3% de déficit public : Oui ! Intérêts illégitimes Non !

vendredi 30 avril 2021.
 

Article original : http://robertmascarell.overblog.com...

Moi, européen anticapitaliste, suis pour le respect des 3 %

Je pressens qu’à la lecture de ce titre, nombre de mes camarades du Parti de gauche, dont je suis membre, et plus largement du Front de gauche, vont se demander ce qui m’arrive.

Pour aggraver mon cas, j’ajoute que je suis également pour le respect du non-dépassement du taux de 60 % de la dette de la France par rapport au PIB, imposé par l’Union européenne.

En écrivant cela, je sais que je vais à l’encontre de tout ce que nous disons. Vient donc le moment de m’expliquer.

Avant toute chose, je veux rassurer toute ma famille politique. Je reste résolument ancré à gauche et même formidablement bien au sein du Parti de gauche. Disons qu’il ne me déplaît pas de cultiver le paradoxe, mais pas la provocation. Du moins je l’espère.

Comme le Parti de gauche, comme le Front de gauche, j’affirme que notre pays n’est pas en crise économique, mais en crise de la répartition de ses richesses.

La France n’a jamais été aussi riche

Le principal indicateur de la richesse d’un pays est son PIB (produit intérieur brut). Le PIB représente la totalité des richesses créées et produites, chaque année, dans chaque pays. Que ces richesses soient utiles à l’intérêt général ou futiles, ou même nuisibles à la collectivité humaine. L’autre indicateur est son patrimoine bâti (monuments historiques, immeubles), industriel (locaux professionnels) et foncier (terrains agricoles). Il y a d’autres indicateurs de richesse : la qualité des réseaux (routes, voies ferrées, électricité, eau), enfin, la situation géographique, tels que les débouchés maritimes, le tourisme. A noter qu’une grande partie des richesses provenant des autres indicateurs que le PIB, abonde ce dernier par l’activité économique induite.

Enfin, il est un autre indicateur de la richesse d’un pays, trop souvent méconnu, c’est celui du montant de l’épargne des ménages par rapport à leurs revenus disponibles. De tous les pays développés, le nôtre est nettement en tête. Fin 2013, notre taux d’épargne s’élève à 15,4 %, alors qu’il n’est que de 9,9 % en Allemagne, 4,5 % aux Etats-Unis, 5,8 % au Royaume-Uni,…..

En 1980, notre PIB s’est élevé, en volume, à 445 milliards d’euros. En 2013, il s’est élevé à 2 060 milliards d’euros (https://www.banque-france.fr/filead... ). La multiplication des richesses créées et produites en 33 ans a donc été de plus de 4,6 fois. Bien sûr, ce dernier chiffre doit être pondéré : 1/ par le taux de l’inflation intervenu en 33 ans, 2/ par l’évolution démographique. Il y a plus d’habitants en France en 2013 qu’en 1980.

De 1980 à 2013, le taux d’inflation cumulé a été de 208,2 %, soit plus qu’un triplement. Ce taux de 208,2 % est obtenu par la méthode de l’anatocisme. C’est-à-dire, qu’en partant d’une base 100 en janvier 1980, il faut ajouter le taux de l’inflation de la première année à 100. Mettons 2 %, par exemple. A ce chiffre 102 obtenu à la fin de la première année, il faut ajouter le taux de l’inflation de l’année suivante et cumuler ce dernier taux d’inflation à la base 102 atteinte fin décembre 1980, et ainsi de suite jusqu’en 2013.

Pour ce qui est de la prise en compte de l’évolution démographique, les instituts statistiques ont la bonne idée de publier le PIB en volume, dont il est question plus haut, et le PIB par tête d’habitant. Le PIB par tête d’habitant permet de comparer son évolution d’année en année de manière plus objective.

En 1980, le PIB par tête d’habitant s’est élevé à 8,1 milliers d’euros. En 2013, il s’est élevé à 27,9 milliers d’euros. Soit une multiplication en 33 ans de 3,44. Ce chiffre est un coefficient ou indice, si on le traduit en pourcentage, cela fait une augmentation de 244 % de 1980 à 2013.

Maintenant, pondérons cette augmentation de 244 % par l’augmentation de 208,2 % du taux de l’inflation intervenue en 33 ans. Cela signifie que de 1980 à 2011, le PIB par tête d’habitant a réellement augmenté de 35,8 %.

Loin d’être en crise, notre pays a vu sa richesse croître de 35,8 % en 33 ans. Le malheur, c’est que seule la minorité des plus fortunés a profité, et même très au-delà, de l’accroissement de notre richesse. Autre donnée : la part de la richesse produite prélevée par le capital a triplé depuis 30 ans. Elle était de 3,2% du PIB en 1980, de 5,6% en 1999, elle est passée à 9,3% du PIB en 2011.

Etat de nos richesses fait, j’en viens maintenant à l’analyse de la dette publique de la France.

Ce n’est pas la dette qui est illégitime, mais les intérêts

Entre 1980 et 2008, la dette avec intérêts est passée de 239 à 1 327 milliards d’euros. Pendant la même période, la dette, SANS LES INTERETS, est passée de 239 milliards (en fait moins, puisque dans ces 239 milliards il y a des intérêts), à……. 21,4 milliards d’euros. Ainsi, en 2008, nous avons remboursé 1306 milliards d’euros d’intérêts, soit 61 fois plus que la dette de base.

Je souligne que, jusqu’au vote de la loi scélérate du 3 janvier 1973, dite Pompidou-Giscard, la Banque de France pouvait prêter de l’argent à l’Etat à taux zéro et que, depuis le traité de Maastricht, la Banque Centrale Européenne prête de l’argent aux banques privées au taux de 1 %, mais qu’il lui est interdit d’en prêter aux Etats membres de l’Union européenne. Ceux-ci sont donc obligés de contracter leurs emprunts auprès des banques privées, à des taux souvent usuraires.

Démonstration est faite que dans notre dette ce sont surtout les intérêts qui pèsent. Sans eux, aujourd’hui, notre taux d’endettement ne serait pas de 95 % par rapport au PIB de l’année. Il serait très largement inférieur aux 60 %, dont l’Union européenne a décrété qu’il était la limite supérieure indépassable, sous peine de sanctions pécuniaires.

Dans une interview que Michel Rocard a donnée le 28 décembre 2012, sur Europe 1, dans l’émission Médiapolis, accessible sur le lien suivant : http://www.youtube.com/watch?v=PH7W..., celui-ci qualifie la loi du 3 janvier 1973 de stupéfiante. Il précise que si la France avait pu continuer à se financer à l’œil, comme il dit, notre taux d’endettement aujourd’hui ne serait pas de 90 ou 91 % (c’était notre taux d’endettement en décembre 2012), mais de 16 ou 17 %. Pour reprendre son qualificatif, je trouve stupéfiant que, lorsque Rocard était Premier ministre, et alors qu’il connaissait cette « loi stupéfiante », il n’ait rien fait pour l’abroger.

Sans ces intérêts illégitimes, les libéraux, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, ne pourraient pas dire que notre pays vit au-dessus de ses moyens depuis trente ans, dixit le Premier ministre Valls, le 14 avril dernier. Qui n’en est pas à une provocation près.

Ces intérêts sont d’autant plus illégitimes, qu’ils sont consentis, à tous les pays européens, à des taux plus ou moins largement supérieurs au taux de croissance de chacun de ces pays. Il en résulte un effet boule de neige, au fil des années, un effet d’endettement automatique, totalement indépendant des politiques menées par les gouvernements. La seule responsabilité de ceux-ci étant de ne pas remettre en cause ce système de prêt.

La réalité, je crois l’avoir démontrée, et à travers l’augmentation de la richesse de la France, via son PIB, et à travers la faiblesse de sa dette réelle, hors les intérêts illégitimes que notre pays paie, c’est qu’en fait, la France respecte pleinement les contraintes des traités européens (de Maastricht et de Lisbonne). Hors les intérêts illégitimes, le ratio de notre dette publique par rapport au PIB d’une année est très très inférieur aux 95 % (16 ou 17 % disait Rocard en 2012) dont les libéraux nous culpabilisent.

En conclusion de ce paragraphe, je réaffirme que ce n’est pas notre dette qui est illégitime, du moins pour l’essentiel, ce sont surtout les intérêts qu’elle génère. Ce disant, je sais bien que je vais à l’encontre de ce que disent mes camarades anticapitalistes. J’assume ma divergence, sachant qu’elle n’est pas fondamentale.

Je ne conteste pas que la dette puisse être illégitime, au moins pour partie. Mais en l’espèce, et pour ce qui concerne la France, force est de constater, sans entrer dans le détail de la composition de notre dette, que ce sont les intérêts de la dette qui nous plombent. Cela est d’autant plus scandaleux que, par le biais de ces intérêts, la population, y compris les plus pauvres, reversent de l’argent aux banquiers et autres prêteurs spéculateurs. En somme, c’est de la redistribution à l’envers. Du plus pauvre au plus riche.

En ce qui concerne l’autre ratio imposé par l’Europe, celui du non-dépassement du taux de 3 % de déficit budgétaire, je vais démontrer que, là encore, la situation de la France est en réalité excellente.

Depuis 1983, les gouvernements appauvrissent volontairement la France

Chaque année, le gouvernement élabore le budget. Y figurent des recettes et des dépenses. Les recettes sont constituées d’une multitude d’impôts payés par les différentes catégories de Français et par les entreprises. Les dépenses sont constituées des dépenses dites de fonctionnement (les salaires versés aux fonctionnaires), des dépenses dites d’investissements, des remboursements d’emprunts et des intérêts d’emprunts. Nous venons de voir que les intérêts d’emprunts sont de plus en plus lourds depuis la loi française du 3 janvier 1973, reprise en 1992, dans le traité de Maastricht, puis en 2008, dans le traité de Lisbonne.

Ainsi, les intérêts d’emprunts interfèrent lourdement aussi bien dans notre taux d’endettement que dans notre taux de déficit budgétaire.

Et comme la coupe n’est pas suffisamment pleine, depuis 1983, tous les gouvernements qui se sont succédé ont choisi d’appauvrir délibérément notre pays, en accordant force subventions et exonérations fiscales et sociales aux couches sociales les plus favorisées, ou bien encore en ayant créé des niches fiscales, dont la plupart sont néfastes à l’intérêt national, mais profitables à ceux qui en ont le moins besoin. Sans compter tous les moyens d’optimisations fiscales et autres possibilités d’évasions fiscales vers les paradis fiscaux, et même les fraudes fiscales utilisés sans vergogne par les plus fortunés.

Pour exemples :

- le taux d’impôt sur les sociétés qui était de 50% jusqu’en 1985, est aujourd’hui de 33,33%, et depuis 1993, le taux effectif d’impôt sur les sociétés est beaucoup plus bas en raison, notamment, d’une fiscalité dérogatoire de plus en plus importante. Manuel Valls propose de réduire ce taux à 28 %.

- Depuis 1986, les tranches composant l’impôt sur le revenu ont été réduites de 14 à 5. La tranche marginale est quant à elle passée de 65% en 1985, à partir de 36 853 euros (241 740 francs), à 45% aujourd’hui.

- L’impôt de solidarité sur la fortune, établi en 1989 à la suite de la suppression de l’IGF en 1987, n’a pas connu de modification de sa tranche supérieure au cours des dernières années, ni dans son taux, ni dans son seuil, malgré l’accroissement de la valeur des actifs immobiliers et financiers. Il fait en outre l’objet de différents mécanismes de plafonnement.

- Les exonérations de cotisations sociales, accordées depuis le début des années 1990, soit de manière générale, soit de manière ciblée sur les bas salaires, sont compensées depuis 1994 afin de préserver les finances sociales. Cela grève le budget de l’État d’un montant annuel d’environ 30 milliards d’euros.

- En 1999, la part salariale de la taxe professionnelle (TP), qui est le principal impôt local, a été progressivement supprimée sur cinq ans. Déjà rabotée en 1987 par un abattement général de 16% de ses bases imposables, la TP a ensuite fait l’objet d’un dégrèvement au titre des investissements nouveaux décidés en 2004, puis un nouveau plafonnement a été introduit. Enfin, la TP a finalement été supprimée en 2010 et remplacée par un prélèvement de moindre valeur (la contribution économique territoriale).

Pour compenser ces réductions, les gouvernements, depuis 1983, recourent à l’emprunt générateur de paiement d’intérêts très lourds. La boucle est ainsi bouclée.

Particulièrement inégalitaires, ces allègements n’ont en plus jamais permis de favoriser la croissance et l’emploi, au contraire, alors que les gouvernements successifs ne les justifient que dans cette quête.

Voilà, les choses sont claires, fin 2013, le taux d’endettement réel de la France n’est que de l’ordre de 17 % par rapport au PIB de cette année-là, et le taux de déficit public est de bien moins de 3 % du PIB, compte tenu de la modicité de notre taux d’endettement et de toutes les ressources dont est délibérément privé l’Etat français.

Maintenant, j’espère que vous comprenez mieux pourquoi j’ai commencé cet article en affirmant que, pour la France, je n’étais pas hostile au respect des taux de 3 % de déficit et de 60 % d’endettement, imposés par l’Union européenne. D’ores et déjà, la santé de l’économie française est à ce point bonne qu’en réalité elle est très en deçà de ces taux.

Evidemment, sur le principe, je suis opposé à la prétention de l’Union européenne d’imposer à ses membres le non-dépassement de ces taux. Me voilà redevenu "orthodoxement" de gauche.

Robert Mascarell, PG 12


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