BCE : outil de captation des richesses au profit de ceux qui détiennent la dette

jeudi 1er mai 2014.
 

La Banque centrale européenne (BCE), dont la politique de l’ « euro fort » est décriée par de plus en plus d’économistes et de gouvernements, pourrait bien dans les semaines qui viennent voir ses objectifs confortés, et ses modalités d’intervention sur les banques privées à peine étendues, malgré leurs dérives des dernières années. Pourtant ces objectifs, fixés par les textes fondateurs de l’union monétaire, sont pour le moins abstraits, arbitraires et supposent de plus en plus d’user de méthodes autoritaires vis-à-vis de gouvernements démocratiquement élus.

La naissance de la BCE et sa ligne directrice

La BCE est créée en 1998 en vertu du traité de Maastricht afin d’assurer la gouvernance de l’Euro qui ne voit le jour qu’un an plus tard. Ses deux instances dirigeantes sont :

- d’une part le conseil des gouverneurs, constitué des dirigeants des banques centrales de la zone euro nommés par les chefs d’état pour des mandats non révocables d’une durée toujours supérieure à cinq ans,

- d’autre part le directoire, constitué d’une poignée d’individus, nommés par les chefs d’Etat de l’UE, chargés d’exécuter la politique décidée par le conseil des gouverneurs.

Le directoire est présidé par le gouverneur de la BCE et dispose également d’un mandat non-révocable. Cette non révocabilité, garantirait son indépendance, sa résistance aux pressions dont elle pourrait faire l’objet de la part d’élus du peuple voulant l’écarter de son seul et unique objectif : maintenir une faible inflation (2%). Pour cela elle dispose notamment du pouvoir de prendre et rémunérer les dépôts et de prêter de l’argent aux institutions financières (à des taux très faibles). Il lui est en revanche strictement interdit de prêter aux Etats. Ceux-ci doivent donc s’endetter sur des marchés ayant précédemment obtenu de l’argent à bas prix auprès de la BCE.

Enfin, le capital de la BCE est détenue par les banques centrales nationales de l’UE, y compris hors zone euros, avec une part dépendant du poids économique et démographique des Etats. Les banques centrales nationales peuvent prêter des effectifs à la BCE, qui peut également recruter du personnel en son nom propre.

Ses paradoxes

Avant même de passer aux critiques sur le fond, livrons nous à l’exercice amusant de mettre la banque centrale et son idéologie face à ses contradictions internes…

Tout d’abord l’indépendance des banques centrales est un concept dénoncé par Milton Friedman lui-même, l’un des pères de l’idéologie néo-libérale et des théories économiques sur lesquelles la politique et l’architecture de la BCE s’appuie pourtant. Celui-ci y voyait un trop grand risque de collusion entre elles et le monde financier. Une collusion aujourd’hui incontestable dans les faits, qu’il s’agisse des mécanismes de supervision laxistes qu’elle diligente, des milliards à bas prix pour renflouer les banques auxquels elle consent, ou encore le choix qu’elle a fait d’un gouverneur issu d’une banque d’investissement scélérate, Goldman Sachs pour ne pas la nommer.

Et si le Front de Gauche n’adhère pas aux idées de Friedman, comment ne pas souligner cet avertissement de nos adversaires envers leurs propres dérives et leur aveuglement. Que penser aussi du fait que la Banque Fédérale Allemande, situé à 500 mètres de la BCE – et sur le modèle de laquelle il est régulièrement répété qu’elle est calquée, pratique une large décentralisation de ses compétences auprès d’antennes locales pour assurer une gestion « au service de la communauté », là où la BCE centralise toujours plus en un lieu et aux mains de quelques-uns, assumant sa propre dérive oligarchique et autoritaire dans son fonctionnement même ?

Enfin comment une banque centrale indépendante, refusant de prendre ses instructions des gouvernements légitimés par le suffrage universel, peut-elle sans cesse donner son avis sur la politique économique de ceux-ci les empêchant ainsi d’appliquer leurs programmes et mettant les populations toujours plus en difficulté ?

De l’inflation comme seule ligne directrice…

Mais au-delà de son fonctionnement, c’est le fondement même de la BCE qui est à revoir. Le maintien d’un faible taux d’inflation sans considération pour tout autre objectif n’a aucun sens économiquement. Car si celle-ci a effectivement été faible depuis l’introduction de l’euro, les salaires ont quant à eux arrêté d’y être indexés (déflation salariale). Les prix ont donc augmenté lentement (mais sûrement) tandis que les salaires de tous (exception faite de l’élite des grands dirigeants d’entreprise) stagnaient, grevant dramatiquement le povoir d’achat. C’est ce mécanisme pernicieux qui crée l’impression que nos euros ne peuvent plus rien acheter.

Faut-il le rappeler : d’autres indicateurs économiques, tels que le taux de pauvreté des populations, le taux de chômage ou le niveau des salaires seraient tout aussi légitimes pour définir une ligne de politique monétaire. Et s’ils ne sont pas pris en compte, c’est bien parce que la BCE n’a pour objectif que la protection des intérêts d’une classe : celle des rentiers. Car un euro fort et une inflation faible sont l’assurance d’un dividende ayant une valeur constante. Car ce sont bien tous les rentiers de l’eurozone – et non pas uniquement les rentiers allemands – qui ont pensé mettre en sécurité leurs capitaux avec cette monnaie forte et figée.

Soit dit en passant, il faut rompre avec l’argument spécieux qu’un euro fort nous est bénéfique car il permettrait de régler notre facture pétrolière à moindre frais : ce qu’il faut, c’est d’abord réduire notre dépendance à une énergie dont l’approvisionnement peut à tout moment et finira par se tarir, que ce soit à cause d’une crise politique, ou parce que nous aurons poussé la logique actuelle jusqu’à la catastrophe écologique.

Il faut également remettre en cause l’idée folle que les banques centrales ne puissent pas prêter directement aux Etats afin de les forcer à un hypothétique équilibre budgétaire. Rappelons que la politique monétaire est un instrument comme un autre dont les gouvernements peuvent et doivent user : lorsqu’ils en sont empêchés, c’est la démocratie et donc la souveraineté populaire qui sont laissés à la merci des marchés financiers.

Alors que les autres mécanismes de l’UE, comme le refus de l’harmonisation fiscal et la compétition au moins disant fiscal entre Etats au moins disant qu’elle engendre, interdit aux États chaque jour un peu plus de mettre en place un impôt véritablement progressif, à emprunter aux ultra-riches, aux banques, et aux fonds de pensions vautours de l’argent qu’ils ne peuvent plus lever. Lentement, ce dogme oblige à accumuler un fardeau toujours plus insoutenable, dont le remboursement est devenu le premier poste du budget. Avec des moyens d’évasion fiscale qui perdurent et s’amplifient au cœur même de l’Europe*, des niches sur mesure pour le 1% d’ultra-riches, on s’assure ainsi que ce seront les contribuables les plus modestes, ceux vivant de leur modeste salaire, qui paieront la facture.

En deux mots, la BCE est un outil de captation des richesses au profit de ceux qui détiennent la dette

Une indépendance anti-démocratique

Autre point contestable, cette indépendance sans cesse vantée – et l’irrévocabilité des gouverneurs qu’elle implique – sont incompatibles avec les valeurs que nous défendons. Comment soutenir cette idée, alors que nous voulons que les politiques rendent des comptes à la population et puissent être déchus de leur mandat lorsqu’ils cessent de le respecter ?

Devons-nous considérer que les banquiers centraux devraient bénéficier d’un régime privilégié ? Sont-ils irresponsables de leurs actes ? Ou sont-ils plus importants ou plus légitimes que des représentants élus par le peuple souverain ?

A cette dernière question, l’Europe actuelle semble répondre oui. D’ailleurs, et ce n’est pas innocent, Mario Draghi est mieux payé qu’aucun autre serviteur de l’Union ou chef d’état. Mieux payé également que son homologue américain.

Aussi, pour nous, puisque le peuple est le suprême souverain, la BCE et ses dirigeants doivent être responsables devant ses représentants les plus directs à l’échelle européenne, le Parlement. Celui-ci devrait pouvoir donner ses consignes à la BCE, fixer les objectifs en fonction des programmes choisis démocratiquement par les peuples d’Europe. Et pourquoi pas désigner plusieurs de ses membres sièger au conseil de la BCE en plus des gouverneurs.

Enfin, la nouvelle mission de supervision est également à revoir. La BCE ne doit pas centraliser les tâches et aspirer les effectifs des banques centrales nationales, mais agir comme un coordinateur. Son pouvoir de sanction doit être augmenter, et le parlement doit s’assurer qu’il existe une véritable volonté de l’appliquer.Ne pas laisser s’installer une complaisance envers les financiers. La BCE ou les banques centrales doivent pouvoir mettre les banques sous tutelle lorsque celles-ci ne sont plus à même de remplir leurs obligations et mettent en danger l’économie, plutôt que leur ouvrir les vannes d’un crédit illimité et bon marché, sans demander de comptes.

Nous devons reprendre en main notre pouvoir monétaire. C’est le prix de la civilisation.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message