plusieurs équipes de football officielles et par conséquent d’au moins un stade pour recevoir les compétitions régionales. Mais n’atteignant pas le gabarit requis pour l’événement, en termes de services disponibles ou de capacité, certaines villes ont dû construire un nouveau stade de toute pièce. Pour des villes moyennes comme Recife (Pernambouc) ou Cuiabá (Mato Grosso) qui recevront chacune seulement 4 matchs durant le tournoi, la note est salée puisque les Etats ont déboursé chacun autour de 200 millions de réals (65 millions d’euros) pour des équipements qui seront difficiles à recycler.

Inégalités de traitement

D’aucuns relativisent l’importance des dépenses engagées par l’Etat brésilien. Ces 25,6 milliards de réals répartis sur 7 ans, soit l’équivalent en 2014 de 0,15% du budget annuel de l’Union, représentent peu de chose par rapport aux 400 milliards (131 milliards d’euros) que l’ensemble des collectivités locales de la fédération (Communes, Etats et Union) réservent chaque année pour des dépenses en direction de la santé et l’éducation. La Coupe du Monde ne mènera pas le pays à la banqueroute, elle ne devrait pas n’empêcher, en soit, la poursuite des programmes de développement social.

Ce qui a enflammé le débat public lors des manifestations de juin 2013, c’est l’insupportable écart entre la qualité du service public brésilien, encore défaillant et inefficace, et la priorité accordée aux méga-événements internationaux de la Coupe du Monde, des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro prévus pour 2016, mais aussi des Journées Mondiales de la Jeunes Catholique (JMJ) en 2013. En revendiquant des hôpitaux, ou des écoles au « standing FIFA », la société déplore que le Brésil, aujourd’hui 8e puissance économique du monde, ne dépense que 215 € par mois et par habitant alors que même la Grèce en crise, en 2010, en dépensait plus de deux fois plus. Malgré les grandes avancées sociales et économiques des trois gouvernements du Parti des Travailleurs (PT), la route est encore longue pour instituer un réel Etat social et protecteur. Mais ces réformes urgentes revendiquées par la société civile depuis la fin de la dictature, semblent ne pas revêtir le même caractère prioritaire que la garantie des bénéfices économiques des grandes multinationales.

Prérogatives et exception

Pour se prévaloir du privilège d’être l’hôte de la coupe du monde de football et satisfaire les exigences de la FIFA, le Brésil a dû réaliser d’importants ajustements législatifs et l’on peut sérieusement s’interroger sur leur prétendu caractère temporaire. Sur le plan fiscal et financier, alors qu’une récente loi de régulation destinée à la maitrise de la dette publique interdit aux collectivités locales de s’endetter pour investir dans des politiques sociales, des clauses complémentaires ont été ajoutées pour autoriser les dépenses d’infrastructures destinées aux méga-événements. Des douze stades en travaux, toutes des opérations à caractère privé, seuls deux d’entre eux font l’objet d’un investissement partiel de capital privé. Le reste de l’argent injecté est public, moitié en investissement direct des Etats, moitié en prêts publics fédéraux à des taux d’intérêts presque nuls, sans aucune condition imposée par l’Etat en matière de sécurité du travail (9 ouvriers sont morts sur l’ensemble des chantiers). Enfin, autour d’un milliard de dollars d’exonérations fiscales seront accordées à la FIFA pour faciliter ses importations et transactions financières.

De leur côté, les législations protégeant la propriété intellectuelle et régulant le commerce ont été soumises à des amendements totalement anticonstitutionnels. La FIFA souhaite s’assurer le monopole de la divulgation des symboles et logos « officiels » exigeant des droits pour toutes divulgations. Même chose pour la captation d’images ou la radiodiffusion, où elle devient l’exclusive titulaire de tous les droits à l’image afférents aux tournois. De plus, des zones exclusives de restriction commerciale ont été imposées autour des stades, enfreignant le droit de libre circulation et de libre entreprise. Seuls les vendeurs et les denrées préalablement enregistrés y seront autorisés. Une restriction particulièrement sévère alors que le Brésil compte un nombre important de vendeurs ambulants. L’application de l’ensemble de ces clauses sera en outre contrôlée par des juridictions d’exception, autorisées à prononcer des sanctions spéciales, indépendamment du code pénal en vigueur. C’est ainsi qu’un voleur d’appareil-photo a été condamné à 15 ans de prison en Afrique du Sud lors du dernier mondial.

La sécurité fait évidemment partie des autres domaines affectés. L’Etat a investi 2 milliards de réals en matériel et équipes de surveillance et des troupes d’interventions spéciales ainsi que des militaires seront mobilisés en renfort dans les villes-sièges en cas de mouvements sociaux. Le Congrès examine actuellement en procédure d’urgence un projet de loi « anti-terrorisme » qui prévoit jusqu’à 10 ans de prison pour des actes visant à provoquer et inciter à la « terreur généralisée », qui peut s’appliquer autant à un poseur de bombe qu’à une infraction à l’ordre public. Aucun doute que les principaux visés par cette loi sont les manifestants, dont environ 2000 avaient déjà été arrêtés en juin 2013 et certains torturés et emprisonné injustement.

Résistances et incertitudes

Dans une société passionnée par le football, la période des vacances scolaires a même été rallongée de deux semaines pour couvrir la durée de l’événement. Mais malgré les réjouissances, une grande partie de la population proteste et s’inquiète des événements à venir.

Environ 200 000 personnes ont été expropriées suite aux opérations urbaines dans des conditions parfois illégales. A Rio et à São Paulo, plusieurs incendies criminels ont été recensés dans des bidons-villes proches des centres-villes et des zones d’intérêt commercial, sans qu’aucun auteur n’ait pu être identifié. Des centaines de grèves ont été organisées depuis le début de l’année dans les secteurs de la fonction publique, de l’éducation, des transports. Un nombre en nette augmentation par rapport aux années précédentes. Malgré les menaces de répression, les manifestations reprennent également. Le 15 mai, plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans tout le pays marquant le « jour international des luttes contre la Coupe du Monde ». D’autres sont prévues. A quatre mois des élections présidentielles, la conjoncture politique s’avère particulièrement complexe.


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